Obrázky na stránke
PDF
ePub

moins laide à mon gré, qu'une aultre peincte et lissee. Le diray ie? pourveu qu'on ne m'en prenne à la gorge : l'amour ne me semble proprement et naturellement en sa saison, qu'en l'aage voysin de l'enfance;

Quem si puellarum insereres choro,
Mire sagaces falleret hospites
Discrimen obscurum, solutis

Crinibus, ambiguoque vultu :

et la beaulté non plus; car ce qu'Homere l'estend iusques à ce que le menton commence à s'umbrager, Platon mesme l'a remarqué pour rare; et est notoire la cause pour laquelle si plaisamment le sophiste Bion appelloit les poils folets de l'adolescence, Aristogitons et Harmodiens2: en la virilité, ie le treuve desia aulcunement hors de son siege, non qu'en la vieillesse3;

Importunus enim transvolat aridas
Quercus 4:

et Marguerite, royne de Navarre, alonge, en femme, bien loing, l'advantage des femmes, ordonnant qu'il est saison à trente ans qu'elles changent le tiltre de belles en bonnes. Plus courte possession nous luy donnons sur nostre vie, mieulx nous en valons. Veoyez son port: c'est un menton puerile. Qui ne sçait, en son eschole, combien on procede au rebours de tout ordre? l'estude, l'exercitation, l'usage, sont voyes à l'insuffisance; les novices y regentent: Amor ordinem nescit. Certes, sa conduicte a plus de garbe7, quand elle est meslee d'inadvertance et de trouble; les faultes, les succez contraires, y donnent poincte et grace: pourveu qu'elle soit aspre

[ et affamee, il chault peu qu'elle soit prudente : veoyez comme il va chancelant, chopant et folastrant; on le met aux ceps1, quand on le guide par art et sagesse; et contrainct on sa divine liberté, quand on le soubmet à ces mains barbues et calleuses.

Au demourant, ie leur oy souvent peindre cette intelligence toute spirituelle, et desdaigner de mettre en consideration l'interest que les sens y ont tout y sert; mais ie puis dire avoir veu souvent que nous avons excusé la foiblesse de leurs esprits en faveur de leurs beaultez corporelles; mais que ie n'ay point encores veu qu'en faveur de la beaulté de l'esprit, tant rassis et meur soit il, elles vueillent prester la main à un corps qui tumbe tant soit peu en decadence. Que ne prend il envie à quelqu'une de faire cette noble harde socratique du corps à l'esprit, acheptant, au prix de ses cuisses, une intelligence et generation philosophique et spirituelle, le plus hault prix où elle les puisse monter? Platon3 ordonne, en ses loix, que celuy qui aura faict quelque signalé et utile exploict en la guerre, ne puisse estre refusé, durant l'expedition d'icelle, sans respect de sa laideur ou de son aage, de baiser, ou aultre faveur amoureuse, de qui il la vueille. Ce qu'il treuve si iuste, en recommendation de la valeur militaire, ne le peult il pas estre aussi en recommendation de quelque aultre valeur? et que ne prend il envie à une de preoccuper, sur ses compaignes, la gloire de cet amour chaste? chaste, dis ie bien, Nam si quando ad prælia ventum est, Ut quondam in stipulis magnus sine viribus ignis Incassum furit 4:

les vices qui s'estouffent en la pensee, ne sont pas des pires.

Pour finir ce notable commentaire, qui m'est

Lorsque, les cheveux flottants sur les épaules, un jeune homme introduit au milieu d'un chœur de jeunes filles, peut tromper les yeux les plus pénétrants; tant ses traits tiennent également de l'un et de l'autre sexe. HOR. Od. II, 5, 21. Voyez PLUTARQUE, au traité de l'Amour, c. 34, pour la raieschappé d'un flux de caquet, flux impetueux son de ce mot, que Montaigne a voulu laisser deviner à ses Jecteurs. C

3 Et à plus forte raison dans la vieillesse. J. V. L.

4 Car il n'arrête pas son vol sur les chènes arides. HOR. Od. IV, 13, 9.

5 Qui ne sait que, contre tout ordre, on va toujours à reculons dans cette école ? L'étude, l'exercice, l'usage, y conduisent à l'insuffisance. C.

6 L'amour ne connait point l'ordre (la règle ). · Ce passage est de saint Jérôme. Voyez la fin de sa Lettre à Chromatius, t. 1, p. 217, édit. de Båle, 1537. Anacréon avait dit, longtemps auparavant, que Bacchus, aidé de l'Amour, folatre sans relle, άτακτα παίζει, Οd. 50, ν. 24. C.

7 Plus de grâce. Galbe ou garbe, bonne grâce, agrément: NICOT et BORLL. Galbe ou galba (d'où l'italien garbo), dans la signification de gros et gras, est un mot de l'ancien gaulois, comme on peut voir dans Suétone, qui dit que le premier des Sulpicius qu'on surnomma Galba, fut ainsi désigné parce qu'il était ce que les Gaulois appelaient galba, c'est-àdire fort gras; quod præpinguis fuerit visus, quem Galbam Galli vocant. SUÉTONE, Galba, c. 3. C.

par fois et nuisible,

Ut missum sponsi furtivo munere malum
Procurrit casto virginis e gremio;
Quod miseræ oblitæ molli sub veste locatum,
Dum adventu matris prosilit, excutitur,
Atque illud prono præceps agitur decursu :
Huic manat tristi conscius ore rubor 5,

Aux fers, dans les chaines. E. J.

2 Ce noble troc socratique.

Harder, troquer, changer BOREL, dans son Thresor d'antiquités gauloises. C.

[blocks in formation]

pas: et le scay, non par argument, mais par necessaire experience. Sans alleguer ce qu'on m'a dict, qu'il en arrive de mesme souvent aux bestes, et specialement aux pourceaux, hors de toute apprehension du dangier; et ce qu'un mien cognoissant m'a tesmoigné de soy, qu'y estant fort subiect, l'envie de vomir luy estoit passee, deux ou

je dis que les masles et femelles sont iectez en mesme moule : sauf l'institution et l'usage, la difference n'y est pas grande. Platon appelle indifferemment les uns et les aultres à la societé de touts estudes, exercices, charges et vacations guerrieres et paisibles, en sa republique; et le philosophe Antisthenes ostoit toute distinction entre leur vertu et la nostre 1. Il est bien plus aysé d'accu-trois fois, se trouvant pressé de frayeur en grande ser un sexe que d'excuser l'aultre: c'est ce qu'on dict,« Le fourgon se mocque de la paelle. »

CHAPITRE VI.

Des coches.

Il est bien aysé à verifier que les grands aucteurs, escrivants des causes, ne se servent pas seulement de celles qu'ils estiment estre vrayes, mais de celles encores qu'ils ne croyent pas, pourveu qu'elles ayent quelque invention et beaulté: ils disent assez veritablement et utilement, s'ils disent ingenieusement. Nous ne pouvons nous asseurer de la maistresse cause; nous en entassons plusieurs, pour veoir si, par rencontre, elle se trouvera en ce nombre,

Namque unam dicere causam

Non satis est, verum plures, unde una tamen sit '. Me demandez vous d'où vient cette coustume de benir ceulx qui esternuent? Nous produisons trois sortes de vents: celuy qui sort par embas est trop sale: celuy qui sort par la bouche porte quelque reproche de gourmandise : le troisiesme est l'esternuement; et parce qu'il vient de la teste, et est sans blasme, nous luy faisons cet honneste recueil. Ne vous mocquez pas de cette subtilité; elle est, dict on, d'Aristote3.

Il me semble avoir veu en Plutarque 4 (qui est de touts les aucteurs que ie cognoisse, celuy qui a mieulx meslé l'art à la nature, et le iugement à la science), rendant la cause du soublevement d'estomach qui advient à ceulx qui voyagent en mer, que cela leur arrive de crainte, aprez avoir trouvé quelque raison par laquelle il prouve que la crainte peult produire un tel effect. Moy, qui y suis fort subiect, sçay bien que cette cause ne me touche

son visage décèle sa honte et son secret. CATULLE, Carm. LXV, 19.

I « La vertu de l'homme et de la femme est la même. >> Mot d'Antisthène, rapporté dans sa Vie par DIOGÈNE LAERCE, VI, 12. C.

2 Ce n'est pas assez de nommer une seule cause; il en faut indiquer plusieurs, quoiqu'il n'y en ait qu'une seule de véritable. LUCRÈCE, VI, 704.

3 Problem. sect. 33, quæst. 9. C.

4 Dans le traité intitulé, Les causes naturelles, c. 11 de la traduction d'Amyot. C

tormente, comme à cet ancien, peius vexabar, quam ut periculum mihi succurreret1: ie n'eus iamais peur sur l'eau, comme ie n'ay aussi ailleurs et s'en est assez souvent offert de iustes, si la mort l'est), qui m'ayt troublé ou esblouy. Elle naist par fois de faulte de iugement, comme de faulte de cœur. Touts les dangiers que i'ay veu, ç'a esté les yeulx ouverts, la veue libre, saine et entiere: encores fault il du courage à craindre. Il me servit aultrefois, au prix d'aultres, pour conduire et tenir en ordre ma fuitte, qu'elle feust, sinon sans crainte, toutesfois sans effroy et sans estonnement: elle estoit esmeue, mais non pas estourdie ny esperdue. Les grandes ames vont bien plus oultre, et representent des fuittes, non rassises seulement et saines, mais fieres: disons celle qu'Alcibiades recite de Socrates, son compaignon d'armes. « le le trouvay, dict il 2, aprez la roupte3 de nostre armee, luy et Lachez, des derniers entre les fuyants; et le consideray tout à mon ayse, et en seureté : car i'estoy sur un bon cheval, et luy à pied, et avions ainsi combattu. le remarquay premierement combien il monstroit d'advisement et de resolution, au prix de Lachez: et puis, la braverie de son marcher, nullement different du sien ordinaire; sa veue ferme et reiglee, considerant et iugeant ce qui se passoit autour de luy, regardant tantost les uns, tantost les aultres, amis et ennemis, d'une façon qui encourageoit les uns, et signifioit aux aultres qu'il estoit pour vendre bien cher son sang et sa vie à qui essayeroit de la luy oster et se sauverent ainsi; car volontiers on n'attaque pas ceulx cy, on court aprez les effrayez. » Voylà le tesmoignage de ce grand capitaine, qui nous apprend, ce que nous essayons touts les iours, qu'il n'est rien qui nous iecte tant aux dangiers, qu'une faim inconsideree de nous en mettre hors: quo timoris minus est, eo minus ferme periculi est 4. Nostre peuple a tort de dire, « Celuy là craint la

1 J'étais trop malade pour songer au péril. SÉNÈQUE, Epist. 53

2 Dans Platon, Banquet, pag. 1206 de l'édition de Francfort, 1602. C.

3 La déroute.

4 Pour l'ordinaire, moins il y a de crainte, moins il y a de danger. TITE-LIVE, XXII, 5.

ordonné de me presser et cengler d'une serviette le bas du ventre, pour remedier à cet accident; ce que ie n'ay point essayé, ayant accoustume de luicter les defaults qui sont en moy, et les dompter par moy mesme.

mort, » quand il veult exprimer qu'il y songe et
qu'il la preveoid. La prevoyance convient egua-
lement à ce qui nous touche en bien et en mal :
considerer et iuger le dangier est aulcunement
le rebours de s'en estonner. Ie ne me sens pas
assez fort pour soustenir le coup et l'impetuosité
de cette passion de la peur, ny d'aultre vehe-ie
mente si i'en estois un coup vaincu et atterré,
ie ne m'en releveroy iamais bien entier; qui au-
roit faict perdre pied à mon ame, ne la remet-
troit iamais droicte en sa place : elle se retaste
et recherche trop vifvement et profondement,
et pourtant ne lairroit iamais ressoudre et con-
solider la playe qui l'auroit percee. Il m'a bien
prins qu'aulcune maladie ne me l'ayt encores
desmise à chasque charge qui me vient, ie me
presente et oppose en mon hault appareil; ainsi
la premiere qui m'emporteroit, me mettroit sans
ressource. Ie n'en fois point à deux : par quelque
endroict que le ravage faulsast ma levee 1, me
voylà ouvert, et noyé sans remede. Epicurus
dict' que le sage ne peult iamais passer à un
estat contraire: i'ay quelque opinion de l'envers
de cette sentence, Que qui aura esté une fois bien
fol, ne sera nulle aultre fois bien sage. Dieu me
donne le froid selon la robbe, et me donne les
passions selon le moyen que i'ay de les soustenir:
nature m'ayant descouvert d'un costé, m'a cou-
vert de l'aultre; m'ayant desarmé de force, m'a
armé d'insensibilité, et d'une apprehension rei-
glee ou mousse.

Or ie ne puis souffrir long temps (et les souffroy plus difficilement en ieunesse) ny coche, ny lictiere, ny bateau, et hay toute aultre voicture que de cheval, et en la ville et aux champs: mais ie puis souffrir la lictiere moins qu'un coche; et par mesme raison, plus ayseement une agitation rude sur l'eau, d'où se produict la peur, que le mouvement qui se sent en temps calme. Par cette legiere secousse que les avirons donnent, desrobbants le vaisseau soubs nous, ie me sens brouiller, ie ne sçay comment, la teste et l'estomach; comme ie ne puis souffrir soubs moy un siege tremblant. Quand la voile ou le cours de l'eau nous emporte egualement, ou qu'on nous toue 3, cette agitation unie ne me blece aulcunement : c'est un remuement interrompu qui m'offense; et plus quand il est languissant. Ie ne sçaurois aultrement peindre sa forme. Les medecins m'ont

C'est-à-dire, rompit la digue, la chaussée qui me couvre. C. 2 DIOCÈNE LAERCE, X, 117. C.

3 Ou qu'on nous remorque, comme on parle plus communément aujourd'hui. C.

[ocr errors]

Si i'en avoy la memoire suffisamment informee, ne plaindroy mon temps à dire icy l'infinie varieté que les histoires nous presentent de l'usage des coches au service de la guerre; divers, selon les nations, selon les siecles; de grand effect, ce me semble, et necessité ; si que c'est merveille que nous en ayons perdu toute cognoissance. l'en diray seulement cecy, que tout freschement, du temps de nos peres, les Hongres les meirent tres utilement en besongne contre les Turcs; en chascun y ayant un rondellier 1 et un mousquetaire, et nombre de harquebuses rengees, prestes et chargees, le tout couvert d'un pavesade', à à la mode d'une galiote. Ils faisoient front, à leur battaille, de trois mille tels coches; et aprez que le canon avoit ioué, les faisoient tirer, et avaller aux ennemis cette salve, avant que de taster le reste, qui n'estoit pas un legier advancement; ou descochoient lesdits coches dans leurs escadrons, pour les rompre et y faire iour; oultre le secours qu'ils en pouvoient prendre, pour flanquer en lieux chatouilleux les trouppes marchants à la campaigne, ou à couvrir un logis 3à la haste, et le fortifier. De mon temps, un gentilhomme, en l'une de nos frontieres, impos de sa personne, 4 et ne trouvant cheval capable de son poids, ayant une querelle, marchoit par païs en coche, de mesme cette peincture 5, et s'en trouvoit tres bien. Mais laissons ces coches guerriers.

à

Comme si leur neantise n'estoit assez cogneue meilleures enseignes, les derniers roys de nostre premiere race marchoient par païs en un chariot mené de quatre boeufs 7. Marc Antoine feut le

1 Soldat armé d'une rondelle ou rondache, espèce de bouclier, ainsi nommé parce qu'il est rond. Rondelle, parma orbicularis, dit Nicot; et rondellier, celui qui s'en sert à la guerre, parmatus. C.

2 Ou pavoisade, comme l'écrit Nicot. Pavoisade d'une ga-
lere, dit-il, c'est le grand nombre de pavois qui sont ez deur
costez de la galere, pour couvrir et deffendre ceulx qui ra-
ment. De pavois, qui signifie un bouclier, on a fait pavoisade C.
3 Un logement, un poste, une position. E. J.
4 Impotent, peu dispos. E. J.

5 Semblable à ceux que je viens de décrire. C.
6 Comme si la fainéantise de nos rois, etc. E. J.
7 Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le monarque indolent,

a dit Boileau, dans le chant second du Lutrin. Voici les pro-
pres expressions d'ÉGINARD, Vie de Charlemagne, en parlant
des rois fainéants : « Quocunque eundum erat, carpente ibal,
quod bobus junctis, et bubulco rustico more agente, trahe-
batur. Sic ad palatium publicum, sic ad populi sui conventum,
qui annuatim ob populi utilitatem celebrabatur, ire, sic do-

[ocr errors]

I

de l'opulence. Ce sont plaisirs, dict Aristote qui ne touchent que la plus basse commune; qui s'esvanouïssent de la souvenance aussitost qu'on en est rassasié; et desquels nul homme iudicieux et grave ne peult faire estime. L'emploite2 me sembleroit bien plus royale, comme plus utile, iuste et durable, en ports, en havres, fortifications et murs, en bastiments sumptueux, en eglises, hospitaulx, colleges, reformation de rues et chemins en quoy le pape Gregoire treiziesme lairra sa memoire recommendable à long temps3; et en quoy nostre royne Catherine 4 tesmoigneroit à longues annees sa liberalité naturelle et munificence, si ses moyens suffisoient à son affection: la fortune m'a faict grand desplaisir d'interrompre la belle structure du pont neuf de nostre grande ville, et m'oster l'espoir, avant mourir, d'en veoir en train le service.

premier qui se feit mener à Rome, et une garse menestriere' quand et luy, par des lions attelez à un coche. Heliogabalus en feit depuis autant, se disant Cybele, la mere des dieux 2; et aussi par des tigres, contrefaisant le dieu Bacchus : il attela aussi par fois deux cerfs à son coche; et une aultre fois quatre chiens; et encores quatre garses nues, se faisant traisner par elles en pompe, tout nud. L'empereur Firmus feit mener son coche à des austruches de merveilleuse grandeur, de maniere qu'il sembloit plus voler que rouler 3. L'estrangeté de ces inventions me met en teste cette aultre fantasie: Que c'est une espece de pusillanimité aux monarques, et un tesmoignage de ne sentir point assez ce qu'ils sont, de travailler à se faire valoir, et paroistre, par despenses excessifves : ce seroit chose excusable en païs estrangier; mais parmy ses subiects, où il peult tout, il tire de sa dignité le plus extreme degré d'honneur où il puisse arriver: comme à un gentilhomme, il me semble qu'il est superflu de se vestir curieusement en son privé; sa maison, son train, sa cuisine, respondent assez de luy. Le conseil qu'Isocrates 4 donne à son roy ne me semble sans raison : « Qu'il soit splendide en meubles et ustensiles, d'autant que c'est une despense de duree qui passe iusques à ses successeurs; et qu'il fuye toutes magnificences qui s'escoulent incontinent et de l'usage et de la memoire. » l'ay-sa boëte, et luy donna en main une poignee d'esmois à me parer quand i'estoy cadet, à faulte d'aultre parure; et me seoit bien : il en est sur qui les belles robbes pleurent. Nous avons des contes merveilleux de la frugalité de nos roys autour de leurs personnes, et en leurs dons; grands roys en credit, en valeur, et en fortune. Demosthenes 5 combat à oultrance la loy de sa ville qui assignoit les deniers publicques aux pompes des ieux et de leurs festes; il veult que leur grandeur se monstre en quantité de vaisseaux bien equippez, et bonnes armees bien fournies: et a lon raison d'accuser Theophrastus, qui establit, en son livre des Richesses, un advis contraire, et maintient telle nature de despense estre le vray fruict

mum redire solebat. » L'abbé de Vertot, dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. VI (éd. in-12), a entrepris l'apologie de ces rois. J. V. L.

La comédienne Cythéris. PLUTARQUE, V ́ie d'Antoine, c. 3; CICERON, Philippic. II, 24; PLINE, Nat. hist. VIII, 16, etc. J. V. L.

2 EL. LAMPRIDIUS, Heliogabal. c. 28, 29. J. V. L. 3 FLAV. VOPISCUS, Firm. c. 6. J. V. L.

4 Disc. à Nicoclès, édit. de Paris, 1621, pag. 32. C.

5 Dans sa III Olynthienne, ou sa II, selon que les range

M. de Tourreil. C.

6 C'est Cicéron qui est l'auteur de cette critique, de Offic. II, 16. C.

Oultre ce, il semble aux subiects, spectateurs de ces triumphes, qu'on leur faict monstre de leurs propres richesses, et qu'on les festoye à leurs despens: car les peuples presument volontiers des roys, comme nous faisons de nos valets, qu'ils doibvent prendre soing de nous apprester en abondance tout ce qu'il nous fault, mais qu'ils n'y doibvent aulcunement toucher de leur part; et pourtant l'empereur Galba ayant prins plaisir à un musicien pendant son soupper, se feit porter

cus qu'il y pescha, avecques ces paroles : « Ce n'est pas du publicque, c'est du mien 6. » Tant y a, qu'il advient le plus souvent que le peuple a raison; et qu'on repaist ses yeulx de ce dequoy il avoit à paistre son ventre.

La liberalité mesme n'est pas bien en son lustre en main souveraine; les privez y ont plus de droict: car, à le prendre exactement, un roy n'a rien proprement sien; il se doibt soy mesme à

CIC. de Offic. II, 16.

La dépense. Montaigne continue de reproduire les pensées de CICERON, de Offic. II, 17. C.

3 Voyage de Montaigne, t. I, pag. 288: « C'est un tres beau vieillard, d'une moyenne taille et droicte, le visage plein de maiesté, une longue barbe blanche; aagé lors de plus de quatre vingts ans; le plus sain pour son aage, et vigoreux, qu'il est possible de desirer, sans goutte, sans cholique, sans mal d'estomach, et sans aulcune subiection; d'une nature doulce, peu se passionnant des affaires du monde; grand bastisseur, et en cela il lairra à Rome et ailleurs un singulier honneur à sa memoire... Il est tres magnifique en bastiments publicques et reformation des rues de cette ville.... » Tel est le portrait de Grégoire XIII fait par Montaigne, qui venait de lui baiser les pieds, le 29 de décembre 1580. J. V. L.

4 C'est Catherine de Médicis, mère de François II, de Charles IX et de Henri III.

[blocks in formation]

facias, curare ut id diutius facere non possis1? et si elle est employee sans respect du merite, faict vergongne à qui la receoit, et se receoit sans grace. Des tyrans ont esté sacrifiez à la haine du peuple par les mains de ceulx mesmes qu'ils avoient iniquement advancez : telle maniere d'hommes estimants asseurer la possession des biens indeuement receus, s'ils monstrent avoir à mespris et haine celuy duquel ils les tenoient, et se rallient au iugement et opinion commune en cela.

aultruy : la iurisdiction ne se donne point en fa- | in plures usus sis, minus in multos uti possis.... veur du iuridiciant, c'est en faveur du iuridicié; | Quid autem est stultius, quam, quod libenter on faict un superieur, non iamais pour son proufit, ains pour le proufit de l'inferieur; et un medecin pour le malade, non pour soy; toute magistrature, comme toute art, iecte sa fin hors d'elle; nulla ars in se versatur1: parquoy les gouverneurs de l'enfance des princes, qui se picquent à leur imprimer cette vertu de largesse, et les preschent de ne sçavoir rien refuser, et n'estimer rien si bien employé que ce qu'ils donneront (instruction que i̇'ay veu en mon temps fort en credit), ou ils regardent plus à leur proufit qu'à celuy de leur maistre, ou ils entendent mal à qui ils parlent. Il est trop aysé d'imprimer la liberalité en celuy qui a dequoy y fournir autant qu'il veult, aux despens d'aultruy; et son estimation se reiglant, non à la mesure du present, mais à la mesure des moyens de celuy qui l'exerce, elle vient à estre vaine en mains si puissantes: ils se treuvent prodigues, avant qu'ils soient liberaulx : pourtant est elle de peu de recommendation, au prix d'aultres vertus royales, et la seule, comme disoit le tyran Dionysius 3, qui se comporte bien avec la tyrannie mesme. Ie luy apprendroy plustost ce verset du laboureur ancien Τῇ χειρὶ δεῖ σπείρειν, ἀλλὰ μὴ ὅλῳ τῷ θυλάκῳ, « qu'il fault, à qui en veult retirer fruict, semer de la main, non pas verser du sac : » il fault espandre le grain, non pas le respandre; et qu'ayant à donner, ou pour mieulx dire, à payer et rendre à tant de gents selon qu'ils ont deservy, il en doibt estre loyal et advisé dispensateur. Si la liberalité d'un prince est sans discretion et sans mesure, ie l'ayme mieulx avare.

La vertu royale semble consister le plus en la iustice; et de toute les parties de la iustice, celle là remarque mieulx les roys, qui accompaigne la liberalité car ils l'ont particulierement reservee à leur charge; là où toute aultre iustice, ils l'exercent volontiers par l'entremise d'aultruy. L'immoderee largesse est un moyen foible à leur acquerir bienvueillance; car elle rebute plus de gents qu'elle n'en praticque 5 : quo

Nul art n'est renfermé en lui-même. Cic. de Finib. bon. et mal. V, 6.

2 C'est pourquoi.

3 Dans les Apophthegmes de PLUTARQUE. C.

4 J'apprendrois plutôt à un roi ce verset, ou proverbe. Montaigne le traduit après l'avoir cité. Il l'a tiré d'un petit traité de PLUTARQUE, intitulé, Si les Athéniens ont esté plus excellents en armes qu'en lettres, c. 4, où Corinne s'en sert pour faire sentir à Pindare qu'il avait entassé trop de fables dans une de ses poésies, luy disant, dans la traduction d'Amyot, qu'il falloit semer avec la main, et non pas à pleine poche. C. 5 Gagne. C.

Les subiects d'un prince excessif en dons se rendent excessifs en demandes; ils se taillent, non à la raison, mais à l'exemple. Il y a certes souvent dequoy rougir de nostre impudence; nous sommes surpayez selon iustice, quand la recompense eguale nostre service; car n'en debvons nous rien à nos princes, d'obligation naturelle? S'il porte nostre despense, il faict trop; c'est assez qu'il l'ayde : le surplus s'appelle bienfaict, lequel ne se peult exiger; car le nom mesme de la Liberalité sonne Liberté. A nostre mode, ce n'est iamais faict; le receu ne se met plus en compte; on n'ayme la liberalité que future : parquoy plus un prince s'espuise en donnant, plus il s'appauvrit d'amis. Comment assouviroit il les envies qui croissent à mesure qu'elles se remplissent? Qui a sa pensee à prendre, ne l'a plus à ce qu'il a prins : la convoitise n'a rien si propre que d'estre ingrate.

L'exemple de Cyrus ne duira pas mal en ce lieu, pour servir, aux roys de ce temps, de touche à recognoistre leurs dons bien ou mal employez, et leur faire veoir combien cet empereur les assenoit3 plus heureusement qu'ils ne font; par où ils sont reduicts à faire leurs emprunts aprez, sur les subiects incogneus, et plustost sur ceulx à qui ils ont faict du mal, que sur ceulx à qui ils ont faict du bien, et n'en receoivent aydes où il y aye rien de gratuit que le nom. Croesus luy reprochoit sa largesse, et calculoit à combien se monteroit son thresor, s'il eust eu les mains plus restreinctes. Il eut envie de iustifier sa liberalité; et despeschant de toutes parts vers les grands de son estat qu'il avoit particulie rement advancez, pria chascun de le secourir

1 On peut d'autant moins l'exercer qu'on l'a déjà plus exercée... Quelle folie de se mettre dans l'impuissance de faire longtemps ce qu'on fait avec plaisir! Cic. de Offic. II, Já. 2 Edition de 1588, fol. 396 : « Bouffons, maquereaux, mo nestriers, et telle racaille d'hommes, estimants, etc. » 3 Les plaçait. C.

« PredošláPokračovať »