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Les Romains dispensoient de la guerre ceulx | pusillanimité, pour dire qu'elle est aussi de la qui estoient blecez au poulce, comme s'ils n'a- feste, n'ayant peu se mesler à ce premier roolle, voient plus la prinse des armes assez ferme. Au- prend pour sa part le second, du massacre et guste confisqua les biens à un chevalier romain du sang. Les meurtres des victoires s'exercent qui avoit, par malice, couppé les poulces à deux ordinairement par le peuple, et par les officiers siens ieunes enfants, pour les excuser d'aller aux du bagage : et ce qui faict veoir tant de cruauarmees 1 : et avant luy, le senat, du temps de la tez inouïes aux guerres populaires, c'est que cette guerre italique, avoit condemné Caius Vatienus canaille de vulgaire s'aguerrit et se gendarme1 à prison perpetuelle, et luy avoit confisqué touts à s'ensanglanter iusques aux coudes, et deschises biens, pour s'estre à escient couppé le poulce de queter un corps à ses pieds, n'ayant ressentila main gauche, pour s'exempter de ce voyage'. ment d'aultre vaillance: Quelqu'un, dont il ne me souvient point 3, ayant gaigné une battaille navale, feit coupper les poulces à ses ennemis vaincus, pour leur oster le moyen de combattre et de tirer la rame. Les Atheniens

les feirent coupper aux Aeginetes, pour leur oster la preference en l'art de marine 4.

En Lacedemone, le maistre chastioit les enfants en leur mordant le poulce".

CHAPITRE XXVII.

Couardise, mere de la cruauté.

l'ay souvent ouy dire que la couardise est mere de la cruauté et si, ay par experience apperceu que cette aigreur et aspreté de courage malicieux | et inhumain, s'accompaigne coustumierement de mollesse feminine; i'en ay veu des plus cruels, subiects à pleurer ayseement, et pour des causes frivoles. Alexandre, tyran de Pheres, ne pouvoit souffrir d'ouyr au theatre le ieu des tragedies, de peur que ses citoyens ne le veissent gemir aux malheurs de Hecuba et d'Andromache, luy qui, sans pitié, faisoit cruellement meurtrir tant de gents touts les iours. Seroit ce foiblesse d'ame qui les rendist ainsi ployables à toutes extremitez? La vaillance, de qui c'est l'effect de s'exercer seulement contre la resistance,

Nec nisi bellantis gaudet cervice iuvenci 7,

Et lupus, et turpes instant morientibus ursi,

Et quæcumque minor nobilitate fera est : comme les chiens couards, qui deschirent en la maison et mordent les peaux des bestes sauvages qu'ils n'ont osé attaquer aux champs. Qu'est mortelles; et qu'au lieu que nos peres avoient ce qui faict, en ce temps, nos querelles toutes quelque degré de vengeance, nous commenceons à cette heure par le dernier; et ne se parle, d'arrivee, que de tuer? qu'est ce, si ce n'est couardise?

Chascun sent bien qu'il y a plus de braverie et desdaing à battre son ennemy qu'à l'achever, et de le faire bouquer3 que de le faire mourir; davantage, que l'appetit de vengeance s'en assouvit et contente mieulx; car elle ne vise qu'à donner ressentiment de soy voylà pourquoy nous n'attaquons pas une beste ou une pierre quand elle nous blece, d'autant qu'elles sont incapables de sentir nostre revenche; et de tuer un homme, c'est le mettre à l'abry de nostre offense. Et tout ainsi comme Bias 4 crioit à un meschant homme : «< Ie sçay que tost ou tard tu en seras puny, mais ie crains que ie ne le veoye pas; et plaignoit les Orchomeniens de ce que la penitence que Lyciscus eut de la trahison contre eulx commise, venoit en saison qu'il n'y avoit personne de reste de ceulx qui en avoient esté

s'arreste à veoir l'ennemy à sa mercy: mais la interessez, et ausquels debvoit toucher le plaisir

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de cette penitence: tout ainsin est à plaindre la vengeance, quand celuy envers lequel elle s'employe perd le moyen de la souffrir; car comme le vengeur y veult veoir pour en tirer du plaisir,

1 Se gendarmer, se mettre en humeur, en posture d'homme qui veut combattre. Verbis, vultu, habituque præferre ferocem pugnatorem. MONET.

2 Le loup, et l'ours, et les animaux les moins nobles, s'acharnent sur les mourants. OVIDE, Trist. III, 5, 35.

3 Faire bouquer quelqu'un, c'est lui faire dépit, le faire enrager, l'obliger à céder. RICHELET.

4 PLUTARQUE, Des delais de la iustice divine, c. 2. - Montaigne se trompe en disant que Bias plaignait les Orchoméniens; c'est Patrocle, un des interlocuteurs du dialogue, qui cite cet exemple de la vengeance trop lente des dieux sur le traitre Lyciscus. C.

il fault que celuy sur lequel il se venge y veoye aussi pour en recevoir du desplaisir et de la repentance. « Il s'en repentira, » disons nous; et pour luy avoir donné d'une pistolade en la teste, estimons nous qu'il s'en repente? au rebours, si nous nous en prenons garde, nous trouverons qu'il nous faict la moue en tumbant; il ne nous en sçait pas seulement mauvais gré, c'est bien loing de s'en repentir; et luy prestons le plus favorable de touts les offices de la vie, qui est de le faire mourir promptement et insensiblement: nous sommes à conniller, à trotter, et à fuyr les officiers de la iustice qui nous suyvent; et luy est en repos. Le tuer est bon pour eviter l'offense à venir, non pour venger celle qui est faicte; c'est une action plus de crainte que de braverie, de precaution que de courage, de deffense que d'entreprinse. Il est apparent que nous quittons par là et la vraye fin de la vengeance, et le soing de nostre reputation; nous craignons, s'il demeure en vie, qu'il nous recharge d'une pareille : ce n'est pas contre luy, c'est pour toy, que tu t'en desfais.

Au royaume de Narsingue, cet expedient nous demeureroit inutile: là, non seulement les gents de guerre, mais aussi les artisans desmeslent leurs querelles à coups d'espee. Le roy ne refuse point le camp à qui se veult battre, et assiste, quand ce sont personnes de qualité, estrenant le victorieux d'une chaisne d'or; mais pour laquelle conquerir, le premier à qui il en prend envie peult venir aux armes avec celuy qui la porte; et pour s'estre desfaict d'un combat, il en a plusieurs sur les bras.

Si nous pensions, par vertu, estre tousiours maistres de nostre ennemy, et le gourmander à nostre poste, nous serions bien marris qu'il nous eschappast, comme il faict en mourant. Nous voulons vaincre, mais plus seurement qu'honnorablement; et cherchons plus la fin que la gloire, en nostre querelle.

Asinius Pollio, pour un honneste homme moins excusable, representa une erreur pareille; qui ayant escript des invectives contre Plancus, attendoit qu'il feust mort pour les publier : c'estoit faire la figue à un aveugle, et dire des pouilles à un sourd, et offenser un homme sans sentiment, plustost que d'encourir le hazard de son ressentiment. Aussi disoit on pour luy, « que ce

1 Pistolade, pistoletade, coup de pistolet. Ces deux mots se trouvent dans NICOT. C.

2 A nous cacher dans des trous, comme des connils, des lapins. E. J.

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n'estoit qu'aux lutins de lufcter les morts'. >> Celuy qui attend à veoir trespasser l'aucteur duquel il veult combattre les escripts, que dict il, sinon qu'il est foible et noisif? On disoit à Aristote, que quelqu'un avoit mesdict de luy : « Qu'il face plus, dit il 3, qu'il me fouette, pourveu que ie n'y sois pas. »

Nos peres se contentoient de revencher une iniure par un desmenty, un desmenty par un coup, et ainsi par ordre; ils estoient assez valeureux pour ne craindre pas leur adversaire vivant et oultragé : nous tremblons de frayeur, tant que nous le veoyons en pieds; et qu'il soit ainsi, nostre belle practique d'auiourd'huy porte elle pas de poursuyvre à mort, aussi bien celuy que nous avons offensé, que celuy qui nous a offensez ? C'est aussi une espece de lascheté qui a introduict en nos combats singuliers cet usage de nous accompaigner de seconds, et tiers, et quarts: c'estoit anciennement des duels; ce sont à cette heure rencontres et battailles. La solitude faisoit peur aux premiers qui l'inventerent, quum in se cuique minimum fiducia esset 4; car naturellement quelque compaignie que ce soit apporte confort et soulagement au dangier. On se servoit anciennement de personnes tierces, pour garder qu'il ne s'y feist desordre et desloyauté, et pour tesmoigner de la fortune du combat: mais depuis qu'on a prins ce train, qu'ils s'y engagent eulx mesmes, quiconque y est convié ne peult honnestement s'y tenir comme spectateur, de peur qu'on ne luy attribue que ce soit faulte ou d'affection ou de cœur. Oultre l'iniustice d'une telle action, et vilenie, d'engager à la protection de vostre honneur aultre valeur et force que la vostre, ie treuve du desadvantage à un homme de bien, et qui pleinement se fie de soy, d'aller mesler sa fortune à celle d'un second : chascun court assez de hazard pour soy, sans le courir encores pour un aultre, et a assez à faire à s'asseurer en sa propre vertu pour la deffense de sa vie, sans commettre chose si chere en mains tierces. Car s'il n'a esté expressement marchandé au contraire, des quatre, c'est une partie liee; si votre second est à terre, vous en avez deux sus les bras, avecques raison et de dire que c'est supercherie, elle l'est voirement; comme de charger, bien armé, un homme qui n'a qu'un tronçon d'espee, ou tout

1 C'est Plancus lui-même qui fit cette réponse: Nec Plancus illepide, Cum mortuis non nisi larvas luctari. PLING, dans sa Préface à Vespasien, vers la fin. C. 2 Noisif, querelleux. NICOT. C.

3 DIOG. LAERCE, IX, 18. C.

4 Parce que chacun se défiait de soi-même.

sain, un homme qui est desia fort blecé; mais si | ce sont advantages que vous ayez gaigné en combattant, vous vous en pouvez servir sans reproche. La disparité et inegualité ne se poise et considere que de l'estat en quoy se commence la meslee; du reste prenez vous en à la fortune et quand vous en aurez, tout seul, trois sur vous, vos deux compaignons s'estants laissez tuer, on ne vous faict non plus de tort que ie ferois, à la guerre, de donner un coup d'espee à l'ennemy que ie verrois attaché à l'un des nostres, de pareil advantage. La nature de la societé porte, où il y a trouppe contre trouppe (comme où nostre duc d'Orleans desfia le roy d'Angleterre Henry, cent contre cent'; trois cents contre autant, comme les Argiens contre les Lacedemoniens 2; trois à trois, comme les Hora- | tiens contre les Curiatiens), Que la multitude de chasque part n'est consideree que pour un homme seul par tout où il y a compaignie, le hazard y est confus et meslé.

l'ay interest domestique à ce discours : car mon frere, sieur de Matecoulom, feut convié, à Rome 3, à seconder un gentilhomme qu'il ne cognoissoit gueres, lequel estoit deffendeur, et appellé par un aultre. En ce combat, il se trouva de fortune avoir en teste un qui luy estoit plus voysin et plus cogneu: ie vouldroy qu'on me feist raison de ces loix d'honneur qui vont si souvent chocquant et troublant celles de la raison. Aprez s'estre desfaict de son homme, veoyant les deux maistres de la querelle en pieds encores et entiers, il alla descharger son compaignon. Que pouvoit il moins? debvoit il se tenir coy, et regarder desfaire, si le sort l'eust ainsi voulu, celuy pour la deffense duquel il estoit là venu? ce qu'il avoit faict iusques alors ne servoit rien à la besongne : la querelle estoit indecise. La courtoisie que vous pouvez et certes debvez faire à vostre ennemy, quand vous l'avez reduict en mauvais termes et à quelque grand desadvantage, ie ne veoy pas comment vous la puissiez faire, quand il va de l'interest

Chroniques de Monstrelet, vol. I, c. 9. C.

2 Pour la plaine de Thyrée. HERODOTE, I, 82; PAUSANIAS, X, 9; ATHÉNÉE, XV, 6, etc. J. V. L.

3 Montaigne ne parle pas de ce duel dans les notes recueillies sur son voyage en Italie, et imprimées en 1774. Matecoulom, ou Mattecoulon, un des cinq frères de Montaigne, l'accompagnait dans ce voyage; et l'on voit, tom. II, pag. 518, qu'il protita de son séjour en Italie pour apprendre l'escrime. Mais comme il paraît n'avoir commencé à s'y appliquer d'une manière suivie que vers le milieu du mois d'octobre 1581, il est probable qu'il ne prit part à ce duel qu'après le départ de son frère. J. V. L.

4 On peut voir tout le détail de cette affaire dans les Mémoires de Brantame, touchant les duels, p. 111 et 112. C.

d'aultruy, où vous n'estes que suyvant, où la dispute n'est pas vostre : il ne pouvoit estre ny iuste, ny courtois, au hazard de celuy auquel il s'estoit presté. Aussi feut il delivré des prisons d'Italie par une bien soubdaine et solenne recommendation de nostre roy. Indiscrette nation! nous ne nous contentons pas de faire sçavoir nos vices et folies au monde, par reputation; nous allons aux nations estrangieres pour les leur faire veoir en presence! Mettez trois François aux deserts de Libye, ils ne seront par un mois ensemble sans se harceler et esgratigner; vous diriez que cette peregrination est une partie dressee pour donner aux estrangiers le plaisir de nos tragedies, et le plus souvent à tels qui s'esiouïssent de nos maulx et qui s'en mocquent. Nous allons apprendre en Italie à escrimer, et l'exerceons aux despens de nos vies, avant que de le sçavoir; si fauldroit il, suyvant l'ordre de la discipline, mettre la theorique' avant la practique : nous trahissons nostre apprentissage:

Primitiæ iuvenis miseræ, bellique propinqui
Dura rudimenta"!

le sçay bien que c'est un art utile à sa fin mesme (au duel des deux princes cousins germains, en Espaigne, le plus vieil, dict Tite Live3, par l'adresse des armes et par ruse, surmonta facilement les forces estourdies du plus ieune); et art, comme i'ay cogneu par experience, duquel la cognoissance a grossy le cœur à aulcuns oultre leur mesure naturelle; mais ce n'est pas proprement vertu, puis qu'elle tire son appuy de l'adresse, et qu'elle prend aultre fondement que de soy mesme. L'honneur des combats consiste en la ialousie du courage, non de la science : et pourtant ay ie veu quel qu'un de mes amis, renommé pour grand maistre en cet exercice, choisir en ses querelles des armes qui luy ostassent le moyen de cet advantage, et lesquelles dependoient entierement de la fortune et de l'asseurance, à fin qu'on n'attribuast sa victoire plustost à son escrime qu'à sa valeur; et en mon enfance, la noblesse fuyoit la reputation de bien escrimer comme iniurieuse, et se desrobboit pour l'apprendre, comme un mestier de

Nous disons aujourd'hui théorie, quoique nous avons conservé pratique : c'est une bizarrerie de l'usage. Mouillez-vous pour seicher, ou scichez-vous pour mouiller? Ie n'entens point la theorique : la practique, ie m'en ayde quelque pou. RABELAIS, 1. 1, c. 5. Les Italiens, dit Brantôme en parlant des duels, sont estez les premiers fondateurs de ces combats et de leurs poinctilles, et en ont tres bien sceu les theoriques et practiques, p. 179. C.

2 Tristes épreuves d'un jeune courage! funeste apprentissage d'une guerre prochaine! VIRG. Encide, XI, 156. 3 L. XXVIII, c. 21. C.

subtilité desrogeant à la vraye et naïfve vertu. | particulieres, et peculierement destinees à cet usa

Non schivar, non parar, non ritirarsi
Voglion costor, nè quì destrezza ha parte;
Non danno i colpi or finti, or pieni, or scarsi :
Toglie l' ira e 'l furor l'uso dell' arte.
Odi le spade orribilmente urtarsi

A mezzo il ferro; il piè d' orma non parte : Sempre è il piè fermo, e la man sempre in moto; Nè scende taglio in van, nè punta a voto1. Les butes, les tournois, les barrieres, l'image des combats guerriers, estoient l'exercice de nos peres : cet aultre exercice est d'autant moins noble, qu'il ne regarde qu'une fin privee, qui nous apprend à nous entreruyner, contre les loix et la iustice, et qui, en toute façon, produict tousiours des effects dommageables. Il est bien plus digne et mieulx seant de s'exercer en choses qui asseurent, non qui offensent nostre police, qui regardent la publicque seureté et la gloire commune. Publius Rutilius3, consul, feut le premier qui instruisit le soldat à manier ses armes par adresse et science, qui conioignit l'art à la vertu; non pour l'usage de querelle privee, ce feut pour la guerre et querelles du peuple romain; escrime populaire et civile: et oultre l'exemple de Cesar, qui ordonna aux siens de tirer principalement au visage des gentsdarmes de Pompeius, en la battaille de Pharsale, mille aultres chefs de guerre se sont ainsin advisez d'inventer nouvelle forme d'armes, nouvelle forme de frapper et de se couvrir, selon le besoing de l'affaire present.

Mais, tout ainsi que Philopomen3 condemna la luicte, en quoy il excelloit, d'autant que les preparatifs qu'on employoit à cet exercice estoient divers à ceulx qui appartiennent à la discipline militaire, à laquelle seule il estimoit les gents d'honneur se debvoir amuser : il me semble aussi que cette adresse à quoy on façonne ses membres, ces destours et mouvements à quoy on dresse la ieunesse en cette nouvelle eschole, sont non seulement inutiles, mais contraires plustost et dommageables à l'usage du combat militaire; aussi y employent communement nos gents des armes

Ils ne veulent ni esquiver, ni parer, ni fuir; l'adresse n'a point de part à leur combat; leurs coups ne sont point simulés, tantôt directs, tantôt obliques; la colère, la fureur leur ôte l'usage de l'art. Écoutez l'horrible choc de leurs épées qui se heurtent leurs pieds sont toujours fermes, toujours immobiles, et leurs mains toujours en mouvement; de la taille, de la pointe, leurs coups ne sont jamais sans effet. TORQUATO TASSO, Gerusal. liberata, c. XII, stanz. 55.

2 Motte de terre eslevee, respondant à une semblable opposite, par iuste intervalle d'un iect d'arc ou d'arbaleste; au hault et milieu desquelles il y a un blanc à viser, pour exercer les archers et arbalestriers. NICOT.

3 VALÈRE MAXIME, II, 3, 2. C.

4 PLUTARQUE, César, c. 12. C.

5 ID. Philopamen, c. 12. C.

ge; et i'ai veu qu'on ne trouvoit gueres bon qu'un gentilhomme, convié à l'espee et au poignard, s'offrist en equippage de gentdarme; ny qu'un aultre offrist d'y aller avecques sa cappe1, au lieu du poignard. Il est digne de consideration que Lachez, en Platon2, parlant d'un apprentissage de manier les armes, conforme au nostre, dict n'avoir iamais de cette eschole veu sortir nul grand homme de guerre, et nommeement des maistres d'icelle quant à ceulx là, nostre experience en dict bien autant. Du reste, au moins pouvons nous tenir que ce sont suffisances de nulle relation et correspondance; et en l'institution des enfants de sa police, Platon 3 interdict les arts de mener les poings, introduictes par Amycus et Epeius, et de luicter, par Antæus et Cercyo, parce qu'elles ont aultre but que de rendre la ieunesse plus apte au service bellique, et n'y conferent point. Mais ie m'en vois un peu bien à gauche de mon theme.

L'empereur Maurice estant adverty, par songes et plusieurs prognosticques, qu'un Phocas, soldat pour lors incogneu, le debvoit tuer, demandoit à son gendre Philippus, qui estoit ce Phocas, sa nature, ses conditions et ses mœurs; et comme, entre aultres choses, Philippus luy dict qu'il estoit lasche et craintif, l'empereur conclud incontinent par là qu'il estoit doncques meurtrier et cruel. Qui rend les tyrans si sanguinaires? c'est le soing de leur seureté, et que leur lasche cœur ne leur fournit d'aultres moyens de s'asseurer, qu'en exterminant ceulx qui les peuvent offenser, iusques aux femmes, de peur d'une esgratigneure :

Cuncta ferit, dum cuncta timet 6.

Les premieres cruautez s'exercent pour elles mesmes; de là s'engendre la crainte d'une iuste revenche, qui produict aprez une enfileure de nouvelles cruautez, pour les estouffer les unes par les aultres. Philippus, roy de Macedoine, celuy qui eut tant de fusees à desmesler avecques le peuple romain, agité de l'horreur des meurtres commis par son ordonnance, ne se pouvant asseurer ny

C'est-à-dire, en habit de guerre. Cappe, chlamys, sagum militare. NICOT. C.

2 Dans le dialogue de Platon intitulé Lachès, p. 247. C. 3 Traité des Lois, 1. VII', p. 630. C.

4 Et n'y contribuent point. - Conférer, en ce sens, est purement latin.

5 ZONARAS et CÉDRÉNUS, dans le règne de cet empereur. Mais celui à qui Maurice fit cette question s'appelait Philippicus; et il n'était pas son gendre, mais son beau-frère. C.

6 Il frappe tout, parce qu'il craint tout. CLAUDIEN, in Eutrop. I, 182.

resouldre contre tant de familles en divers temps | proposition, faict apprest d'armes et de poison, et

offensees, print party de se saisir de touts les enfants de ceulx qu'il avoit faict tuer, pour, de iour en iour, les perdre l'un aprez l'aultre, et ainsin establir son repos '.

Les belles matieres siesent bien, en quelque place qu'on les seme: moy, qui ay plus de soing du poids et utilité des discours, que de leur ordre et suitte, ne dois pas craindre de loger icy, un peu à l'escart, une tres belle histoire. Quand elles sont si riches de leur propre beaulté, et se peuvent seules trop soustenir, ie me contente du bout d'un poil pour les ioindre à mon propos 2. Entre les aultres condemnez par Philippus3, avoit esté un Herodicus, prince des Thessaliens: aprez luy, il avoit encores depuis faict mourir ses deux gendres, laissants chascun un fils bien petit. Theoxena et Archo estoient les deux veufves. Theoxena ne peut estre induicte à se remarier, en estant fort poursuyvie. Archo espousa Poris, le premier homme d'entre les Aeniens, et en eut nombre d'enfants, qu'elle laissa touts en bas aage. Theoxena, espoinçonnee 4 d'une charité maternelle envers ses nepveux, pour les avoir en sa conduicte et protection, espousa Poris. Voycy venir la proclamation de l'edict du roy. Cette courageuse mere se desfiant et de la cruauté de Philippus, et de la licence de ses satellites envers cette belle et tendre ieunesse, osa dire qu'elle les tueroit plustost de ses mains que de les rendre. Poris, effrayé de cette protestation, luy promet de les desrobber et emporter à Athenes, en la garde d'aulcuns siens hostes fideles. Ils prennent occasion d'une feste annuelle qui se celebroit à Aenie, en l'honneur d'Aeneas, et s'y en vont. Ayants assisté, le iour, aux cerimonies et banquet publicque, la nuict ils s'escoulent dans un vaisseau preparé, pour gaigner païs par mer. Le vent leur feut contraire; et se trouvants le lendemain à la veue de la terre d'où ils avoient desmaré, feurent suyvis par les gardes des ports. Au ioindre 5, Poris s'embesongnant à haster les mariniers pour la fuitte, Theoxena, forcenee d'amour et de vengeance, se reiectant à sa premiere

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les presentant à leur veue : « Or sus, mes enfants, la mort est meshuy le seul moyen de vostre deffense et liberté, et sera matiere aux dieux de leur saincte iustice: ces espees traictes, ces couppes pleines, vous en ouvrent l'entree; courage! Et toy, mon fils, qui es plus grand, empoigne ce fer, pour mourir de la mort plus forte 1.» Ayants d'un costé cette vigoreuse conseillere, les ennemis de l'aultre à leur gorge, ils coururent de furie chascun à ce qui luy feut le plus à main; et, demy morts, feurent iectez en la mer. Theoxena, fiere d'avoir si glorieusement pourveu à la seureté de touts ses enfants, accollant chauldement son mary: « Suyvons ces garsons, mon amy; et iouïssons de mesme sepulture avecques eulx. » Et se tenants ainsin embrassez, se precipiterent; de maniere que le vaisseau feut ramené à bord, vuide de ses maistres.

Les tyrans, pour faire touts les deux ensemble, et tuer, et faire sentir leur cholere, ont employé toute leur suffisance à trouver moyen d'alonger la mort. Ils veulent que leurs ennemis s'en aillent, mais non pas si viste qu'ils n'ayent loisir de savourer leur vengeance 2. Là dessus ils sont en grand' peine car si les torments sont violents, ils sont courts; s'ils sont longs, ils ne sont pas assez douloureux à leur gré les voylà à dispenser leurs engeins. Nous en veoyons mille exemples en l'antiquité; et ie ne sçay si, sans y penser, nous ne retenons pas quelque trace de cette barbarie.

Tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté 3. Nostre iustice ne peult esperer que celuy que la crainte de mourir, et d'estre descapité, ou pendu, ne gardera de faillir, en scit empesché par l'imagination d'un feu languissant, ou des tenailles, ou de la roue. Et ie ne sçay ce pendant, si nous les iectons au desespoir; car en quel estat peult estre l'ame d'un homme attendant vingt quatre heures la mort, brisé sur une roue, ou, à la vieille façon, cloué à une croix? Iosephe 4 recite que pendant

1 Plus noble, plus courageuse. Tite-Live ajoute : Aut haurite poculum, si segnior mors juvat. J. V. L.

2 Allusion au mot de Caligula : « Je veux qu'il se sente mourir. » SUÉTONE, Caligul. c. 30. J. V. L.

3 Montaigne exprime la même pensée dans les mêmes termes, liv. II, chap. II. Dans la censure que les Essais eurent à subir pendant le séjour de Montaigne à Rome, on lui reprocha d'avoir estimé cruauté ce qui est au delà de la mort simple. (Voyage, t. II, p. 36.) Le frater françois qui fut chargé de cet examen par le maestro del sacro palazzo, dut être surtout choqué de voir cette proposition malsonnante répétée deux fois. J. V. L.

4 Dans l'Histoire de sa vie, sur la fin. C.

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