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pas tousiours exactement aux conclusions de ses iugements, lesquels il suit selon la pente qu'il y a prinse, souvent oultre la matiere qu'il nous monstre, laquelle il n'a daigné incliner d'un seul air. Il n'a pas besoing d'excuse d'avoir approuvé la religion de son temps, selon les loix qui luy commandoient, et ignoré la vraye : cela, c'est son malheur, non pas son default.

fais de bois, ses mains se roidirent de froid, et se collerent à sa charge, si qu'elles y demeurerent attachees et mortes, s'estants desparties des bras1. l'ay accoustumé, en telles choses, de plier soubs l'auctorité de si grands tesmoings.

Ce qu'il dict aussi, que Vespasian, par la faveur du dieu Serapis, guarit en Alexandrie une femme aveugle, en luy oignant les yeulx de sa salive, et ie ne sçay quel aultre miracle 2, il le faict par l'exemple et debvoir de touts bons historiens. Ils tiennent registre des evenements d'im

l'ay principalement consideré son iugement, et n'en suis pas bien esclaircy par tout comme ces mots de la lettre que Tibere, vieil et malade, envoyoit au senat1 : « Que vous escriray ie, mes-portance: parmy les accidents publicques, sont sieurs, ou comment vous escriray ie, ou que ne vous escriray ie point, en ce temps? les dieux et les deesses me perdent pirement que ie ne me sens touts les iours perir, si ie le sçay!» le n'apperceoy pas pourquoy il les applique si certainement à un poignant remors qui tormente la conscience de Tibere; au moins lors que l'estois à mesme, ie ne le veis point.

Cela m'a semblé aussi un peu lasche, qu'ayant eu à dire qu'il avoit exercé certain honnorable magistrat à Rome, il s'aille excusant que ce n'est poinct par ostentation qu'il l'a dict: ce traict me semble bas de poil, pour une ame de sa sorte; car le n'oser parler rondement de soy, accuse quelque faulte de cœur un iugement roide et haultain, et qui iuge sainement et seurement, il use à toutes mains des propres exemples, ainsi que de chose estrangiere; et tesmoigne franchement de luy, comme de chose tierce. Il fault passer par dessus ces reigles populaires de la civilité, en faveur de la verité et de la liberté. l'ose non seulement parler de moy, mais parler seulement de moy ie fourvoye quand l'escris d'aultre chose, et me desrobbe à mon subiect. le ne m'ayme pas si indiscrettement, et ne suis si attaché et meslé à moy, que ie ne me puisse distinguer et considerer à quartier, comme un voysin, comme un arbre : c'est pareillement faillir de ne veoir pas iusques où on vault, ou d'en dire plus qu'on n'en veoid. Nous debvons plus d'amour à Dieu qu'à nous, et le cognoissons moins; et si en parlons tout nostre saoul.

Si ses escripts rapportent aulcune chose de ses conditions, c'estoit un grand personnage, droicturier et courageux, non d'une vertu superstitieuse, mais philosophique et genereuse. On le pourra trouver hardy en ses tesmoignages; comme où il tient qu'un soldat portant un

TACITE, Annal. VI, 6. Suétone est du même avis que Tacite sur cette lettre, Tiber. c. 67. J. V. L.

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aussi les bruicts et opinions populaires. C'est leur roolle de reciter les communes creances, non pas de les reigler; cette part touche les theologiens et les philosophes directeurs des consciences : pourtant tres sagement, ce sien compaignon, et grand homme comme luy Equidem plura transcribo, quam credo; nam nec affirmare sustineo, de quibus dubito, nec subducere, quæ accepi3; et l'aultre: Hæc neque affirmare, neque refellere operæ pretium est.... famæ rerum standum est 4. Et escrivant en un siecle auquel la creance des prodiges commenceoit à diminuer, il dict ne vouloir pourtant laisser d'inserer en ses annales, et donner pied à chose receue de tant de gents de bien et avecques si grande reverence de l'antiquité : c'est tres bien dict. Qu'ils nous rendent l'histoire, plus selon qu'ils receoivent, que selon qu'ils estiment. Moy qui suis roy de la matiere que ie traicte, et qui n'en dois compte à personne, ne m'en croy pourtant pas du tout ie hazarde souvent des boutades de mon esprit, desquelles ie me desfie, et certaines finesses verbales dequoy ie secoue les aureilles ; mais ie les laisse courir à l'adventure. Ie veoy qu'on s'honnore de pareilles choses; ce n'est pas à moy seul d'en iuger. le me presente debout et couché; le devant et le derriere; à droicte et à gauche, et en touts mes naturels plis. Les esprits, voire pareils en force, ne sont pas tousiours pareils en application et en goust.

Voylà ce que la memoire m'en presente en gros, et assez incertainement: touts iugements en gros sont lasches et imparfaicts.

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CHAPITRE IX.

De la vanité.

2

Il n'en est à l'adventure aulcune plus expresse que d'en escrire si vainement. Ce que la Divinité nous en a si divinement exprimé' debvroit estre soigneusement et continuellement medité par les gents d'entendement. Qui ne veoid que i'ay prins une route par laquelle, sans cesse et sans travail, i'iray autant qu'il y aura d'encre et de papier au monde ? Ie ne puis tenir registre de ma vie par mes actions; fortune les met trop bas: ie le tiens par mes fantasies. Si ay ie veu un gentilhomme qui ne communiquoit sa vie que par les operations de son ventre: vous veoyiez chez luy, en monstre, un ordre de bassins de sept ou huict iours c'estoit son estude, ses discours; tout aultre propos luy puoit. Ce sont icy, un peu plus civilement, des excrements d'un vieil esprit, dur tantost, tantost lasche, et tousiours indigeste. Et quand seray ie à bout de representer une continuelle agitation et mutation de mes pensees, en quelque matiere qu'elles tumbent, puis que Diomedes 3 remplit six mille livres du seul subiect de la grammaire? Que doibt produire le babil, puis que le begayement et desnouement de la langue estouffa le monde d'une si horrible charge de volumes! Tant de paroles pour les paroles seules! O Pythagoras, que n'esconiuras tu cette tempeste! On accusoit un Galba, du temps passé, de ce qu'il vivoit oyseusement: il respondit « que chascun debvoit rendre raison de ses actions, non pas de son seiour. » Il se trompoit; car la iustice a cognoissance et animadversion aussi sur ceulx qui choment.

Mais il y debvroit avoir quelque coerction des loix contre les escrivains ineptes et inutiles, comme il y a contre les vagabonds et faineants; on banniroit des mains de nostre peuple, et moy, et cent aultres. Ce n'est pas mocquerie: l'escrivaillerie semble estre quelque symptome d'un siecle desbordé:quand escrivismes nous tant, que depuis que nous sommes en trouble? quand les Romains

1 Vanitas vanitatum, et omnia vanitas. Eccles. I, 2. J. V. L.

* Vases de nuit. E. J.

3 Montaigne parait prendre ici Diomède pour Didyme, à qui Séneque (Epist. 88) attribue, non pas six mille, mais quatre mille ouvrages. On ne voit pas que le grammairien Diomède, dont il reste des recherches sur la langue et la versification latine, en trois livres, ait été aussi fécond que ce Grec d'Alexandrie. J. V. L.

De son oisiveté, de son repos. Ce mot est de l'empereur Galba, et il est singulier que Montaigne le cite comme étant d'un homme inconnu. Voy. SUETONE, Galb, c. 9. C.

tant, que lors de leur ruyne? Oultre ce que l'affinement des esprits, ce n'en est pas l'assagissement', en une police: cet embesongnement oysif nais! de ce que chascun se prend laschement à l'office de sa vacation, et s'en desbauche. La corruption du siecle se faict par la contribution particuliere de chascun de nous les uns y conferent la trahison, les aultres l'iniustice, l'irreligion, la tyrannie, l'avarice, la cruauté, selon qu'ils sont plus puissants les plus foibles y apportent la sottise, la vanité, l'oysifveté; desquels ie suis. Il semble que ce soit la saison des choses vaines, quand les dommageables nous pressent: en un temps ou le meschamment faire est si commun, de ne faire qu'inutilement il est comme louable. Ie me console que ie seray des derniers sur qui il fauldra mettre la main : ce pendant qu'on pourvoira aux plus pressants, i'auray loy3 de m'amender; car il me semble que ce seroit contre raison de poursuyvre les menus inconvenients, quand les grands nous infestent. Et le medecin Philotimus, à un qui luy presentoit le doigt à panser, auquel il recognoissoit, au visage et à l'haleine, un ulcere aux poulmons : « Mon amy, feit il, ce n'est pas à cette heure le temps de t'amuser à tes ongles »

Ie veis pourtant sur ce propos, il y a quelques annees, qu'un personnage de qui i'ay la memoire en recommendation singuliere, au milieu de nos grands maulx, qu'il n'y avoit ny loy ny iustice, ny magistrat qui feist son office non plus qu'à cette heure, alla publier ie ne sçay quelles chestifves reformations sur les habillements, la cuisine et la chicane. Ce sont amusoires dequoy on paist un peuple malmené, pour dire qu'on ne l'a pas du tout mis en oubly. Ces aultres font de mesme, qui s'arrestent à deffendre, à toute instance, des formes de parler, les dances et les ieux, à un peuple abbandonné à toute sorte de vices exsecrables. Il n'est pas temps de se laver et descrasser, quand on est attainct d'une bonne fiebvre : c'est à faire aux seuls Spartiates, de se mettre à se peigner et testonner 5, sur le poinct qu'ils se vont precipiter à quelque extreme hazard de leur vie.

Quant à moy, i'ay cette aultre pire coustume, que si i'ay un escarpin de travers, ie laisse encores de travers et ma chemise et ma cappe: ie

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desdaigne de m'amender à demy. Quand ie suis en mauvais estat, ie m'acharne au mal; ie m'abbandonne par desespoir, et me laisse aller vers la cheute, et iecte, comme lon dict, le manche aprez la coignee; ie m'obstine à l'empirement et ne m'estime plus. digne de mon soing: ou tout bien, ou tout mal. Ce m'est faveur, que la desolation de cet estat se rencontre à la desolation de mon aage: ie souffre plus volontiers que mes maulx en soient rechargez, que si mes biens en eussent esté troublez. Les paroles que i'exprime au malheur, sont paroles de despit: mon courage se herisse, au lieu de s'applatir; et au rebours des aultres, ie me treuve plus devot en la bonne qu'en la mauvaise fortune, suyvant le precepte de Xenophon', sinon suyvant sa raison; et fois plus volontiers les doulx yeulx au ciel pour le remercier, que pour le requerir. l'ay plus de soing d'augmenter la santé, quand elle me rit, que ie n'ay de la remettre, quand ie l'ay escartee: les prosperitez me servent de discipline et d'instruction; comme aux aultres, les adversitez et les verges. Comme si la bonne fortune estoit incompatible avecques la bonne conscience, les hommes ne se rendent gents de bien qu'en la mauvaise. Le bonheur m'est un singulier aiguillon à la moderation et modestie : la priere me gaigne, la menace me rebute; la faveur me ploye, la crainte me roidit.

Parmy les conditions humaines, cette cy est assez commune, de nous plaire plus des choses estrangieres que des nostres, et d'aymer le remuement et le changement;

Ipsa dies ideo nos grato perluit haustu,

Quod permutatis hora recurrit equis 2: i'en tiens ma part. Ceulx qui suyvent l'aultre extremité, de s'agreer en eulx mesmes, d'estimer ce qu'ils tiennent au dessus du reste, et de ne recognoistre aulcune forme plus belle que celle qu'ils veoyent; s'ils ne sont plus advisez que nous, ils sont à la verité plus heureux : ie n'envie point leur sagesse, mais ouy leur bonne fortune.

Cette humeur avide des choses nouvelles et incogneues, ayde bien à nourrir en moy le desir de voyager; mais assez d'aultres circonstances y conferentie me destourne volontiers du gouvernement de ma maison. Il y a quelque commodité à commander, feust ce dans une grange, et à estre obeï des siens; mais c'est un plaisir trop

1 Cyropédie, I, 6, 3; passage cité par PLUTARQUE, Du contentement ou repos de l'esprit, c. I de la version d'Amyot. J. V. L.

• La lumière même du jour ne nous plaît que parce que les heures ont changé de coursiers. Fragm. de PÉTRONE, p. 678.

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uniforme et languissant: et puis, il est, par necessité, meslé de plusieurs pensements fascheux ; tantost l'indigence et l'oppression de vostre peuple, tantost la querelle d'entre vos voysins, tost l'usurpation qu'ils font sur vous, vous afflige; Aut verberatæ grandine vineæ, Fundusque mendax, arbore nunc aquas Culpante, nunc torrentia agros

Sidera, nunc hiemes iniquas:

et qu'à peine, en six mois, envoyera Dieu une saison dequoy vostre receveur se contente bien à plain; et que si elle sert aux vignes, elle ne nuise aux prez;

Aut nimiis torret fervoribus ætherius sol, Aut subiti perimunt imbres, gelidæque pruinæ, Flabraque ventorum violento turbine vexant2: ioinct le soulier neuf et bien formé, de cet homme du temps passé, qui vous blece le pied3; et que l'estrangier n'entend pas combien il vous couste, et combien vous prestez 4 à maintenir l'apparence de cet ordre qu'on veoid en vostre famille, et qu'à l'adventure l'acheptez vous trop cher.

Ie me suis prins tard au mesnage : ceulx que nature avoit fait naistre avant moy m'en ont deschargé long temps; i'avoy desia prins un aultre ply, plus selon ma complexion. Toutesfois de ce que i'en ay veu, c'est une occupation plus empeschante que difficile: quiconque est capable d'aultre chose, le sera bien ayseement de celle là. Si ie cherchois à m'enrichir, cette voye me sembleroit trop longue: i'eusse servy les roys, traficque plus fertile que toute aultre. Puis que ie ne pretens acquerir que la reputation de n'avoir rien acquis, non plus que dissipé, conformement au reste de ma vie, impropre à faire bien et à faire mal qui vaille, et que ie ne cherche qu'à passer; ie le puis faire, Dieu mercy, sans grande attention. Au pis aller, courez tousiours par retrenche

Tantôt vos vignes sont frappées de la grêle; tantôt vos

terres, trompant votre espérance, accusent ou les pluies, ou les chaleurs trop vives, ou les hivers trop rigoureux. HoR. Od. III, 1, 29.

2 Où le soleil brûle de ses feux les productions de la terre ; ou les pluies soudaines, les gelées piquantes, les détruisent; ou les vents impétueux les emportent dans leurs tourbillons. LUCRÈCE, V, 216.

3 Montaigne, je crois, veut parler ici de sa femme, et il n'en parle jamais qu'à demi-mot; mais l'endroit de PLUTARQUE auquel il fait allusion (Vie de Paul Emile, c. 3 de la version d'Amyot) laissera entendre ce qu'il ne dit pas. «Un Romain ayant repudié sa femme, ses amis l'en tanserent, en luy demandant : « Que trouves tu à redire en elle? n'est elle pas femme « de bien de son corps? n'est elle pas belle? ne porte elle pas « de beaux enfants? » Et luy, estendant son pied, leur monstra son soulier, et leur respondit : « Ce soulier n'est il pas beau? « n'est il pas bien faict? n'est il pas tout neuf? toutesfois il n'y « a personne de vous qui scache où il me blece le pied. » J. V. L.. 4 Et tous les sacrifices que vous faites pour, etc. J. V. L.

Tant y a, que le dommage qui vient de mon absence ne me semble point meriter, pendant que i'auray dequoy le porter, que ie refuse d'accepter les occasions qui se presentent de me distraire de cette assistance penible.

ment de despense, devant la pauvreté : c'est à | toient habiles, qu'il le distribuast aux plus sots quoy ie m'attens', et de me reformer, avant du peuple : » comme si les sots, pour estre moms qu'elle m'y force. I'ay estably au demourant, en capables de s'en passer, estoient plus capables d'umon ame, assez de degrez à me passer de moins ser des richesses! que ce que i'ay; ie dis, passer avecques contentement: non æstimatione census, verum victu atque cultu, terminatur pecuniæ modus. Mon vray besoing n'occupe pas si iustement tout mon avoir, que, sans venir au vif, fortune n'ait où mordre sur moy. Ma presence, toute ignorante et desdaigneuse qu'elle est, preste grande espaule à mes affaires domestiques : ie m'y employe, mais despiteusement; ioinct que i'ay cela chez moy, que pour brusler à part la chandelle par mon bout, l'aultre bout ne s'espargne de rien.

Il y a tousiours quelque piece qui va de travers les negoces, tantost d'une maison, tantost d'une aultre, vous tirassent : vous esclairez toutes choses de trop prez; vostre perspicacité vous nuit icy, comme si faict elle assez ailleurs. Ie me desrobbe aux occasions de me fascher, et me destourne de la cognoissance des choses qui vont

Les voyages ne me blecent que par la despense, qui est grande et oultre mes forces, ayant accous-mal : et si, ne puis tant faire, qu'à toute heure ie tumé d'y estre avecques equippage non necessaire seulement, mais encores honneste: il me les en fault faire d'autant plus courts et moins frequents; et n'y employe que l'escume et ma reserve, temporisant et differant, selon qu'elle vient. Ie ne veulx pas que le plaisir du promener corrompe le plaisir du repos; au rebours, i'entens qu'ils se nourrissent et favorisent l'un l'aultre. La fortune m'a aydé en cecy, que puis que ma principale profession en cette vie estoit de la vivre mollement, et plustost laschement qu'affaireusement, elle m'a osté le besoing de multiplier en richesses pour pourveoir à la multitude de mes heritiers. Pour un 3, s'il n'a assez de ce dequoy i̇'ay eu si plantureusement assez, à son dam; son imprudence ne meritera pas que ie luy en desire davantage. Et chascun, selon l'exemple de Phocion, pourveoid suffisamment à ses enfants, qui leur pourveoid, entant qu'ils ne luy sont dissemblables. Nullement seroy ie d'advis du faict de Crates 5: il laissa son argent chez un banquier, avecques cette condition : « Si ses enfants estoient des sots, qu'il le leur donnast; s'ils es

1 Latinisme, pour, c'est à quoi je suis attentif, ou comme on a mis dans l'édition de 1635, c'est à quoi je me bande. Cette édition est remplie d'altérations semblables qu'il est inutile de recueillir. J. V. L.

2 Ce n'est point par les revenus de chacun, mais par ses besoins, qu'il faut estimer sa fortune. CIC. Paradox. VI, 3. 3 On sait que Montaigne n'avait qu'une fille pour héritière. E. J.

4 Montaigne fait allusion à la réponse que Phocion fit aux envoyés de Philippe, qui, pour l'engager à accepter les présents de ce roi, lui représentaient que ses enfants étant pauvres, ne pourraient pas soutenir la gloire de leur père. «< S'il me ressemblent, dit-il, mon petit bien de campagne doit suffire à leur fortune, comme il a suffi à la mienne; sinon, je ne veux pas, à mes dépens, nourrir et augmenter leur dissolution. » CORN. NEPOS, Phoc. c. 1. C.

5 DIOG. LAERCE, VI, 88. C.

ne heurte chez moy en quelque rencontre qui me desplaise; et les friponneries qu'on me cache le plus, sont celles que ie sçay le mieulx : il en est que, pour faire moins mal, il fault ayder soy mesme à cacher. Vaines poinctures; vaines par fois, mais tousiours poinctures. Les plus menus et grailes empeschements sont les plus perceants ; et comme les petites lettres lassent plus les yeulx, aussi nous picquent plus les petits affaires. La tourbe des menus maulx offense plus que la violence d'un, pour grand qu'il soit. A mesure que ces espines domestiques sont drues et desliees, elles nous mordent plus aigu et sans menaces, nous surprenants facilement à l'impourveu 1. Ie ne suis pas philosophe : les maulx me foulent selon qu'ils poisent, et poisent selon la forme, comme selon la matiere, et souvent plus : i'en ay plus de perspicacité que le vulgaire, si i'y ay plus de patience; enfin s'ils ne me blecent, ils me poisent. C'est chose tendre que la vie, et aysee à troubler. Depuis que i'ay le visage tourné vers le chagrin, nemo enim resistit sibi, quum cœperit impelli, pour sotte cause qui m'y ayt porté, i'irrite l'humeur de ce costé là; qui se nourrit aprez et s'exaspere, de son propre bransle, attirant et emmoncellant une matiere sur aultre dequoy se paistre:

1 Après ces mots, on lit dans l'édition de 1588, fol. 418 verso. « Or nous monstre assez Homere, combien la surprinse donne d'advantage, qui faict Ulysse pleurant de la mort de son chien, et ne pleurant point des pleurs de sa mere: le premier accident, tout legier qu'il estoit, l'emporta, d'autant qu'il en feut inopineement assailly; il soustint le second, plus impetueux, parce qu'il y estoit preparé. Ce sont rieres occasions, qui pourtant troublent la vie : c'est chose tendre que nostre vie, et aysee a blecer. Depuis que, etc. »

2 La première impulsion reçue, on ne peut plus résister. SENEQUE, Epist. 13.

Stillicidi casus lapidem cavat':

ces ordinaires gouttieres me mangent et m'ulcerent. Les inconvenients ordinaires ne sont iamais legiers ils sont continuels et irreparables, nommeement quand ils naissent des membres du mesnage, continuels et inseparables. Quand ie considere mes affaires de loing et en gros, ie treuve, soit pour n'en avoir la memoire gueres exacte, qu'ils sont allez iusques à cette heure en prosperant, oultre mes comptes et mes raisons: i'en retire, ce me semble, plus qu'il n'y en a; leur bonheur me trahit. Mais suis ie au dedans de la besongne, veoy ie marcher toutes ces parcelles, Tum vero in curas animum diducimus omnes 2; mille choses m'y donnent à desirer et craindre. De les abbandonner du tout, il m'est tres facile; de m'y prendre sans m'en peiner, tres difficile. C'est pitié, d'estre en lieu où tout ce que vous veoyez vous embesongne et vous concerne : et me semble iouyr plus gayement les plaisirs d'une maison estrangiere, et y apporter le goust plus libre et pur. Diogenes respondit selon moy, à celuy qui luy demanda quelle sorte de vin il trouvoit le meilleur : « L'estrangier, » feit il 3.

Mon pere aymoit à bastir Montaigne, où il estoit nay; et en toute cette police d'affaires domestiques, i'ayme à me servir de son exemple et de ses reigles; et y attacheray mes successeurs autant que ie pourray. Si ie pouvoy mieulx pour luy, ie le feroy ie me glorifie que sa volonté s'exerce encores et agisse par moy. Ia Dieu ne permette que ie laisse faillir entre mes mains aulcune image de vie que ie puisse rendre à un si bon pere! Ce que ie me suis meslé d'achever quelque vieux pan de mur, et de renger quelque piece de bastiment mal dolé 4, ç'a esté certes regardant plus à son intention qu'à mon contentement: et accuse ma faineance de n'avoir passé oultre à parfaire les beaux commencements qu'il a laissez en sa maison ; d'autant plus que ie suis en grands termes d'en estre le dernier possesseur de ma race, et d'y porter la derniere main. Car quant à mon application particuliere, ny ce plaisir de bastir, qu'on dict estre si attrayant, ny la chasse, ny les iardins, ny ces aultres plaisirs de la vie retiree,

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ne me peuvent beaucoup amuser: c'est chose dequoy ie me veulx mal, comme de toutes aultres opinions qui me sont incommodes; ie ne me soulcie pas tant de les avoir vigoreuses et doctes, comme ie me soulcie de les avoir aysees et commodes à la vie; elles sont bien assez vrayes et saines, si elles sont utiles et agreables. Ceulx qui m'oyants dire mon insuffisance aux occupations du mesnage, me viennent souffler aux aureilles que c'est desdaing, et que ie laisse de sçavoir les instruments du labourage, ses saisons, son ordre, comment on faict mes vins, comme on ente, et de sçavoir le nom et la forme des herbes et des fruicts, et l'apprest des viandes dequoy ie vis, le nom et le prix des estoffes dequoy ie m'habille, pour avoir à cœur quelque plus haulte science, ils me font mourir cela, c'est sottise, et plustost bestise que gloire; ie m'aymeroy mieulx bon escuyer que bon logicien :

Quin tu aliquid saltem potius, quorum indiget usus, Viminibus mollique paras detexere iunco ?? Nous empeschons nos pensees du general et des causes et conduictes universelles, qui se conduisent tres bien sans nous; et laissons en arriere nostre faict, et Michel, qui nous touche encores de plus prez que l'homme. Or i'arreste bien chez moy le plus ordinairement; mais ie vouldroy m'y plaire plus qu'ailleurs :

Sit meæ sedes utinam senectæ,

Sit modus lasso maris, et viarum,
Militiæque 3!

ie ne sçay si i'en viendray à bout. Ie vouldroy qu'au lieu de quelque aultre piece de sa succession, mon pere m'eust resigné cette passionnee amour qu'en ses vieux ans il portoit à son mesnage; il estoit bien heureux de ramener ses desirs à sa fortune, et de se sçavoir plaire de ce qu'il avoit : la philosophie politique aura bel accuser la bassesse et sterilité de mon occupation, si i̇'en puis une fois prendre le goust comme luy. Ie suis de cet advis, Que la plus honnorable vacation est de servir au publicque et estre utile à beaucoup; fructus enim ingenii et virtutis, omnisque præstantiæ, tum maximus capitur, quum in proximum quemque confertur: pour mon regard, ie m'en

I Édition de 1588, fol. 419: « Ce n'est pas mespris, c'est sottise. >>

2 Pourquoi ne pas s'occuper plutôt à quelque chose d'utile? à faire des paniers d'osier ou des corbeilles de jonc? VIRGILE, Eclog. II, 71.

3 Après tant de voyages, de fatigues et de combats, puisséje, dans ma vieillesse, y trouver un doux repos! HOR. Od. II, 6, 6.

4 Nous ne jouissons jamais mieux des fruits du génie, de la vertu, et de toute espèce de supériorité, qu'en les partageant

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