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vicieuses ont lieu, mais encores à leur suasion: ex senatusconsultis plebisque scitis scelera exercentur1. le suy le langage commun, qui faict difference entre les choses utiles et les honnestes, si que, d'aulcunes actions naturelles, non seulement utiles, mais necessaires, il les nomme deshonnestes et sales.

Mais continuons nostre exemple de la trahison. Deux pretendants au royaume de Thrace' estoient tumbez en debat de leurs droicts; l'empereur les empescha de venir aux armes : mais l'un d'eulx, soubs couleur de conduire un accord amiable par leur entrevue, ayant assigné son compaignon pour le festoyer en sa maison, le feit emprisonner et tuer. La iustice requeroit que les Romains eussent raison de ce forfaict; la difficulté en empeschoit les voyes ordinaires : ce qu'ils ne peurent legitimement sans guerre et sans hazard, ils entreprindrent de le faire par trahison; ce qu'ils ne peurent honnestement, ils le feirent utilement: à quoy se trouva propre un Pomponius Flaccus. Cettuy cy, soubs feinctes paroles et asseurances, ayant attiré cet homme dans ses rets, au lieu de l'honneur et faveur qu'il luy promettoit, l'envoya pieds et poings liez à Rome. Un traistre y trahit l'aultre, contre l'usage commun; car ils sont pleins de desfiance, et est malaysé de les surprendre par leur art: tesmoing la poisante experience que nous venons d'en sentir 3.

Sera Pomponius Flaccus qui vouldra, et en est assez qui le vouldront: quant à moy, et ma parole et ma foy sont, comme le demourant, pieces de ce commun corps; leur meilleur effect, c'est le service publicque; ie tiens cela pour presupposé. Mais, comme si on me commandoit que ie prinsse la charge du palais et des plaids, ie respondroy, « le n'y entens rien; » ou la charge de conducteur de pionniers, ie diroy, « le suis appellé à un roolle plus digne : » de mesme, qui me vouldroit employer à mentir, à trahir, et à me pariurer, pour quelque service notable, non que d'assassiner ou empoisonner, ie diroy, « Si i'ay

Il est des crimes autorisés par les sénatus-consultes et les plébiscites. SÉNÈQUE, Epist. 95.

2 Rhescuporis et Cotys; le premier, frère de Rhémétalcès, dernier roi des Thraces; et le second, son fils. Ce fut Tibère qui les empescha de venir aux armes. TACITE, Annal. II, 65, C.

3 Montaigne fait allusion à quelque trait de perfidie qui date de l'époque même où il écrivait. Mais dans ce temps de corruption et de troubles, il y eut tant de traits de ce genre, qu'on ne peut deviner duquel il veut parler. Ne voulait-il pas indiquer ici la feinte réconciliation qui eut lieu, en 1588 (l'année même où il faisait imprimer à Paris le troisième livre des Essais), entre Catherine de Médicis, et Henri, duc de Guise, qui se trompaient l'un l'autre? A. D.

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volé ou desrobbé quelqu'un, envoyez moy plustost en gallere. » Car il est loisible à un homme d'honneur de parler ainsi que feirent les Lacedemoniens', ayants esté desfaicts par Antipater, sur le poinct de leurs accords : « Vous nous pouvez commander des charges poisantes et dommageables, autant qu'il vous plaira; mais de honteuses et deshonnestes, vous perdrez votre temps de nous en commander. » Chascun doibt avoir iuré à soy mesme ce que les roys d'Aegypte faisoient solennellement iurer à leurs iuges 2, « qu'ils ne se desvoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu'eulx mesmes leur en feissent. » A telles commissions, il y a note evidente d'ignominie et de condemnation : et qui vous la donne, vous accuse; et vous la donne, si vous l'entendez bien, en charge et en peine. Autant que les affaires publicques s'amendent de vostre exploict, autant s'en empirent les vostres; vous y faictes d'autant pis, que mieulx vous y faictes: et ne sera pas nouveau, ny à l'adventure sans quelque air de iustice, que celuy mesme vous ruyne, qui vous aura mis en besongne.

Si la trahison peult estre en quelque cas excusable; lors seulement elle l'est, qu'elle s'employe à chastier et trahir la trahison. Il se treuve assez de perfidies, non seulement refusees, mais punies par ceulx en faveur desquels elles avoient esté entreprinses. Qui ne sçait la sentence de Fabricius à l'encontre du medecin de Pyrrhus?

Mais cecy encores se treuve, que tel l'a commandee, qui, aprez, l'a vengee rigoreusement sur celuy qu'il y avoit employé ; refusant un credit et pouvoir si effrené, et desadvouant un servage et une obeïssance si abbandonnee et si lasche, Iaropele3, duc de Russie, practiqua un gentilhomme de Hongrie pour trahir le roy de Po loigne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy cy s'y porta en galant homme 4, s'addonna plus que devant au service de ce roy, obteint d'estre de son conseil et de ses plus feaulx, Avecques ces advantages, et choisissant à poinct l'opportunité de l'absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité, qui feut entierement saccagee et arse par eulx,

I PLUTARQUE, Différence entre le flatteur et l'ami, c. 21. C, 2 ID. Apophthegmes des rois, vers le commencement. C. 3 Voyez MARTIN CROMER, de Rebus Polon. 1. V, p. 131, 132, edit. Basil. 1555. C.

4 En habile homme.-Galant homme, scitus homo, homme adroit, habile. NICOT. Il se prend ici dans le même sens. C. 5 Vislicza, ville de la haute Pologne, dans le palatinat de Sandomir, appelée en latin Vislicia. E. J.

avec occision totale, non seulement des habitants | de ses mains fouillant et arrachant son cœur, le iecta à manger aux chiens. Et à ceulx mesmes qui ne valent rien, il est si doulx, ayant tiré l'usage d'une action vicieuse, y pouvoir hormais coudre en toute seureté quelque traict de bonté et de iustice, comme par compensation et correction conscientieuse1; ioinct qu'ils regardent les ministres de tels horribles malefices comme gents qui les leur reprochent, et cherchent, par leur mort, d'estouffer la cognoissance et tesmoignage de telles menees.

d'icelle de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu'il y avoit assemblé à ces fins. Iaropelc, assouvy de sa vengeance et de son courroux, qui pourtant n'estoit pas sans tiltre (car Boleslaus l'avoit fort offensé, et en pareille conduicte), et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nue et seule, et la regarder d'une veue saine et non plus troublee par sa passion, la print à un tel remors et contrecœur, qu'il en feit crever les yeulx, et coupper la langue et les parties honteuses à son

executeur.

Antigonus' persuada les soldats Argyraspides de luy trahir Eumenes, leur capitaine general, son adversaire : mais l'eut il faict tuer aprez qu'ils le luy eurent livré, il desira luy mesme estre commissaire de la iustice divine, pour le chastiement d'un forfaict si detestable; et les consigna entre les mains du gouverneur de la province, luy donnant tres exprez commandement de les perdre et - mettre à male fin, en quelque maniere que ce feust; tellement que, de ce grand nombre qu'ils estoient, aulcun ne veid oncques puis l'air de Macedoine : mieulx il en avoit esté servy, d'autant le iugea il avoir esté plus meschamment et punissablement.

L'esclave' qui trahit la cachette de P. Sulpitius, son maistre, feut mis en liberté, suyvant la promesse de la proscription de Sylla; mais suyvant la promesse de la raison publicque, tout libre, il fut precipité du roc Tarpeïen.

Et nostre roy Clovis, au lieu des armes d'or qu'il leur avoit promis, feit pendre les trois serviteurs de Canacre3, aprez qu'iis luy eurent trahy leur maistre, à quoy il les avoit practiquez.

Ils les font pendre avecques la bourse de leur payement au col: ayants satisfaict à leur seconde foy et speciale, ils satisfont à la generale et pre

miere.

Mahumet second se voulant desfaire de son frere, pour la ialousie de la domination, suyvant le style de leur race, y employa l'un de ses officiers, qui le suffoqua, l'engorgeant de quantité d'eau prinse trop à coup : cela faict, il livra, pour l'expiation de ce meurtre, le meurtrier entre les mains de la mere du trespassé, car ils n'estoient freres que de pere elle, en sa presence, ouvrit à ce meurtrier l'estomach; et tout chauldement,

1 PLUTARQUE, Vie d'Eumène, c. 9, à la fin. C.

2 VALÈRE MAXIME, VI, 5, 7. C.

3 Peut-être Cararic. Voyez GRÉGOIRE DE TOURS, II, 41. J.

V. L.

Or si par fortune on vous en recompense, pour ne frustrer la necessité publicque de cet extreme et desesperé remede, celuy qui le faict ne laisse pas de vous tenir, s'il ne l'est luy mesme, pour un homme mauldict et exsecrable, et vous tient plus traistre que ne faict celuy contre qui vous lestes; car il touche la malignité de vostre courage, par vos mains, sans desadveu, sans obiect: mais il vous employe, tout ainsi qu'on faict les hommes perdus, aux executions de la haulte iustice, charge autant utile comme elle est peu honneste. Oultre la vileté de telles commissions, il y a de la prostitution de conscience. La fille à Seianus ne pouvant estre punie à mort, en certaine forme de iugement à Rome, d'autant qu'elle estoit vierge', feut, pour donner passage aux loix, forcee par le bourreau, avant qu'il l'estranglast: non sa main seulement, mais son ame est esclave à la commodité publicque.

Quand le premier Amurath, pour aigrir la pu nition contre ses subiects qui avoient donné support à la parricide rebellion de son fils contre luy, ordonna que leurs plus proches parents presteroient la main à cette execution, ie treuve tres honneste à aulcuns d'iceulx d'avoir choisy plustost d'estre iniustement tenus coulpables du parricide d'un aultre, que de servir la iustice, de leur propre parricide : et où, en quelques bicoques forcees de mon temps, i'ay veu des coquins, pour guarantir leur vie, accepter de pendre leurs amis et consorts, ie les ay tenus de pire condition que les pendus. On dict3 que Witolde, prince de Lithuanie, introduisit en cette nation, que le criminel condemné à mort eust luy mesme de sa main à se desfaire; trouvant estrange qu'un tiers, in

'C'est précisément ce que fit le fameux duc de Valentinois, César Borgia, à l'égard de Remiro d'Orco, comme on peut le voir dans le chapitre 7 du Prince de Machiavel: le fait est cu rieux et d'une atrocité rare. N.

2 Quia triumvirali supplicio affici virginem inauditum habebatur, a carnifice, laqueum juxta, compressam. TACITE, Annal. V, 9. C.

3 CROMER, de Rebus Polon. lib. XVI, p. 384. C.

nocent de la faulte, feust employé et chargé d'un homicide.

Le prince, quand une urgente circonstance, et quelque impetueux et inopiné accident du besoing de son estat, luy faict gauchir sa parole et sa foy, ou aultrement le iecte hors de son debvoir ordinaire, doibt attribuer cette necessité à un coup de la verge divine: vice n'est ce pas, car il a quitté sa raison à une plus universelle et puissante raison; mais, certes, c'est malheur : de maniere qu'à quelqu'un qui me demandoit, « Quel remede? - Nul remede, feis ie, s'il feut veritablement gehenné entre ces deux extremes; sed videat, ne quæratur latebra periurio: il le falloit faire; mais s'il le feit sans regret, s'il ne luy greva de le faire, c'est signe que sa conscience est en mauvais termes. » Quand il s'en trouveroit quelqu'un de si tendre conscience, à qui nulle guarison ne semblast digne d'un si poisant remede, ie ne l'en estimeroy pas moins: il ne se sçauroit perdre plus excusablement et decemment. Nous ne pouvons pas tout ainsi comme ainsi nous fault il souvent, comme à la derniere anchre, remettre la protection de nostre vaisseau à la pure conduicte du ciel. A quelle plus iuste necessité se reserve il? que luy est il moins possible à faire, que ce qu'il ne peult faire qu'aux despens de sa foy et de son honneur? choses qui, à l'adventure, luy doibvent estre plus cheres que son propre salut, ouy, et que le salut de son peuple. Quand, les bras croisez, il appellera Dieu simplement à son ayde, n'aura il pas à esperer que la divine bonté n'est pour refuser la faveur de sa main extraordinaire à une main pure et iuste? Ce sont dangereux exemples, rares et maladifves exceptions à nos reigles naturelles; il y fault ceder, mais avecques grande moderation et circonspection: aulcune utilité privee n'est digne pour laquelle nous facions cet effort à nostre conscience; la publicque, bien, lors qu'elle est tres apparente et tres importante.

Timoleon se guarantit à propos de l'estrangeté de son exploict, par les larmes qu'il rendit, se souvenant que c'estoit d'une main fraternelle qu'il avoit tué le tyran ; et cela pincea iustement sa conscience, qu'il eust esté necessité d'achepter l'utilité publicque à tel prix de l'honnesteté de ses mœurs. Le senat mesme, delivré de servitude par son moyen, n'osa rondement decider d'un si hault faict, et deschiré en deux si poisants et con

1 Tourmenté, pressé, serré. E. J.

2 Mais qu'il se garde bien de chercher un prétexte pour couvrir son parjure. Cic. de Offic. III, 29.

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traires visages; mais les Syracusains ayants tout à poinct, à l'heure mesme, envoyé requerir les Corinthiens de leur protection, et d'un chef digne de restablir leur ville en sa premiere dignité, et nettoyer la Sicile de plusieurs tyranneaux qui l'oppressoient, il y deputa Timoleon, avecques cette nouvelle desfaicte et declaration : « Que, selon ce qu'il se porteroit bien ou mal en sa charge, leur arrest prendroit party, à la faveur du liberateur de son païs, ou à la desfaveur du meurtrier de son frere. » Cette fantastique conclusion a quelque excuse, sur le dangier de l'exemple et importance d'un faict si divers2; et feirent bien d'en descharger leur iugement, ou de l'appuyer ailleurs et en des considerations tierces. Or les deportements de Timoleon en ce voyage rendirent bientost sa cause plus claire, tant il s'y porta dignement et vertueusement, en toutes façons : et le bonheur qui l'accompaigna aux aspretez qu'il eut à vaincre en cette noble besongne, sembla luy estre envoyé par les dieux conspirants et favorables à sa iustification.

La fin de cettuy cy est excusable, si aulcune le pouvoit estre: mais le proufit de l'augmentation du revenu publicque, qui servit de pretexte au senat romain à cette orde3 conclusion que ie m'en vois reciter, n'est pas assez fort pour mettre à guarant une telle iniustice. Certaines citez s'estoient racheptees à prix d'argent, et remises en liberté, avecques l'ordonnance et permission du senat, des mains de L. Sylla: la chose estant tumbee en nouveau iugement, le senat les condemna à estre taillables comme auparavant, et que l'argent qu'elles avoient employé pour se rachepter demeureroit perdu pour elles 4. Les guerres civiles produisent souvent ces vilains exemples: Que nous punissons les privez, de ce qu'ils nous ont creu, quand nous estions aultres; et un mesme magistrat faict porter la peine de son changement à qui n'en peult mais; le maistre fouette son disciple de docilité, et la guide 5 son aveugle: horrible image de iustice!

Il y a des reigles en la philosophie et faulses et molles. L'exemple qu'on nous propose, pour

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complexion? Horrible de fer et de sang, il va fracassant et rompant une nation invincible contre tout aultre que contre luy seul; et gauchit au milieu d'une telle meslee, au rencontre de son hoste et de son amy 1. Vrayement celuy là propre ment commandoit bien à la guerre, qui luy faisoit souffrir le mors de la benignité, sur le poinct de sa plus forte chaleur, ainsin enflammee qu'elle estoit, et toute escumeuse de fureur et de meurtre. C'est miracle de pouvoir mesler à telles actions quelque image de iustice; mais il n'appartient qu'à la roideur d'Epaminondas d'y pouvoir mesler la doulceur et la facilité des mœurs les plus molles, et la pure innocence: et où l'un 2 dit aux Mamertins, « que les statuts n'avoient point de mise envers les hommes armez; » l'aultre3,

faire prevaloir l'utilité privee à la foy donnee, ne | d'une si extreme doulceur et debonnaireté de receoit pas assez de poids par la circonstance qu'ils y meslent: Des voleurs vous ont prins, ils vous ont remis en liberté, ayants tiré de vous serment du payement de certaine somme. On a tort de dire qu'un homme de bien sera quitte de sa foy, sans payer, estant hors de leurs mains. Il n'en est rien: ce que la crainte m'a faict une fois vouloir, ie suis tenu de le vouloir encores, sans crainte; et quand elle n'aura forcé que ma langue sans la volonté, encores suis ie tenu de faire la maille bonne de ma parole. Pour moy, quand par fois elle a inconsidereement devancé ma pensee, i'ay faict conscience de la desadvouer pourtant: aultrement, de degré en degré, nous viendrons à abolir tout le droict qu'un tiers prend de nos promesses et serments. Quasi vero forti viro vis possit adhiberi 3. En cecy seulement a loyau tribun du peuple, « que le temps de la iusl'interest privé de nous excuser de faillir à nostre promesse, si nous avons promis chose meschante et inique de soy; car le droict de la vertu doibt prevaloir le droict de nostre obligation.

l'ay aultrefois logé Epaminondas au premier reng des hommes excellents 4, et ne m'en desdis pas. Iusques où montoit il la consideration de son particulier debvoir? qui ne tua iamais homme qu'il eust vaincu; qui pour ce bien inestimable de rendre la liberté à son pays, faisoit conscience de tuer un tyran, ou ses complices, sans les formes de la iustice 5; et qui iugeoit meschant homme, quelque bon citoyen qu'il feust, celuy qui entre les ennemis et en la battaille, n'espargnoit son amy et son hoste. Voylà une ame riche de composition! il marioit aux plus rudes et violentes actions humaines la bonté et l'humanité, voire mesme la plus delicate qui se treuve en l'eschole de la philosophie. Ce courage si gros, enflé, et obstiné contre la douleur, la mort, la pauvreté, estoit ce nature ou art qui l'eust attendry iusques au poinct

La décision de Montaigne sur ce cas de conscience est plus sevère que celle de Cicéron, que l'on n'a jamais cependant accusé de relâchement dans sa morale. « Un pirate, dit-il (de Offic. III, 29), n'est pas pour vous un ennemi légitime, un ennemi pour lequel on reconnaisse un droit des gens; c'est l'ennemi de toutes les nations. Il ne peut y avoir entre vous et lui ni foi ni serments. » Il avait déjà dit dans le même ouvrage, I, 10: « Qui ne sent qu'on n'est pas obligé de tenir les promesses arrachées par la crainte, ou surprises par la fraude?» J. V. L.

2 De tenir fermement ma parole. C.

3 Comme si la violence pouvait rien sur un homme de cœur. CIC. de Offic. III, 30.- Mais Cicéron parle ici de Régulus, c'est-à-dire, de la conduite d'un ennemi à l'égard d'un ennemi légitime, «< envers lequel le droit fécial et tous les autres devaient être respectés. » J. V. L.

4 Livre II, c. 36.

5 PLUTARQUE, De l'esprit familier de Socrate, c. 4 et 24. C.

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tice et de la guerre estoient deux, » le tiers', «que le bruict des armes l'empeschoit d'entendre la voix des loix, » cettuy cy n'estoit pas seulement empesché d'entendre celle de la civilité et pure courtoisie. Avoit il pas emprunté de ses ennemis 5 l'usage de sacrifier aux Muses, allant à la guerre, pour destremper, par leur doulceur et gayeté, cette furie et aspreté martiale? Ne craignons point, aprez un si grand precepteur, d'estimer qu'il y a quelque chose illicite contre les ennemis mesmes; que l'interest commun ne doibt pas tout requerir de touts, contre l'interest privé; manente memoria, etiam in dissidio publicorum fœderum, privati iuris 6;

Et nulla potentia vires

Præstandi, ne quid peccet amicus, habet7; et que toutes choses ne sont pas loisibles à un homme de bien, pour le service de son roy, ny de la cause generale et des lois; non enim patria præstat omnibus officiis..... et ipsi conducit pios habere cives in parentes 8. C'est une instruction

I PLUTARQUE, De l'esprit familier de Socrate, c. 17. L'expression, si énergique et si neuve, appartient à Montaigne.

J. V. L.

2 Pompée. Voyez sa Vie dans PLUTARQUE, C. 3. C. 3 César, dans sa Vie par PLUTARQUE, C. II. C.

4 Marius, dans sa Vie par PLUTARQUE, C. 10. C.

5 Des Lacédémoniens, cette nation invincible contre tout autre que contre le seul Épaminondas. C.

6 Le souvenir du droit particulier subsistant même au milieu des dissensions publiques. TITE-LIVE, XXV, 18.

7 Nulle puissance ne peut autoriser l'infraction des droits de l'amitié. OVIDE, de Ponto, I, 7, 37.

8 Car la patrie ne l'emporte pas sur tous les devoirs; et il lui importe à elle-même d'avoir des citoyens qui soient pieux envers leurs parents. CIC. de Offic. III, 23.- La première de ces deux phrases est interrogative dans Cicéron, et la réponse est loin d'être aussi décisive qu'on pourrait le croire d'après la citation. J. V. L.

propre au temps: nous n'avons que faire de durcir nos courages par ces lames de fer; c'est assez que nos espaules le soyent; c'est assez de tremper nos plumes en encre, sans les tremper en sang: si c'est grandeur de courage, et l'effect d'une vertu rare et singuliere, de mespriser l'amitié, les obligations privees, sa parole et la parenté, pour le bien commun et obeïssance du magistrat; c'est assez vrayement, pour nous en excuser, que c'est une grandeur qui ne peult loger en la grandeur du courage d'Epaminondas.

l'abomine les enhortements enragez de cette aultre ame desreiglee',

Dum tela micant, non vos pietatis imago
Ulla, nec adversa conspecti fronte parentes
Commoveant; vultus gladio turbate verendos.

Ostons aux meschants naturels, et sanguinaires, et traistres, ce pretexte de raison; laissons là cette iustice enorme et hors de soy, et nous tenons aux plus humaines imitations. Combien peult le temps et l'exemple! En une rencontre de la guerre civile contre Cinna, un soldat de Pompeius ayant tué, sans y penser, son frere, qui estoit au party contraire, se tua sur le champ soy mesme, de honte et de regret ; et quelques annees aprez, en une aultre guerre civile de ce mesme peuple, un soldat, pour avoir tué son frere, demanda recompense à ses capitaines 3.

On argumente mal l'honneur et la beaulté d'une action, par son utilité; et conclud on mal d'estimer que chascun y soit obligé, et qu'elle soit honneste à chascun, si elle est utile :

Omnia non pariter rerum sunt omnibus apta 4. Choisissons la plus necessaire et plus utile de l'humaine societé; ce sera le mariage: si est ce que le conseil des saincts treuve le contraire party plus honneste, et en exclud la plus venerable vacation des hommes; comme nous assignons au haras les bestes qui sont de moindre estime.

De Jules César, qui, en guerre ouverte contre sa patrie, dont il veut opprimer la liberté, s'écrie dans LUCAIN (VII, 320): Tant que le glaive brillera, qu'aucun sentiment de pitié ou de tendresse ne vous touche; que la vue même de vos pères, dans le parti opposé, n'ébranle point vos courages: frappez, défigurez ces faces vénérables. >>

2 Prælio, quo apud Janiculum adversus Cinnam pugnatum est, Pompeianus miles fratrem suum, dein, cognito facinore, se ipsum interfecit. TACITE, Hist. III, 51.

3 Celeberrimos auctores habeo, tantam victoribus adversus fas nefasque irreverentiam fuisse, ut gregarius eques, occisum a se proxima acie fratrem professus, præmium a ducibus petierit. TACITE, Hist. III, 51.

4 Toutes choses ne conviennent pas également à tous. PROPERCE, III, 9, 7.

CHAPITRE II.

Du repentir.

Les aultres forment l'homme : ie le recite; et en represente un particulier, bien mal formé, et lequel si i'avois à façonner de nouveau, ie feroy vrayement bien aultre qu'il n'est : meshuy, c'est faict. Or les traicts de ma peincture ne se fourvoyent point, quoy qu'ils se changent et diversifient: le monde n'est qu'une bransloire perenne 3; toutes choses y branslent sans cesse, la terre, les rochiers du Caucase, les pyramides d'Aegypte, et du bransle publicque et du leur; la constance mesme n'est aultre chose qu'un bransle plus languissant. Ie ne puis asseurer mon obiect; il va trouble et chancelant, d'une yvresse naturelle : ie le prens en ce poinct comme il est, en l'instant que prens en ce poinct comme il est, en l'instant que ie m'amuse à luy ie ne peins pas l'estre, ie peins le passage, non un passage d'aage en aultre, ou comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de iour en iour, de minute en minute : il fault accommoder mon histoire à l'heure ; ie pourroy tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi d'intention. C'est un contreroolle de divers et muables accidents, et d'imaginations irresolues, et quand il y eschet, contraires; soit que ie sois aultre moy mesme, soit que ie saisisse les subiects par aultres circonstances et considerations tant y a que ie me contredis bien à l'adventure; mais la verité, comme disoit Demades 4, ie ne la contredis point. Si mon ame pouvoit prendre pied, ie ne m'essayeroy pas, ie me resouldroy5 elle est tousiours en apprentissage.

:

Ie propose une vie basse et sans lustre : c'est tout un; on attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privee, qu'à une vie de plus riche estoffe : chasque homme porte la forme entiere de l'humaine condition. Les aucteurs se communiquent au peuple par quelque marque speciale et estrangiere; moy, le premier, par mon estre universel; comme Michel de Montaigne, non comme grammairien, ou poëte, ou iurisconsulte. Si le monde se plaind dequoy ie parle trop de moy,

1 On peut voir le même sujet traité plus méthodiquement par Charron, De la Sagesse, II, 3, 19. Il est inutile d'indiquer partout ces rapports presque continuels entre le maître et le disciple, ou plutôt entre l'original et le copiste. J. V. L. 2 Aujourd'hui, c'est fini, terminé, achevé. E. J. 3 Perpétuelle, comme on a mis dans quelques éditions. C. 4 Montaigne paraphrase ici à sa manière ce que disait cet ancien orateur, selon Plutarque, dans la Vie de Démosthène, c. 3, « Qu'il s'estoit bien contredict à soy mesme assez de fois, selon les occurrences des affaires; mais contre le bien de la chose publicque, iamais. » C.

5 Je parlerais décisivement, et d'un ton de maître. C.

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