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querelleuse gourmande tousiours l'amoureuse ardeur; et cette cy, encores que ce feust hors sa naturelle saison, ne regaigna pleinement l'auctorité souveraine, que quand il se trouva en grande vieillesse, incapable de plus soustenir le fais des guerres.

Ce qu'on recite, pour un exemple contraire, de Ladislaus, roy de Naples, est remarquable; que, bon capitaine, courageux et ambitieux, il se proposoit pour fin principale de son ambition, l'execution de sa volupté, et iouïssance de quelque rare beaulté. Sa mort feut de mesme: ayant rengé, par un siege bien poursuyvy, la ville de Florence si à destroict, que les habitants estoient aprez à composer de sa victoire; il la leur quitta, pourveu qu'ils luy livrassent une fille de leur ville, dequoy il avoit ouy parler, de beaulté excellente : force feut de la luy accorder, et guarantir la publicque ruyne par une iniure privee. Elle estoit fille d'un medecin fameux de son temps, lequel se trouvant engagé en si vilaine necessité, se resolut à une haulte entreprinse. Comme chascun paroit sa fille et l'attournoit d'ornements et ioyaux qui la peussent rendre agreable à ce nouvel amant, luy aussi luy donna un mouchoir exquis en senteur et en ouvrage, duquel elle eust à se servir en leurs premieres approches : meuble qu'elles n'y oublient gueres, en ces quartiers là. Ce mouchoir, empoisonné selon la capacité de son art, venant à se frotter à ces chairs esmeues et pores ouverts, inspira son venin si promptement, qu'ayant soubdain changé leur sueur chaulde en froide, ils expirerent entre les bras l'un de l'aultre'.

Je m'en revois à Cesar. Ses plaisirs ne luy feirent iamais desrobber une seule minute d'heure, ny destourner un pas, des occasions qui se presentoient pour son aggrandissement : cette passion regenta en luy si souverainement toutes les aultres, et posseda son ame d'une auctorité si pleine, qu'elle l'emporta où elle voulut. Certes, i'en suis despit, quand ie considere, au demourant, la grandeur de ce personnage et les merveilleuses parties qui estoient en luy; tant de suffisance en toute sorte de sçavoir, qu'il n'y a quasi science en quoy il n'ayt escript2 : il estoit tel orateur, que plusieurs ont preferé son eloquence à

1 Pandolfe Collenuccio rapporte ce fait comme un bruit vulgaire, mais douteux, Hist. Neap. I. V, p. 216, 247, édit. de Bale, 1572. Giannone, Istor. civ del regno di Nap. XXIV, 8, adopte une tradition différente. Montaigne a fait aussi des changements et des additions aux circonstances fabuleuses de ce récit. Voy. les auteurs cités par M. de Sismondi, Hist. des Républiques italiennes, t. VIII, p. 210. J. V. L.

2 SUÉTONE, dans la Vie de César, c. 55 et 56, parle de ses ouvrages de grammaire, d'éloquence, d'histoire; il cite ses

encores

celle de Cicero; et luy mesme, à mon advis, n'estimoit luy debvoir gueres en cette partie; et ses deux Anticatons feurent principalement escripts pour contrebalancer le bien dire que Cicero avoit employé en son Caton. Au demourant, feut il iamais ame si vigilante, si actifve, et si patiente de labeur, que la sienne? et sans doubte, estoit elle embellie de plusieurs rares semences de vertu; ie dis vifves, naturelles, et non contrefaictes: il estoit singulierement sobre, et si peu delicat en son manger, qu'Oppius' recite qu'un iour luy ayant esté presenté à table, en quelque saulse, de l'huyle medecinee, au lieu d'huyle simple, il en mangea largement, pour ne faire honte à son hoste; une aultre fois, il feit fouetter son boulenger, pour luy avoir servy d'aultre pain que celuy du commun. Caton mesme avoit accoustumé de dire de luy, que c'estoit le premier homme sobre qui se feust acheminé à la ruyne de son païs3. Et quant à ce que ce mesme Caton l'appella un iour yvrongne, cela adveint en cette façon. Estants touts deux au senat, où il se parloit du faict de la coniuration de Catilina, de laquelle Cesar estoit souspeçonné, on luy veint apporter de dehors un brevet 4, à cachettes : Caton estimant que ce feust quelque chose dequoy les coniurez l'advertissent, le somma de le luy donner; ce que Cesar feut contrainct de faire, pour eviter un plus grand souspeçon : c'estoit, de fortune, une lettre amoureuse que Servilia, sœur de Caton, luy escrivoit. Caton l'ayant leue, la luy reiecta, en luy disant : « Tiens, yvrongne 5. » Cela, dis ie, feut plustost un mot de desdaing et de cholere, qu'un exprez reproche de ce vice; comme souvent nous iniurions ceulx qui nous faschent, des premieres iniures qui nous viennent à la bouche, quoy qu'elles ne soyent nullement deues à ceulx à qui nous les attachons : ioinct que ce vice que Caton luy reproche est merveilleusement voysin de celuy auquel il avoit surprins Cesar; car Venus et Bacchus se conviennent volontiers, à ce que dict le proverbe: mais chez moy Venus est bien plus alaigre, accompaignee de la sobrieté.

Les exemples de sa doulceur et de sa clemence

lettres au sénat, à Cicéron, à ses amis ; il y joint des poèmes, une tragédie d'OEdipe, des recueils d'apophthegmes, qu’Auguste défendit de publier. On lui attribuait aussi des livres sur les Augures et une Cosmographie, qui peut-être furent seulement composés par ses ordres. J. V. L.

I Dans SUETONE, César, c. 53. C.

2 ID. ibid. c. 48.-On sait que, chez les Romains, tous les artisans étaient des esclaves. E. J.

3 In. ibid. c. 53. C.

4 Un billet, une lettre. E. J.

5 PLUTARQUE, Caton d'Utique, e. 7. C.

envers ceulx qui l'avoient offensé sont infinis; ie | nation, lorsque toutes choses estants reduictes dis oultre ceulx qu'il donna pendant le temps que en sa main, il n'avoit plus à se feindre. Caïus la guerre civile estoit encores en son progrez, Memmius avoit escript contre luy des oraisons desquels il faict luy mesme assez sentir, par ses tres poignantes, ausquelles il avoit bien aigreescripts, qu'il se servoit pour amadouer ses en- ment respondu; si ne laissa il bientost aprez nemis, et leur faire moins craindre sa future do- d'ayder à le faire consul1. Caïus Calvus, qui mination et sa victoire. Mais si fault il dire que avoit faict plusieurs epigrammes iniurieux conces exemples là, s'ils ne sont suffisants à nous tes- tre luy, ayant employé de ses amis pour le reconmoigner sa naïfve doulceur', ils nous monstrent cilier, Cesar se convia luy mesme à luy escrire au moins une merveilleuse confiance et grandeur le premier; et nostre bon Catulle, qui l'avoit de courage en ce personnage: Il luy est advenu testonné si rudement sous le nom de Mamurra 2, souvent de renvoyer des armees toutes entieres à s'en estant venu excuser à luy, il le feit ce iour son ennemy, aprez les avoir vaincues, sans dai- mesme soupper à sa table 3. Ayant esté adverty gner seulement les obliger par serment, sinon de d'aulcuns qui parloient mal de luy, il n'en feit le favoriser, au moins de se contenir sans luy faire aultre chose que declarer, en une sienne haranla guerre : Il a prins trois et quatre fois tels capi- gue publicque, qu'il en estoit adverty 4. Il craitaines de Pompeius, et autant de fois remis en li- gnoit encores moins ses ennemis, qu'il ne les berté 2: Pompeius declaroit ses ennemis touts ceulx haïssoit aulcunes coniurations et assemblees qui ne l'accompaignoient à la guerre; et luy, feit qu'on faisoit contre sa vie luy ayants esté desproclamer qu'il tenoit pour amis touts ceulx qui ne couvertes, il se contenta de publier, par edict, bougeoient, et qui ne s'armoient effectuellement qu'elles luy estoient cogneues, sans aultrement contre luy 3: A ceulx de ses capitaines qui se des- en poursuyvre les aucteurs 5. Quant au respect robboient de luy, pour aller prendre aultre con- qu'il avoit à ses amis, Caïus Oppius voyageant dition, il renvoyoit encores les armes, chevaulx, avecques luy, et se trouvant mal, il luy quitta et equippages: Les villes qu'il avoit prinses par un seul logis qu'il y avoit, et coucha toute la force, il les laissoit en liberté de suyvre tel party nuict sur la dure et au descouvert. Quant à sa qu'il leur plairoit, ne leur donnant aultre garni- iustice, il feit mourir un sien serviteur qu'il ayson que la memoire de sa doulceur et clemence : moit singulierement, pour avoir couché avecques Il deffendit, le iour de sa grande battaille de la femme d'un chevalier romain, quoy que perPharsale, qu'on ne meist qu'à toute extremité la sonne ne s'en plaignist 7. Iamais homme n'apporta main sur les citoyens romains 4. Voylà des traicts ny plus de moderation en sa victoire, ny plus de bien hazardeux, selon mon iugement et n'est resolution en la fortune contraire. pas merveilles si, aux guerres civiles que nous sentons, ceulx qui combattent, comme luy, l'estat ancien de leur païs, n'en imitent l'exemple; ce sont moyens extraordinaires, et qu'il n'appartient qu'à la fortune de Cesar, et à son admirable pourvoyance, de heureusement conduire. Quand ie considere la grandeur incomparable de cette ame, l'excuse la victoire de ne s'estre peu despestrer de luy, voire en cette tres iniuste et tres inique cause.

Pour revenir à sa clemence, nous en avons plusieurs naïfs exemples au temps de sa domi

1 Montaigne, liv. II, c. II, parle avec plus de justesse de cette prétendue clémence de César. Suétone même, c. 75, compte dans la vie de César quelques actes de cruauté, et il n'a pas tout dit. N'était-ce point, par exemple, une tyrannie que de condamner sans jugement à un exil éternel, et de priver ainsi de tous leurs droits de citoyens, les Plancius, les Nigidius, les Cécina, qui n'avaient d'autre tort que d'avoir defendu le sénat et les lois? J. V. L.

2 Cn. Magius, L. Vibullius Rufus, etc. CÉSAR, de Bell. civ. I, 24; III, 10, etc. J. V. L.

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Mais toutes ces belles inclinations feurent alterees et estouffees par cette furieuse passion ambitieuse à laquelle il se laissa si fort emporter, qu'on peult ayseement maintenir qu'elle tenoit le timon et le gouvernail de toutes ses actions: d'un homme liberal, elle en rendit un voleur publicque, pour fournir à cette profusion et largesse, et luy feit dire ce vilain et tres iniuste mot, << que si les plus meschants et perdus hommes du monde luy avoient esté fideles au service de son aggrandissement, il les cheriroit et advanceroit de son pouvoir, aussi bien que les plus gents de bien; l'enyvra d'une vanité si extreme, qu'il osoit se vanter, en presence de ses concitoyens, « d'avoir rendu cette grande republique romaine

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1 SUÉTONE, César, c. 73. C.

2 CATULLE, Carm. 29. J. V. L.
3 SUÉTONE, César, c. 73. C.

4 ID. ibid. c. 75. C.

5 ID. ibid. C.

6 ID. ibid. c. 72. C.

7 ID. ibid. c. 48. C.

8 ID. ibid. c. 72. C.

visage1.

Pour en dire mon advis, i̇'admire telles actions plus que ie ne les honnore : ces excez sont ennemis de mes reigles. Le desseing en feut beau et conscientieux, mais, à mon advis, un peu manque de prudence: quoy, si sa laideur servit depuis à en iecter d'aultres au peché de mespris et de haine; ou d'envie, pour la gloire d'une si rare recommendation; ou de calomnie, interpretant cette humeur à une forcenee ambition? y a il quelque forme de laquelle le vice ne tire, s'il veult, occasion à s'exercer en quelque maniere? Il estoit plus iuste et aussi plus glorieux, qu'il feist de ces dons de Dieu un subiect de vertu exemplaire et de reiglement.

un nom sans forme et sans corps; » et dire « que | que nature avoit si curieusement observee en son ses responses debvoient meshuy servir de loix'; et recevoir assis le corps du senat venant vers luy 2; et souffrir qu'on l'adorast et qu'on luy feist en sa presence des honneurs divins. Somme, ce seul vice, à mon advis, perdit en luy le plus beau et le plus riche naturel qui feut oncques; et a rendu sa memoire abominable à touts les gents de bien, pour avoir voulu chercher sa gloire en la ruyne de son païs et subversion de la plus puissante et fleurissante chose publicque que le monde verra iamais. Il se pourroit bien, au contraire, trouver plusieurs exemples de grands personnages ausquels la volupté a faict oublier la conduicte de leurs affaires, comme Marcus Antonius, et aultres; mais où l'amour et l'ambition seroient en eguale balance, et viendroient à se chocquer de forces pareilles, ie ne fois aulcun doubte que cette cy ne gaignast le prix de la maistrise.

Ceulx qui se desrobbent aux offices communs, et à ce nombre infiny de reigles espineuses à tant de visages, qui lient un homme d'exacte preud'hommie en la vie civile, font, à mon gré, une belle espargne, quelque poincte d'aspreté peculiere qu'ils s'enioignent c'est aulcunement mourir pour fuyr la peine de bien vivre. Ils peuvent avoir aultre prix; mais le prix de la difficulté, il ne m'a iamais semblé qu'ils l'eussent,

Or, pour me remettre sur mes brisees, c'est beaucoup de pouvoir brider nos appetits par le discours de la raison, ou de forcer nos membres, par violence, à se tenir en leur debvoir: mais de nous fouetter pour l'interest de nos voysins; de non seulement nous desfaire de cette doulce pas-ny qu'en mal aysance il y aye rien au delà de se sion qui nous chatouille, du plaisir que nous sentons de nous veoir agreables à aultruy, et aymez et recherchez d'un chascun, mais encores de prendre en haine et à contrecœur nos graces qui en sont cause, et condemner nostre beaulté, parce que quelque aultre s'en eschauffe, ie n'en ay veu gueres d'exemples: cettuy cy en est. Spurina, ieune homme de la Toscane,

Qualis gemma micat, fulvum quæ dividit aurum,
Aut collo decus, aut capiti; vel quale per artem
Inclusum buxo, aut Oricia terebintho,
Lucet ebur3,

estant doué d'une singuliere beaulté, et si ex-
cessifve que les yeulx plus continents ne pou-
voient en souffrir l'esclat continemment, ne se
contentant point de laisser sans secours tant de
fiebvre et de feu, qu'il alloit attisant par tout,
entra en furieux despit contre soy mesme et
contre ces riches presents que nature luy avoit
faicts, comme si on se debvoit prendre à eulx
de la faulte d'aultruy, et detailla et troubla, à
force de playes qu'il se feit à escient, et de ci-
catrices, la parfaicte proportion et ordonnance

I SUÉTONE, César, c. 77. C.

21D. ibid. c. 78. C.

3 Comme brille un diamant enchâssé dans l'or, superbe ornement d'un collier ou d'une couronne; ou comme l'ivoire éclate environné de buis ou de térébinthe. VIRG. En. X, 134.

tenir droict emmy les flots de la presse du monde, respondant et satisfaisant loyalement à touts les membres de sa charge. Il est à l'adventure plus facile de se passer nettement de tout le sexe, que de se maintenir deuement de tout poinct en la compaignie de sa femme; et a lon dequoy couler plus incurieusement en la pauvreté, qu'en l'abondance iustement dispensee: l'usage conduict selon raison a plus d'aspreté que n'a l'abstinence; la moderation est vertu bien plus affaireuse que n'est la souffrance. Le bien vivre du ieune Scipion a mille façons; le bien vivre de Diogenes n'en a qu'une cette cy surpasse d'autant en innocence les vies ordinaires, comme les exquises et accomplies la surpassent en utilité et en force.

CHAPITRE XXXIV.

Observations sur les moyens de faire la guerre, de Iulius Cesar.

On recite de plusieurs chefs de guerre, qu'ils ont eu certains livres en particuliere recommendation; comme le grand Alexandre, Homere; Scipion Africain, Xenophon; Marcus Brutus, Po

VALÈRE MAXIME, IV, 5, ext. I. C.

lybius; Charles cinquiesme, Philippe de Comines; et dict on, de ce temps, que Machiavel est encores ailleurs en credit. Mais le feu mareschal Strozzi', qui avoit prins Cesar pour sa part, avoit sans doubte bien mieulx choisy; car, à la verité, ce debvroit estre le breviaire de tout homme de guerre, comme estant le vray et souverain patron de l'art militaire et Dieu sçait encores de quelle grace et de quelle beaulté il a fardé cette riche matiere, d'une façon de dire si pure, si delicate et si parfaicte, qu'à mon goust il n'y a aucuns escripts au monde qui puissent estre comparables aux siens en cette partie.

le veulx icy enregistrer certains traicts particuliers et rares, sur le faict de ses guerres, qui

me sont demeurez en memoire.

Son armee estant en quelque effroy, pour le bruict qui couroit des grandes forces que menoit contre luy le roy Iuba; au lieu de rabbattre l'opinion que ses soldats en avoient prinse, et appetisser les moyens de son ennemy, les ayant faict assembler pour les rasseurer et leur donner courage, il print une voye toute contraire à celle que nous avons accoustumé; car il leur dict qu'ils ne se meissent plus en peine de s'enquerir des forces que menoit l'ennemy, et qu'il en avoit eu bien certain advertissement: et lors il leur en feit le nombre surpassant de beaucoup et la verité et la renommee qui en couroit dans son armee; suyvant ce que conseille Cyrus en Xenophon; d'autant que la tromperie n'est pas de tel interest3, de trouver les ennemis par effect plus foibles qu'on n'avoit esperé, que de les trouver à la verité bien forts, aprez les avoir iugez foibles par reputation.

Il accoustumoit sur tout ses soldats à obeïr simplement, sans se mesler de contrerooller ou parler des desseings de leur capitaine, lesquels il ne leur communiquoit que sur le poinct de l'execution et prenoit plaisir, s'ils en avoient descouvert quelque chose, de changer sur le champ d'advis, pour les tromper; et souvent, pour cet effect, ayant assigné un logis en quelque lieu, il passoit oultre, et alongeoit la iournee, notamment s'il faisoit mauvais temps et pluvieux 4.

Les Souysses, au commencement de ses guerres de Gaule, ayants envoyé vers luy pour leur do nner passage au travers des terres des Romains, estant deliberé de les empescher par force, il leur contrefeit toutesfois un bon visage, et print quel

1 Pierre Strozzi, Florentin au service de France, tué au siége de Thionville, le 20 de juin 1588. J. V. L.

2 SUÉTONE, César, c. 66. C.

3 Ed. de 1588, fol. 315, n'est pas si grande.

4 SUÉTONE, César, c. 65. C.

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ques fours de delay à leur faire response, pour se servir de ce loisir à assembler son armee 1. Ces pauvres gents ne sçavoient pas combien il estoit excellent mesnagier du temps; car il redict maintesfois que c'est la plus souveraine partie d'un capitaine que la science de prendre au poinct les occasions, et la diligence, qui est en ses exploicts, à la verité, inouïe et incroyable.

S'il n'estoit pas fort conscientieux en cela, de prendre advantage sur son ennemy, soubs couleur d'un traicté d'accord, il l'estoit aussi peu en ce qu'il ne requeroit en ses soldats aultre vertu que la vaillance, ny ne punissoit gueres aultres vices que la mutination et la desobeïssance. Souvent, aprez ses victoires, il leur laschoit la bride à toute licence, les dispensant pour quelque temps. des reigles de la discipline militaire; adioustant à cela, qu'il avoit des soldats si bien creez, que, touts parfumez et musquez, ils ne laissoient pas d'aller furieusement au combat. De vray, il aymoit qu'ils feussent richement armez, et leur faisoit porter des harnois gravez, dorez et argentez, à fin que le soing de la conservation de leurs armes les rendist plus aspres à se deffendre 3. Parlant à eulx, il les appelloit du nom de Compaignons 4, que nous usons encore: ce qu'Auguste, son successeur, reforma, estimant qu'il l'avoit faict pour la necessité de ses affaires, et pour flatter le cœur de ceulx qui ne le suyvoient que volontairement;

Rheni mihi Cæsar in undis

Dux erat; hic socius: facinus quos inquinat, æquat 5; mais que cette façon estoit trop rabbaissee pour la dignité d'un empereur et general d'armee, et remeit en train de les appeller seulement Soldats 6.

A cette courtoisie, Cesar mesloit toutesfois une grande severité à les reprimer : la neufviesme legion s'estant mutinee auprez de Plaisance, il la cassa avecques ignominie, quoy que Pompeius feust lors encores en pieds, et ne la receut en grace qu'avecques plusieurs supplications: il les rappaisoit plus par auctorité et par audace, que par doulceur 7.

Là où il parle de son passage de la riviere du Rhin, vers l'Allemaigne, il dict qu'estimant

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I

digne de l'honneur du peuple romain qu'il pas- | l'Espaigne, où il passa des difficultez extremes sast son armee à navires, il feit dresser un pont, à fin qu'il passast à pied ferme1. Ce fut là qu'il bastit ce pont admirable, dequoy il deschiffre particulierement la fabrique : car il ne s'arreste si volontiers en nul endroict de ses faicts, qu'à nous representer la subtilité de ses inventions en telle sorte d'ouvrages de main.

I'y ay aussi remarqué cela, qu'il faict grand cas de ses exhortations aux soldats avant le combat : car où il veult monstrer avoir esté surprins ou pressé, il allegue tousiours cela, qu'il n'eut pas seulement loisir de haranguer son armee. Avant cette grande battaille contre ceulx de Tournay: « Cesar, diet il 2, ayant ordonné du reste, courut soubdainement où la fortune le porta, pour exhorter ses gents; et rencontrant la dixiesme legion, il n'eut loisir de leur dire, sinon Qu'ils eussent souvenance de leur vertu accoustumee; qu'ils ne s'estonnassent point, et sousteinssent hardiement l'effort des adversaires : et parce que l'ennemy estoit desia approché à un iect de traict, il donna le signe de la battaille; et de là estant passé soubdainement ailleurs pour en encourager d'aultres, il trouva qu'ils estoient desia aux prinses. » Voylà ce qu'il en dict en ce lieu là. De vray, sa langue lui a faict en plusieurs lieux de bien notables services; et estoit, de son temps mesme, son eloquence militaire en telle recommendation, que plusieurs en son armee recueilloient ses harangues; et par ce moyen, il en feut assemblé des volumes qui ont duré long temps aprez luy. Son parler avoit des graces particulieres; si que ses familiers, et entre aultres Auguste, oyant reciter ce qui en avoit esté recueilly, recognoissoit, iusques aux phrases et aux mots, ce qui n'estoit pas du sien 3.

La premiere fois qu'il sortit de Rome avecques charge publicque, il arriva en huict iours à la riviere du Rhosne, ayant dans son coche, devant luy, un secretaire ou deux qui escrivoient sans cesse; et derriere luy, celuy qui portoit son espee 5. Et certes, quand on ne feroit qu'aller, à peine pourroit on attaindre à cette promptitude dequoy, tousiours victorieux, ayant laissé la Gaule, et suyvant Pompeius à Brindes, il subiugua l'Italie en dix huict iours; reveint de Brindes à Rome; de Rome il s'en alla au fin fond de

CÉSAR, de Bell. gall. IV, 17. J. V. L.

2 ID. ibid. II, 21. J. V. L.

3 SUÉTONE, César, c. 55. J. V. L.

4 Edit. de 1588, sa coche.

5 PLUTARQUE, César, c. 12. C.

en la guerre contre Afranius et Petreius, et au
long siege de Marseille; de là il s'en retourna en
la Macedoine, battit l'armee romaine à Pharsale;
passa de là, suyvant Pompeius, en Aegypte,
laquelle il subiugua; d'Aegypte il veint en Syrie,
et au païs de Pont, où il combattit Pharnaces;
de là en Afrique, où il desfeit Scipion et Iuba;
et rebroussa encores, par l'Italie, en Espaigne,
où il desfeit les enfants de Pompeius :

Ocyor et cæli flammis, et tigride fœta2.
Ac veluti montis saxum de vertice præceps
Quum ruit avulsum vento, seu turbidus imber
Proluit, aut annis solvit sublapsa vetustas,
Fertur in abruptum magno mons improbus actu,
Exsultatque solo, silvas, armenta, virosque
Involvens secum 3.

Parlant du siege d'Avaricum, il dict 4 que c'estoit sa coustume de se tenir nuict et iour prez des ouvriers qu'il avoit en besongne. En toutes entreprinses de consequence, il faisoit tousiours la descouverte luy mesme, et ne passa iamais son armee en lieu qu'il n'eust premierement recogneu; et si nous croyons Suetone 5, quand il feit l'entreprinse de traiecter en Angleterre, il feut le premier à sonder le gué.

Il avoit accoustumé de dire, qu'il aymoit mieulx la victoire qui se conduisoit par conseil que par force; et en la guerre contre Petreius et Afranius, la fortune luy presentant une bien apparente occasion d'advantage, il la refusa, dict il 6, esperant, avecques un peu plus de longueur, mais moins de hazard, venir à bout de ses ennemis. Il feit aussi là un merveilleux traict, de commander à tout son ost de passer à nage la riviere sans aul

cune necessité :

Rapuitque ruens in prælia miles, Quod fugiens timuisset, iter: mox uda receptis Membra fovent armis, gelidosque a gurgite, cursu Restituunt artus 7.

Ie le treuve un peu plus retenu et consideré en ses entreprinses qu'Alexandre: car cettuy cy

1 Surpassa, surmonta. C.

2 Plus rapide que l'éclair, plus prompt que le tigre à qui on vient d'enlever ses petits. LUCAIN, V, 405.

3 Pareil à un vaste rocher, qui miné par le temps, ou arra

ché par la fureur des vents ou des eaux, tombe d'une haute

montagne, et bondissant avec un fracas horrible, entraine avec lui les arbres, les troupeaux et les pasteurs. VIRG. Æn. XII, 684.

4 De Bello gallico, VII, 24. J. V. L.

5 SUÉTONE, César, c. 58. C.

6 De Bello civili, I, 72. J. V. L.

7 Le soldat saisit, pour voler aux combats, cette route qu'il n'aurait osé prendre dans la fuite: tout mouillé, il se couvre de ses armes, et dans une course rapide, retrouve la chaleur qu'il avait perdue. LUCAIN, IV, 151

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