Obrázky na stránke
PDF
ePub

celles-ci ne nous sont parvenues qu'en lambeaux, le livre des satires nous a été conservé aussi intact qu'il l'était en sortant des mains du premier éditeur1. Une pareille prédilection serait peu surprenante : les lettrés vulgaires attachent plus de prix aux vers qu'à la prose, et préfèrent aux solides instructions de l'histoire le plaisir malin que donne la satire. Mais, cette fortune bibliographique de Perse tient-elle réellement à la considération dont il aura été l'objet auprès des beaux-esprits des siècles de plomb, et ne doit-elle pas être attribuée plutôt à des causes tout-à-fait fortuites? Peut-être que la brièveté seule de son ouvrage en a multiplié les copies; peut-être que l'honneur qu'il avait eu d'être cité des

1. Notre Bibliothèque royale renferme une douzaine de manuscrits de Perse; les bibliothèques publiques des étrangers en renferment probablement un plus grand nombre, et l'on en trouve encore dans certaines collections particulières. Or, on sait que plusieurs ouvrages des anciens ne nous ont été conservés que par un seul manuscrit, et encore parfois tout mutilé, comme était celui de Velleius Paterculus. Plusieurs des manuscrits de Perse que j'ai eus entre les mains paraissent aussi anciens que les plus anciens des autres classiques. Par la diversité des parchemins et du papier, des écritures et des gloses, ils annonceraient des éditions ou publications différentes. La plupart sont en écriture unciale assez belle, quelques-uns en écriture gothique, quelques-uns en cursive ordinaire. Ceux-ci sont évidemment les plus modernes et sont les moins corrects, les moins curieux; l'écriture gothique paraît être du quatorzième ou du treizième siècle; l'unciale remonte beaucoup plus loin. J'ai peine à me rendre à l'opinion des auteurs du Catalogue imprimé de la Bibliothèque royale, qui n'admet point qu'aucun de ces manuscrits soit d'une date antérieure au douzième siècle et à la fin du onzième. C'est à la diplomatique à constater le fait.

saints Pères l'aura préservé; peut être que son obscurité l'aura fait passer, aux yeux de l'ignorance et de la superstition, pour quelque relique respectable. L'esprit s'épuise en conjectures, pour expliquer comment ont pu échapper à une entière destruction ces frèles monumens du génie antique que menaçaient à la fois la fureur de tout abolir, commune aux divers conquérans barbares, et la manie d'effacer, particulière aux ecclésiastiques et aux moines? Les chants d'Homère étaient répétés par la voix des rapsodes, et tous les Grecs retenaient le concert; de la mémoire des hommes, ils passaient sur les feuilles de métal ou sur les diphthères1, pour être déposés dans les musées. Mais ici, rien que quelques rouleaux de papier que se disputent les flammes, les vers et le grattoir; très-peu de gens pour les entendre, encore moins pour les transcrire. Il faut croire cependant que le petit livre ne cessa point d'avoir cours pendant les siècles barbares, et qu'alors même on en renouvela les copies. Tout, en effet, dans quelques-uns des manuscrits de Perse qui nous restent, porte l'empreinte de ces âges malheureux, et les écritures si anciennes et si grossières, et les vignettes ou ornemens gothiques et ridicules, et enfin les gloses d'une absurdité puérile dont ils sont accompagnés.

VIII. Fortune du livre de Perse, depuis le commencement de l'imprimerie*. — 1o. ÉDITIONS. Quand le jour de l'imprimerie vint éclairer enfin le monde littéraire, ce

1. Peaux dont on se servait pour écrire avant l'usage, en Grèce, du parchemin et du papyrus.

* A. de J.-C. de 1450 à 1809.

fut d'abord à faire sortir les monumens antiques de leurs ruines que les éditeurs consacrèrent leurs travaux : il fallait, avant tout, retrouver les textes originaux, et les séparer de tout ce qui n'était pas eux. Ainsi, dans les premières éditions de Perse', on ne se proposa que de reproduire l'auteur dans sa simplicité, et, si je l'ose dire, dans sa nudité primitive. Point de variantes, point de notes, point de notice biographique, pas même de titres, dans ces premières éditions du texte imprimé : le prologue et les six satires s'y voient seuls et tout d'une pièce, sans aucun secours pour les entendre".

On ne tarda pas à s'apercevoir qu'il en fallait, ainsi que l'avaient reconnu les éditeurs de l'antiquité et les copistes du moyen âge. Aux éditions du texte seul, succédèrent donc les éditions avec notes et variantes, avec notices biographiques et littéraires; on imprima les

1. Ces éditions, telles que je les décris, sont très-nombreuses. Dans quelques-unes le texte de Perse se trouve réuni au texte de Juvénal, et celles-là paraissent fort anciennes. La plupart ne portent ni date, ni nom d'imprimeur. D'autres portent la date de 1479, 1476, 1475, 1474, et enfin, Rome, 1470. L'édition de Brescia paraît encore antérieure à cette dernière : c'est peut-être l'édition princeps. Elle fait partie, aussi bien que cinq ou six autres non moins précieuses, de la célèbre collection de lord Spencer (Voy. Bibliothec. Spenceriana by Thom. Frognall Dibdin; London, Belmer, 1814). La Bibliothèque royale de Paris renferme huit à dix éditions de cette espèce, et M. Renouard, le libraire, en possède une des plus anciennes et des plus curieuses.

2. Il paraît que c'est sous cette forme que l'ouvrage fut d'abord donné par les éditeurs de l'antiquité. C'est à peu près ainsi qu'on le trouve dans la plupart des manuscrits. De là l'expression liber unus, employée par Martial et Quintilien pour le désigner.

gloses manuscrites et le vieux Commentaire qui porte le nom de Cornutus'; on l'imprima tout entier, cet amas de notes confuses, où des erreurs de tous les âges se mêlent à un petit nombre de documens utiles. On composa des commentaires modernes; on en composa de nombreux, d'énormes 2: l'obscurité de Perse piquant

1. Le Commentaire de Cornutus a été imprimé plusieurs fois. L'édition la plus complète et la meilleure est celle qu'en a donnée cet Elias Vinetus Santo dont nous avons déjà parlé. Il a placé en tête de cette édition deux Dissertations curieuses, l'une sur le nom de Cornutus, l'autre sur l'origine du mot commentaire. Cette édition se trouve réimprimée dans le Perse Variorum de Morelle, (Paris, 1613).—On a aussi de Pierre Pithou un choix de variantes ou de notes qu'il avait extraites de ses manuscrits sur Perse, et qui méritent d'être consultées. Elles se trouvent dans cette même édition de Morelle. Enfin Casaubon a donné dans son édition un choix de notes extraites des manuscrits sous ce titre Glossa veteres in Persium : la vie de Perse en fait partie. C'est, après le Commentaire imprimé de Cornutus, le relevé le plus satisfaisant des notes manuscrites sur les Satires.

2. J'en compte plus de cinquante depuis ceux de Cantalycus Clarus (en 1472) et de Barth. Fontius (en 1481), jusqu'à ceux de Koenig (Gotting. 1803) et d'Achaintre (Paris, 1812). Le plus célèbre, après celui de Casaubon, est celui de Jos. Britannicus ou Lebreton (Brixiæ, 1481): il a été imprimé dix-sept fois, et l'a été pour la dernière dans l'édition de Morelle de 1613. C'est avec celui de Desprez (Pratæus), ad usum Delphini, ce qu'il y a de mieux après Cornutus et Casaubon. Celui de ces Commentaires qui promettait d'être le plus étendu est celui d'Asterius Manlius (Parme, 1621); il n'a été exécuté que sur les deux premières satires, et il remplit déjà un petit volume in -4°. Celui d'Henricus Scalefius (Naples, 1670) forme trois volumes. La plupart de ces ouvrages surchargent le texte d'un fatras inutile qui l'obscurcit loin de l'éclaircir. Celui même de Casaubon a bien des longueurs et des superfluités.

l'amour-propre des érudits, ils enfantèrent des volumes pour l'éclaircir. Tous lui payèrent leur tribut; mais aucun d'eux ne fit plus pour lui que le célèbre Casaubon. Son Commentaire sur les satires excita l'admiration du siècle de l'érudition même; et, malgré les travaux estimables exécutés depuis en Angleterre et surtout en Allemagne, il reste encore le meilleur sur la matière. Avec des matériaux philologiques immenses, avec des connaissances profondes en antiquités, en histoire et en philosophie, on y trouve parfois un esprit de discernement et de critique trop rare dans cette sorte d'écrits: c'est un des chefs-d'œuvre du genre.

2o. TRADUCTIONS. — Tandis que les philologues et les érudits de profession essaient, par leurs annotations latines, d'éclaircir le texte des satires, les gens de goût, ceux qui prétendent avoir le secret du style, essaient, par leurs traductions, d'en reproduire les beautés dans nos langues modernes. Il semble que ces deux entreprises ne devraient en former qu'une seule, et que, pour faire connaître Perse tel qu'il est, il faudrait réunir le talent de l'écrivain et la patience du commentateur, le tact du poète et le savoir de l'antiquaire. Mais des qualités si opposées peuvent-elles se rencontrer dans le même homme? L'on fait et l'on refait sans cesse, depuis trois cents ans, des traductions, des imitations de Perse, sans que l'on soit arrivé, jusqu'à présent, à quelque chose qui représente avec vérité cet auteur. Ni la versification, ni la prose d'aucune langue, n'ont pu saisir encore cette bizarre physionomie : on n'en retrouve le caractère ni dans le français de nos traducteurs, ni dans

« PredošláPokračovať »