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naissance, et que le visage du monde se presente en cet estat à nostre premiere veue, il semble que nous soyons nayz à la condition de suyvre ce train; et les communes imaginations que nous trouvons en credit autour de nous, et infuses en nostre ame par la semence de nos peres, il semble que ce soyent les generales et naturelles par où il advient que ce qui est hors les gonds de la coustume, on le croit hors les gonds de la raison; Dieu sçait combien desraisonnablement le plus souvent!

Si comme nous, qui nous estudions, avons apprins de faire, chascun qui oid une iuste sentence, regardoit incontinent par où elle luy appartient en son propre, chascun trouveroit que cette cy n'est pas tant un bon mot, qu'un bon coup de fouet à la bestise ordinaire de son iugement mais on receoit les advis de la verité et ses preceptes comme addressez au peuple, non iamais à soy; et au lieu de les coucher sur ses mœurs, chascun les couche en sa memoire, tres sottement et tres inutilement. Revenons à l'empire de la coustume.

Les peuples nourris à la liberté, et à se commander eulx mesmes, estiment toute aultre forme de police monstrueuse et contre nature: ceulx qui sont duicts à la monarchie, en font de mesme; et quelque facilité que leur preste fortune | au changement, lors mesme qu'ils se sont, avecques grandes difficultez, desfaicts de l'importunité d'un maistre, ils courent à en replanter un nouveau avecques pareilles difficultez, pour ne se pouvoir resouldre de prendre en haine la maistrise. C'est par l'entremise de la coustume que chascun est content du lieu où nature l'a planté; et les sauvages d'Escosse n'ont que faire de la Touraine, ny les Scythes, de la Thessalie. Darius demandoit à quelques Grecs, pour combien ils vouldroient prendre la coustume des Indes, de manger leurs peres trespassez (car c'estoit leur forme, estimants ne leur pouvoir donner plus favorable sepulture que dans eulx mesmes); ils luy respondirent, que pour chose du monde ils ne le feroient: mais s'estant aussi essayé de persuader aux Indiens de laisser leur façon, et prendre celle de Grece, qui estoit de brusler les corps de leurs peres, il leur feit encores plus d'horreur. Chascun en faict ainsi, d'autant que l'usage nous desrobbe le vray visage des choses.

Nil adeo magnum, nec tam mirabile quidquam I HERODOTE, III, 38. J. V. L›

Principio, quod non minuant mirarier omnes
Paulatim '.

Aultrefois ayant à faire valoir quelqu'une de nos observations, et reecue avecques resolue auctorité bien loing autour de nous; et ne voulant point, comme il se faict, l'establir seulement par la force des loix et des exemples, mais questant tousiours iusques à son origine, i'y trouvay le fondement si foible, qu'à peine que ie ne m'en desgoustasse, moy, qui avois à la confirmer en aultruy. C'est cette recepte, par laquelle Platon entreprend de chasser les desnaturees et preposteres amours de son temps, qu'il estime souveraine et principale; à sçavoir, que l'opinion publicque les condemne; que les poëtes, que chascun en face des mauvais contes : recepte par le moyen de laquelle les plus belles filles n'attirent plus l'amour des peres, ny les freres plus excellents en beaulté, l'amour des sœurs; les fables mesmes de Thyestes, d'Oedipus, de Macareus, ayant, avecques le plaisir de leur chant, infus cette utile creance en la tendre cervelle des enfants 2. De vray, la pudicité est une belle vertu, et de laquelle l'utilité est assez cogneue; mais de la traicter et faire valoir selon nature, il est autant malaysé, comme il est aysé de la faire valoir selon l'usage, les loix et les preceptes. Les premieres et universelles raisons sont de difficile perscrutation; et les passent nos maistres en escumant; ou en ne les osant pas seulement taster, se iectent d'abordee dans la franchise de la coustume; là ils s'enflent et triumphent à bon compte. Ceulx qui ne se veulent laisser tirer hors cette originelle source faillent encores plus, et s'obligent à des opinions sauvages; tesmoing Chrysippus 3, qui sema en tant de lieux de ses escripts, le peu de compte en quoy il tenoit les conionctions incestueuses, quelles qu'elles feussent.

3

Qui vouldra se desfaire de ce violent preiudice de la coustume, il trouvera plusieurs choses receues d'une resolution indubitable, qui n'ont appuy qu'en la barbe chenue et rides de l'usage qui les accompaigne: mais ce masque arraché, rapportant les choses à la verité et à la raison, il sentira son iugement comme tout bouleversé, et remis pourtant en bien plus seur estat. Pour exemple, ie luy demanderay lors,

■ Il n'est rien de si grand, rien de si admirable au premier abord, que peu à peu l'on ne regarde avec moins d'admiration. LUCRÈCE, II, 1027.

2 PLATON, Lois, VIII, 6, édit. d'Henri Estienne, t. II, p. 838; édit. de M. Ast, p. 310. J. V. L.

3 SEXTUS EMPIRICUS, Pyrrhon. Hypotyp. I 14. C.

quelle chose peult estre plus estrange, que de veoir un peuple obligé à suyvre les loix qu'il n'entendit oncques; attaché en touts ses affaires domestiques, mariages, donations, testaments, ventes et achapts, à des reigles qu'il ne peult sçavoir, n'estants escriptes ny publiees en sa langue, et desquelles, par necessité, il luy faille achepter l'interpretation et l'usage: non selon l'ingenieuse opinion d'Isocrates', qui conseille à son roy de rendre les traficques et negociations de ses subiects, libres, franches et lucratifves, et leurs debats et querelles, onereuses, chargees de poisants subsides; mais selon une opinion prodigieuse, de mettre en traficque la raison mesme, et donner aux loix cours de marchandise. Ie sçay bon gré à la fortune dequoy, comme disent nos historiens, ce feut un gentilhomme gascon et de mon pays, qui le premier s'opposa à Charlemaigne nous voulant donner des leix latines et imperiales.

Qu'est il plus farouche que de veoir une nation où, par legitime coustume, la charge de iuger se vende 2, et les iugements soyent payez à purs deniers comptants, et où legitimement la iustice soit refusee à qui n'a dequoy la payer; et ayt cette marchandise si grand credit, qu'il se face en une police un quatriesme estat de gents maniants les procez, pour le ioindre aux trois anciens, de l'eglise, de la noblesse, et du peuple; lequel estat ayant la charge des loix et souveraine auctorité des biens et des vies, face un corps à part de celuy de la noblesse d'où il advienne qu'il y ayt doubles loix, celles de l'honneur, et celles de la iustice, en plusieurs choses fort contraires; aussi rigoreusement condemnent celles là un dementy souffert, comme celles icy un dementy revenché; par le debvoir des armes, celuy là soit degradé d'honneur et de noblesse, qui souffre une iniure, et par le debvoir civil, celuy qui s'en venge encoure une peine capitale; qui s'adresse aux loix pour avoir raison d'une offense faicte à son honneur, il se deshonnore; et qui ne s'y adresse, il en est puny et chastié par les loix et de ces deux pieces si diverses, se rapportants toutesfois à un seul chef, ceulx là ayent la paix, ceulx cy la guerre, en charge; ceulx là ayent le gaing, ceulx cy l'honneur; ceulx là le sçavoir, ceulx cy la vertu; ceulx là la parole, ceulx cy l'action; ceulx là la justice, ceulx ey la vaillance; ceulx là la raison,

1 Disc. à Nicoclès, édit. d'Henri Estienne, p. 18. C. 2 Depuis le chancelier du Prat, sous François Ier.

ceulx cy la force; ceulx là la robbe longue, ceulx cy la courte, en partage?

Quant aux choses indifferentes, comme vestements, qui les vouldra ramener à leur vraye fin, qui est le service et commodité du corps, d'où depend leur grace et bienseance originelle: pour les plus fantastiques à mon gré qui se puissent imaginer, ie luy donray entre aultres nos bonnets quarrez; cette longue queue de veloux plissé qui pend aux testes de nos femmes avecques son attirail bigarré; et ce vain modele et inutile d'un membre que nous ne pouvons seulement honnestement nommer, duquel toutesfois nous faisons montre et parade en public. Ces considerations ne destournent pourtant pas un homme d'entendement de suyvre le style commun': ains au rebours, il me semble que toutes façons escartees et particulieres partent plustost de folie ou d'affectation ambitieuse, que de vraye raison; et que le sage doibt au dedans retirer son ame de la presse, et la tenir en liberté et puissance de iuger librement des choses; mais quant au dehors, qu'il doibt suyvre entierement les façons et formes receues. La societé publicque n'a que faire de nos pensees; mais le demourant, comme nos actions, nostre travail, nos fortunes, et nostre vie, il les fault prester et abandonner à son service et aux opinions communes : comme ce bon et grand Socrates refusa de sauver sa vie, par la desobeïssance du magistrat, voire d'un magistrat tres iniuste et tres inique; car c'est la reigle des reigles, et generale loy des loix, que chascun observe celle du lieu où il est :

Νόμοις ἕπεσθαι τοῖσιν ἐγχωρίοις καλόν 2.

En voycy d'une aultre cuvee. Il y a grand doubte s'il se peult trouver si evident proufit au changement d'une loy receue, telle qu'elle soit, qu'il y a du mal à la remuer d'autant qu'une police, c'est comme un bastiment de diverses pieces ioinctes ensemble d'une telle liaison, qu'il est impossible d'en esbranler une, que tout le corps ne s'en sente. Le legislateur des Thuriens 3 ordonna que quiconque vouldroit, ou abolir une des vieilles loix, ou en establir une nouvelle, se presenteroit au peuple la chorde au col; à fin que si la nouvelleté n'estoit approuvee d'un chascun, il feust incontinent estranglé : et celuy de Lacedemone employa sa vie, pour I Dans le chapitre 3 du livre III, Montaigne revient sur ces idées et les développe. A. D.

2 Il est beau d'obéir aux lois de son pays. Excerpta ex tragad. græcis, H. GROTIO interpr. 1626, in-4°, p. 937. 3 Charondas. DIODORE DE SICILE, XII, 24. C.

tirer de ses citoyens une promesse asseuree de | viles de son temps, qu'en faveur des vices pun'enfreindre aulcune de ses ordonnances 1. L'ephore qui couppa si rudement les deux chordes que Phrynis avoit adiousté à la musique, ne s'esmoye pas si elle en vault mieulx, ou si les accords en sont mieulx remplis; il luy suffit, pour les condemner, que ce soit une alteration de la vieille façon. C'est ce que signifioit cette espee rouillee de la iustice de Marseille 3.

Ie suis desgouté de la nouvelleté, quelque visage qu'elle porte; et ay raison, car i'en ay veu des effects tres dommageables: celle qui nous presse depuis tant d'ans, elle n'a pas tout exploicté; mais on peult dire, avecques apparence, que par accident elle a tout produict et 'engendré, voire et les maulx et ruynes qui se font depuis, sans elle et contre elle: c'est à elle de s'en prendre au nez 5;

blicques on les baptisoit de mots nouveaux plus doulx pour leur excuse, abastardissant et amollissant leurs vrays tiltres: c'est pourtant pour reformer nos consciences et nos creances! honesta oratio est1. Mais le meilleur pretexte de nouvelleté est tres dangereux: adeo nihil motum ex antiquo probabile est2 ! Si me semble il, à le dire franchement, qu'il y a grand amour de soy et presumption, d'estimer ses opinions iusques là que, pour les establir, il faille renverser une paix publicque, et introduire tant de maulx inevitables, et une si horrible corruption de mœurs que les guerres civiles apportent, et les mutations d'estat en chose de tel poids, et les introduire en son païs propre. Est ce pas mal mesnagé, d'avancer tant de vices certains et cogneus, pour combattre des erreurs contestees et debattables? est il quelque pire espece de vices, que ceulx qui chocquent la propre conscience et naturelle cognoissance? Le senat osa donner en payement cette desfaicte, sur le different d'entre luy et le peuple, pour le ministere de leur religion, ad deos id magis, quam ad se, pertinere ; ipsos visuros, ne sacra sua polluantur3; conformement à ce que respondit l'oracle à ceulx de Delphes, en la guerre medoise, craignants l'invasion des Perses. Ils demanderent au dieu ce qu'ils avoient à faire des tresors sacrez de son temple, ou les cacher, ou les emporter il leur respondit, qu'ils ne bougeassent rien, qu'ils se souciassent d'eulx; qu'il estoit suffisant pour prouveoir à ce qui luy estoit propre 4.

Heu! patior telis vulnera facta meis 6; Ceulx qui donnent le bransle à un estat, sont volontiers les premiers absorbez en sa ruyne, le fruict du trouble ne demeure gueres à celuy qui l'a esmeu; il bat et brouille l'eau pour d'aultres pescheurs. La liaison et contexture de cette monarchie et ce grand bastiment ayant esté desmis et dissoult, notamment sur ses vieux ans, par elle, donne tant qu'on veult d'ouverture et d'entree à pareilles iniures: la maiesté royale s'avalle plus difficilement du sommet au milieu, qu'elle ne se precipite du milieu à fond. Mais si les inventeurs sont plus dommageables, les imitateurs sont plus vicieux, de se iecter en des exemples desquels ils ont senty et puny l'horreur et le mal : et s'il y a quelque degré d'honneur, mesme au mal à faire, ceulx cy doibvent aux aultres la gloire de l'invention et le courage du premier effort. Toutes sortes de nouvelles desbauches puisent heureusement en cette premiere et feconde source, les images et patrons à troubler nostre police; on lit en nos loix mesmes, faictes pour le remede de ce premier mal, l'apprentissage et l'excuse de toutes sortes de mauvaises entreprinses; et nous ad-litique; et a soubmis son progrez, et la conduicte vient ce que Thucydides dict des guerres ci

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La religion chrestienne a toutes les marques d'extreme iustice et utilité, mais nulle plus apparente que l'exacte recommendation de l'obeïssance du magistrat et manutention des polices. Quel merveilleux exemple nous en a laissé la sapience divine, qui pour establir le salut du genre humain, et conduire cette sienne glorieuse victoire contre la mort et le peché, ne l'a voulu faire qu'à la mercy de nostre ordre po

d'un si hault effect et si salutaire, à l'aveuglement et iniustice de nos observations et usances, y laissant courir le sang innocent de tant d'esleus ses favoris, et souffrant une longue perte d'anLe prétexte est honnête. TÉRENCE, Andr. act. I, sc. I,

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:

nees à meurir ce fruict inestimable! Il y a grand | volam, pontifices maximos, non Zenonem, aut à dire entre la cause de celuy qui suit les formes Cleanthem, aut Chrysippum sequor1. Dieu le et les loix de son païs, et celuy qui entreprend sçache, en nostre presente querelle, où il y a cent de les regenter et changer : celuy là allegue pour articles à oster et remettre, grands et profonds son excuse la simplicité, l'obeïssance et l'exem- articles, combien ils sont qui se puissent vanter ple; quoy qu'il face, ce ne peult estre malice; d'avoir exactement recogneu les raisons et fonc'est, pour le plus, malheur : quis est enim, dements de l'un et l'aultre party : c'est un nombre, quem non moveat clarissimis monumentis tes- si c'est nombre, qui n'auroit pas grand moyen tata consignataque antiquitas1? oultre ce que de nous troubler. Mais toute cette aultre presse, dict Isocrates', que la defectuosité a plus de où va elle? soubs quelle enseigne se iecte elle à part à la moderation que n'a l'excez : l'aultre est quartier? Il advient de la leur comme des aultres en bien plus rude party; car qui se mesle de medecines foibles et mal appliquees : les humeurs choisir et de changer, usurpe l'auctorité de iuger, qu'elle vouloit purger en nous, elle les a eschaufet se doibt faire fort de veoir la faulte de ce qu'il fees, exasperees et aigries par le conflict; et si, chasse, et le bien de ce qu'il introduict. nous est demeurce dans le corps elle n'a sceu nous purger par sa foiblesse, et nous a cependant affoiblis; en maniere que nous ne la pouvons vuider non plus, et ne recevons de son operation que des douleurs longues et intestines.

Si est ce que la fortune reservant tousiours son auctorité au dessus de nos discours, nous presente aulcunesfois la necessité si urgente, qu'il est besoing que les loix lui facent quelque place : et quand on resiste à l'accroissance d'une innovation qui vient par violence à s'introduire, de se tenir en tout et par tout en bride et en reigle contre ceulx qui ont la clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peult advancer leur desseing, qui n'ont ny loy ny ordre que de suyvre leur advantage, c'est une dangereuse obligation et inequalité.

Cette si vulgaire consideration m'a fermy en mon siege, et tenu ma ieunesse mesme, plus temeraire, en bride, de ne charger mes espaules d'un si lourd fais, que de me rendre respondant d'une science de telle importance, et oser en cette cy ce qu'en sain iugement ie ne pourrois oser en la plus facile de celles ausquelles on m'avoit instruict, et ausquelles la temerité de iuger est de nul preiudice; me semblant tres inique de vouloir soubmettre les constitutions et observances publicques et immobiles à l'instabilité d'une privee fantasie (la raison privee n'a qu'une iurisdiction privee), et entreprendre sur les loix divines ce que nulle police ne supporteroit aux civiles; ausquelles encores que l'humaine raison ayt beaucoup plus de commerce, si sont elles souverainement iuges de leurs iuges; et l'extreme suffisance sert à expliquer et estendre l'usage qui en est receu, non à le destourner et innover. Si quelquesfois la providence divine a passé par dessus les reigles ausquelles elle nous a necessairement astreincts, ce n'est pas pour nous en dispenser : ce sont coups de la main divine, qu'il nous fault non pas imiter, mais admirer; et exemples extraordinaires marquez d'un exprez et particulier adveu, du genre des miracles, qu'elle nous offre pour tesmoignage de sa sçait qu'il est encores reproché à ces deux grands toute puissance, au dessus de nos ordres et de personnages, Octavius et Caton, aux guerres nos forces, qu'il est folie et impieté d'essayer à civiles, l'un de Sylla, l'aultre de Cesar, d'avoir plustost laissé encourir toutes extremitez à leur representer, et que nous ne debvons pas suyvre, patrie, que de la secourir aux despens de ses loix, mais contempler avec estonnement, acte de son personnage, non pas du nostre. Cotta proteste et que de rien remuer: car, à la verité, en ces bien opportuneement: Quum de religione agi- dernieres necessitez où il n'y a plus que tenir, tur, Ti. Coruncanium, P. Scipionem, P. Sc-il seroit à l'adventure plus sagement faict de

* Qui pourrait ne pas respecter une antiquité qui nous a été conservée et transmise par les plus éclatants témoignages? CICERON, de Divin. I, 40.

Discours à Nicoclès, pag. 21. C.

MONTAIGNE.

Aditum nocendi perfido præstat fides 2 : d'autant que la discipline ordinaire d'un estat, qui est en sa santé, ne pourveoit pas à ces accidents extraordinaires; elle presuppose un corps qui se tient en ses principaulx membres et offices, et un commun consentement à son observation et obeïssance. L'aller legitime est un aller froid, poisant et contrainct, et n'est pas pour

tenir bon à un aller licentieux et effrené. On

En matière de religion, j'écoute Tib. Coruncanius, P. Scipion, P. Scévola, souverains pontifes, et non pas Zénon, Cléanthe, ou Chrysippe. Cic. de Nat. deor. III, 2.

2 Se fier à un perfide, c'est lui donner moyen de nuire. SÉNÈQUE, OEdip, act. III. v. 686.

s'aheurtant, oultre la possibilité, à ne rien relascher, donner occasion à la violence de fouler tout aux pieds; et vauldroit mieulx faire vouloir aux loix ce qu'elles peuvent, puis qu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent. Ainsi feit celuy qui ordonna qu'elles dormissent vingt et quatre heures; et celuy qui remua pour cette fois un iour du calendrier; et cet aultre qui du mois de iuin feit le second may. Les Lacedemoniens mesmes, tant religieux observateurs des ordonnances de leur païs, estants pressez de leur loy qui deffendoit d'eslire par deux fois admiral un mesme personnage,et de l'aultre part leurs affaires requerants de toute necessité que Lysander prinst derechef cette charge, ils feirent bien un Aracus admiral, mais Lysander surintendant de la marine et de mesme subtilité, un de leurs ambassadeurs estant envoyé vers les Atheniens pour obtenir le changement de quelque ordonnance, et Pericles luy alleguant qu'il estoit deffendu d'oster le tableau où une loy estoit une fois posee, luy conseilla de le tourner seulement, d'autant que cela n'estoit pas deffendu 4. C'est ce dequoy Plutarque loue Philopomen, qu'estant nay pour commander, il sçavoit non seulement commander selon les loix, mais aux loix mesmes, quand la necessité publicque le requeroit.

baisser la teste et prester un peu au coup, que | advertissement : mais se promenant lendemain au mont Saincte Catherine, d'où se faisoit nostre batterie à Rouan (car c'estoit au temps que nous la tenions assiegee), ayant à ses costez ledit seigneur grand aumosnier et un aultre evesque, il apperceut ce gentilhomme qui luy avoit esté remarqué, et le feit appeller. Comme il feut en sa presence, il luy dict ainsi, le veoyant desia paslir et fremir des alarmes de sa conscience: « Monsieur de tel lieu, vous vous doubtez bien de ce que ie vous veulx, et vostre visage le montre. Vous n'avez rien à me cacher; car ie suis instruict de votre affaire si avant, que vous ne feriez qu'empirer vostre marché d'essayer à le couvrir. Vous sçavez bien telle chose et telle (qui estoient les tenants et aboutissants des plus secrettes pieces de cette menee): ne faillez, sur vostre vie, à me confesser la verité de tout ce desseing. » Quand ce pauvre homme se trouva prins et convaincu (car le tout avoit esté descouvert à la royne par l'un des complices), il n'eut qu'à ioindre les mains et requerir la grace et misericorde de ce prince, aux pieds duquel il se voulut iecter; mais il l'en garda, suyvant ainsi son propos1: « Venez ça; vous ay ie aultrefois faict desplaisir? ay ie offensé quelqu'un des vostres par haine particuliere? Il n'y a pas trois semaines que ie vous cognoy; quelle raison vous a peu mouvoir à entreprendre ma mort? » Le gentilhomme respondit à cela, d'une voix tremblante, que ce n'estoit aulcune occasion particuliere qu'il en eust, mais l'interest de la cause generale de son party, et qu'aulcuns luy avoient persuadé que ce seroit une execution pleine de pieté, d'extirper, en quelque maniere que ce feust, un si puissant ennemy de leur religion. Or, suyvit ce prince, ie vous veulx montrer combien la religion que ie tiens est plus doulce que celle dequoy vous faictes profession. La vostre vous a conseillé de me tuer sans m'ouyr, n'ayant receu de moy aulcune offense; et la mienne me commande que ie vous pardonne, tout convaincu que vous estes de m'avoir voulu tuer sans raison. Allez vous en, retirez vous; que ie ne vous veoye plus icy : et si vous estes sage, prenez doresnavant en vos entreprinses des conseillers plus gents de bien que ceulx là. » L'empereur Auguste estant en la Gaule, receut certain advertissement d'une coniuration

CHAPITRE XXIII.

Divers evenements de mesme conseil.

Jacques Amyot, grand aumosnier de France, me recita un iour cette histoire à l'honneur d'un prince des nostres (et nostre estoit il à tres bonnes enseignes, encores que son origine feust estrangiere), que durant nos premiers troubles, au siege de Rouan, ce prince ayant esté adverty, par la royne mere du roy, d'une entreprinse qu'on faisoit sur sa vie, et instruict particulierement, par ses lettres, de celuy qui la debvoit conduire à chef, qui estoit un gentilhomme angevin, ou manceau, frequentant lors ordinairement pour cet effect la maison de ce prince, il ne communiqua à personne cet

C'est Agesilas, dans PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens, et Vie d'Agésilas. C.

2 Alexandre le Grand. Voy. PLUTARQUE, Alex. c. 5. C. 3 PLUTARQUE, Vie de Lysandre, c. 4. C.

4 PLUTARQUE, Vie de Périclès, c. 18. C.

5 Dans la comparaison de T. Q. Flaminius avec Philopomen, vers la fin. C.

Le duc de Guise, surnommé le Balafré, de la maison de Lorraine. Au siége de Rouen, en 1562.

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Tout ceci se trouve dans un livre intitulé la Fortune de la Cour, composé par le sieur de Dampmartin, ancien courtisan du règne de Henri III (liv. II, pag. 139). C.

2 Voyez SÉNÈQUE, dans son traité de la Clémence, I, 9, d'où cette histoire a été transportée ici mot pour mot.

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