Obrázky na stránke
PDF
ePub

1

vrai. Leibnitz observe avec raison qu'elle a besoin d'une nouvelle marque pour faire discerner ce qui est clair et distinct'; car jamais les hommes ne se trompent que parce qu'ils croient avoir une perception claire et distincte de ce qu'ils pensent; autrement ce ne seroit plus l'erreur, ce seroit le doute, vu que l'essence de la méprise consiste à la méconnoître. Comment donc saurons-nous que nous nous méprenons? Comment discernerons-nous avec certitude nos perceptions véritablement claires et distinctes de celles que nous croyons faussement avoir ces caractères? Qu'est-ce que distinct? Qu'est-ce que clair? Descartes nous l'apprendra-t-il ? << La connoissance sur laquelle on veut << établir un jugement indubitable doit être, << dit-il, non seulement claire, mais aussi dis<«<tincte. J'appelle claire celle qui est présente <et manifeste à un esprit attentif; de même que << nous disons voir clairement les objets, lors<< que étant présens ils agissent assez fort, et

[ocr errors]

«

Remarques sur le livre de l'Origine du mal. Oper. theolog., tom. I, pag. 438.

• Pascal.

<< que nos yeux sont disposés à les regarder; <«<et distincte, celle qui est tellement précise « et différente de toutes les autres, qu'elle ne << comprend en soi que ce qui paroit manifes<< tement à celui qui la considère comme il « faut 1 ».

I

Si Descartes avoit dit : J'appelle clair ce qui est clair, et distinct ce qui est distinct, il se seroit exprimé un peu plus clairement et distinctement. Quelle pitié de voir un si grand génie contraint, par un système faux, de balbutier des paroles sans aucun sens, et s'enfoncer de plus en plus dans l'obscurité, pour avoir voulu trouver en lui-même la lumière !

Nous ne sommes pas au bout, et sa règle a bien d'autres inconvéniens. Au fond, puisqu'il ne peut donner aucune marque certaine pour discerner ce qui est réellement clair et distinct, son criterium se réduit à ceci : Tout ce dont il nous est impossible de douter, ou tout ce que nous croyons fortement être vrai, est vrai; et par conséquent tout ce que nous croyons fortement être faux, est faux.

Écoutons maintenant Pascal. Après avoir parlé

1 Les Príncipes de la philosophie, n. 45, p. 34.

de certaines vérités qui sont les fondemens et les principes de la géométrie, il ajoute : « Il n'y a << point de connoissance naturelle dans l'homme « qui précède celles-là, et qui les surpasse en « clarté. Néanmoins, afin qu'il y ait exemple de << tout, on trouve des esprits excellens en toutes << autres choses, que ces infinités choquent, et « qui ne peuvent, en aucune sorte, y consen« tir 1 ».

I

Voilà donc des esprits excellens pour qui la géométrie n'est pas vraie, et qui ne doivent pas y croire, selon la règle de Descartes. Mais c'est peu de choses encore, près de ce qu'il dit de luimême; car il avoue qu'il y a des personnes qui, en toute leur vie, n'aperçoivent rien comme il faut pour en bien juger 2; par conséquent des personnes qui, en toute leur vie, ne pourront jamais être certaines de rien. Comment Descartes ne s'est-il pas aperçu que cet aveu détruit complètement sa règle et toute sa philosophie de l'homme isolé ? Car qui nous assure

' Pensées de Pascal, tom. I., p. 155.

Les Principes de la philosophie, n. 45, p. 54.

que nous ne sommes pas une de ces personnes, qui, en toute leur vie, n'aperçoivent rien comme il faut pour bien en juger? Toutes les raisons prises en nous-mêmes par lesquelles nous pourrions nous persuader le contraire ne prouvent absolument rien, puisqu'il faudroit auparavant que nous fussions sûrs que nous apercevons quelque chose comme il faut pour en bien juger. Ainsi, nous tombons de nouveau, et par règle même de Descartes, dans le scepticisme absolu.

la

Nous avons montré qu'elle se réduit à cet axiome: Tout ce que je crois fortement étre vrai est vrai. Mais quelle croyance plus forte 'que celle des fous sur le point de leur folie *? Outre les autres motifs qui peuvent rendre incertaine la croyance la plus invincible, elle ne prouve donc nullement la vérité de ce qu'on croit, à moins d'être sûr qu'on n'est pas fou. Or, quelle preuve chacun de nous a-t-il qu'il n'est pas fou, si ce n'est le témoignage des autres hommes; l'impuissance de reconnoître

Les fanatiques sont à cet égard dans le même cas

que les fous.

qu'on est fou étant précisément le caractère de la folie ?

La marque de la vérité que donne Descartes, ou sa règle générale, est donc :

1o Incertaine, puisqu'il ne la prouve pas ; 2° Insuffisante, puisqu'elle a besoin d'une nouvelle marque ;

3° Fausse, puisqu'elle tend à consacrer tous les rêves de la folie, et même toutes les illusions de l'erreur; car, plus l'erreur seroit profonde, plus elle auroit le caractère de la vérité, confondue, selon cette règle, avec l'erreur invincible.

Malebranche ne s'éloigne pas, sur ce point, de Descartes. Il pense comme lui que le seniment intérieur de l'évidence doit être la règle de nos jugemens; et voici en conséquence le principe qu'il établit : « On ne doit jamais « donner de consentement entier qu'aux pro« positions qui paroissent si évidemment vraies, « qu'on ne puisse le leur refuser sans sentir << une peine intérieure et des reproches secrets « de la raison; c'est-à-dire, sans que l'on <<<< connoisse clairement qu'on feroit mauvais << usage de sa liberté, si l'on ne vouloit pas << consentir, ou si l'on vouloit étendre son

« PredošláPokračovať »