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qu'à effacer les répétitions et les redites, qu'à renouer quelques transitions, qu'à rétablir quelquefois dans la déduction de la pensée un peu plus d'ordre et de méthode. Mais, malgré ces légers changemens, on reconnaîtra facilement le ton et la marche de la parole parlée, et non de la parole écrite. Il est vrai qu'au mot de leçon j'ai substitué celui de chapitre, pour éviter certaines formes d'une véritable allocution. Dans une publication partielle et périodique, ces formes soutiennent et ravivent l'attention, tandis qu'elles l'auraient inutilement fatiguée dans le recueil et le résumé de leçons que j'offre aujourd'hui au public. Mais toujours veuille le lecteur ne pas oublier qu'il a sous les yeux l'expression d'un cours, et non pas un livre, dont au début de la carrière je décline la responsabilité.

Que si, sur-le-champ, sans différer, je livre à la publicité ces premiers essais, je suis soutenu par la conviction d'accomplir un devoir. J'ai pensé qu'au milieu du triste abandon où est tombée dans ces derniers temps la haute jurisprudence, il était urgent de commencer publiquement des études théoriques, et de montrer de la bonne volonté pour la science (1).

Pourquoi le dissimuler, la théorie du droit est loin d'être en France à la hauteur de notre civilisation et de notre intelligence. Cette infériorité passagère peut être avouée sans rougir, au milieu de tant de dédommagemens éclatans; elle doit l'être avec franchise, pour nous inciter à y remédier, d'autant plus qu'elle n'aurait plus aujourd'hui l'excuse du temps et des cir

constances.

Nos codes sont enfans de la révolution, et leur empire a commencé avec le siècle. Alors, dans le juste enthousiasme qu'inspira ce bienfait politique, on s'imagina que le droit national était ar

(1) Il ne faut pas oublier que, dès 1820, la science avait reçu sur quelques points une impulsion des travaux des rédacteurs de la Thémis; du docte et infortuné Jourdan, d'un esprit si actif et si étendu, et que j'ai eu le malheur de ne pas connaître ; de M. Ducaurroy, qui, par ses excellentes Institutes expliquées, ranima l'étude analytique et élémentaire du droit romain; de M. Blondeau, qui prête au système de Bentham le secours d'une instruction positive; de M. Demaute, qui s'attacha particulièrement au droit français. M. Warukoenig, actuellement professeur à Louvain, où il continue pour la science les plus louables efforts, était aussi l'un des rédacteurs de la Thémis; il termine en ce moment son ouvrage Commentarii juris romani privati.

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rivé à une perfection définitive; qu'il ne restait plus qu'à appliquer, à la lettre, en l'isolant de ses origines et de ses sources, la législation nouvelle. Napoléon, à la vue du premier commentaire sur le code civil, s'écria : « Mon code est perdu ! » Aussi comme pour obéir à ce cri, point de doctrine, soit rationnelle soit historique ; et dans les cours, la jurisprudence fut timide incertaine et divergente.

Que les choses se soient ainsi passées, rien d'étonnant. Napoléon devait maudire la moindre apparence qui tendait à troubler le silence et l'uniformité qu'il avait si fort à cœur l'admiration

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des uns était naturelle, et l'ignorance des autres inévitable. Mais autant sous l'empire les sciences morales étaient muettes, autant aujourd'hui elles ont de vigueur. La philosophie s'est réveillée, et par des enseignemens nouveaux a retrempé la pensée. L'histoire, traitée par les talens les plus divers, à la fois critique et pittoresque, s'élève de jour en jour à la hauteur des choses qu'elle raconte. La science du droit peut-elle rester étrangère à tant de progrès ? ne doit-elle pas au contraire les prendre pour son point de départ, et ceux qui la cultivent, appliquant les leçons et les exemples qu'ils reçoivent de leurs contemporains et de leurs maîtres, historiens et philosophes, ne doivent-ils pas commencer des études sérieuses et nouvelles ?

Cependant, depuis quarante ans, la science du droit a fait en Allemagne de continuels progrès; vers 1790 elle eut sa révolution, dont les résultats se développent encore aujourd'hui. Il est donc naturel de demander à l'Allemagne des enseignemens, de s'enquérir et de profiter de ses travaux, dût-on encourir le reproche de germanisme.

Germanisme, école allemande, telle est la terrible accusation à laquelle il faut répondre. Ceux qui nous l'ont adressée n'ont peut-être pas songé que les différens peuples, sans dépouiller leur propre caractère et leur originalité, s'instruisent successivement les uns les autres ; ils sont fils de la même mère, de l'humanité; et ces frères, s'ils ont leurs jours de haine et de guerre, ont aussi un lien d'affection et de sympathie qu'il n'est pas plus possible de méconnaître que de briser. L'intelligence

de la France ne s'est pas altérée pour avoir senti tour-à-tour les diverses influences de la littérature italienne, de la littérature espagnole, et de la littérature anglaise. Sans doute ces importations nécessaires qui lient les peuples rencontrent toujours au commencement une opposition qui gronde, et qui affecte de prendre fait et cause pour l'honneur national. Ainsi, dans le siècle dernier, on ne fut pas avare du reproche d'anglomanie envers Voltaire et Montesquieu, qui avaient été chez nos voisins s'enquérir de Locke, de Newton et de la constitution anglaise.

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L'Allemagne n'a véritablement commencé que par Luther à retentir en Europe; elle eut ensuite sa guerre de trente ans, délivrance sanglante des liens du moyen âge. Leibnitz vint peu après. Enfin Klopstok et Kant ouvrirent une littérature et une philosophie originales. Certes, la patrie de Kant, qui produisit plus tard Schiller et Goëthe, méritait d'être connue et d'être estimée à son prix par le pays de Descartes, de Corneille et de Racine. Mais, il faut l'avouer, les différences profondes qui caractérisent les deux nations mirent quelque temps obstacle à leur rapprochement; puis en France nous étions tellement accoutumés depuis le siècle de Louis XIV à la suprématie de la pensée, que nous avions peu d'empressement et de curiosité à promener nos regards hors du cercle de notre gloire. De son côté, l'Allemagne avait été vivement indisposée contre nous par deux hommes qui avaient abusé envers elle de la victoire, par Voltaire et Napoléon. La supériorité moqueuse du philosophe, le génie militaire et administratif du conquérant, avaient insolemment pesé sur cette terre de religion rêveuse, de métaphysique profonde et de patriotisme historique. Au milieu de cette antipathie, une femme de génie vint s'entremettre : unissant le tact, la finesse, la tendresse de coeur de son sexe, à la pensée. virile et au talent pittoresque d'un grand écrivain, madame de Staël fit connaître l'Allemagne à la France. Dans son livre, qui offre à la fois l'abandon d'une causerie et l'éclat d'un poème, on la voit, entre le peuple allemand et le peuple français, comme une femme d'esprit entre deux hommes supérieurs, les rapprocher, les faire valoir tour-à-tour, les mettre en saillie par les

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côtés où ils se peuvent prendre. Citations heureuses, analyses artistement combinées, points de vue inattendus et rians, pensées profondes, élans de poète, tout, dans le livre de madame de Staël, concourt au même but; et je me persuade qu'après l'avoir lu, il n'est pas, chez les deux nations, un homme de bonne foi qui n'ait senti s'évanouir ses préjugés et sa froideur.

Depuis madame de Staël, nous nous sommes familiarisésavec la littérature allemande ; la philosophie s'est aussi appuyée des travaux de nos voisins: ce doit être aujourd'hui le tour de la haute jurisprudence, et nous pouvons nous abandonner avec d'autant plus de confiance à ce mouvement, que, pour ce qui est du droit, soit théorie, soit pratique, nous sommes riches de notre fonds. Le pays qui peut s'enorgueillir des écoles du seizième siècle, de Montesquieu, et d'une légalité aussi vivace que celle dont nous jouissons aujourd'hui, peut sans honte et sans crainte recevoir le branle d'un peuple voisin pour rentrer dans des voies où il a laissé des traces si profondes, et où, sans présomption folle, il peut espérer de ne rester inférieur à aucun. Telle est du moins la pensée qui m'a soutenu dans ces premiers travaux. J'ose croire que ceux qui liront jusqu'au bout cet essai reconnaîtront que je ne ne suis pas sous le joug de l'Allemagne, que j'étudie, et qu'au milieu de l'apprentissage que je fais à son école, je me suis conservé l'esprit libre et national.

Des hommes dont il conviendrait peu de produire ici les noms illustres m'ont encouragé. Que les jeunes gens qui m'ont suivi avec une bienveillance si délicate et si fraternelle reçoivent ici l'expression de ma vive reconnaissance et de ma sensibilité profonde. Pour moi, j'ai emporté d'au milieu d'eux des souvenirs précieux qui me soutiendront dans mes veilles et dans mes travaux ; car je n'oublie pas que la science ne se paie pas des efforts d'un jour et des ardeurs d'un moment; il lui faut des années une longue suite d'années. Cet hiver, j'aborderai l'histoire du droit romain.

E. LERMINIER.

Paris, 25 septembre 1829.

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DROIT, ET DE SA NATURE PHILOSOPHIQUE, Maclov at of Jones

NIVER

BIBLK AROA

L'ANTIQUITÉ faisait de la justice l'idée même de l'état, de la société. A ses yeux, la justice comprenait tous les rapports humains, politiques et civils; constituait l'harmonie universelle du monde moral, de l'humanité; et la science de la justice était la connaissance de toutes choses, en tant qu'elles étaient justes, et se ramenaient au droit. Ulpien a dit profondément : « Jurisprudentia est divinarum atque huma» narum rerum notitia, justi atque injusti scientia (1). »

Mais quel est l'artisan et la mesure du juste et de l'injuste? C'est l'homme; c'est dans la nature humaine que le droit prend racine et qu'il a pied; il serait donc irrationnel d'ignorer l'homme et la naturehumaine. Quand l'homme se regarde lui-même, il se trouve un être sensible, capable d'intelligence et de liberté.

L'homme est capable d'intelligence par la raison, lumière intérieure et divine; il pense; la pensée est sa gloire, et il doit travailler à bien penser, car voilà le principe de la morale (2). Mais cette raison qui le conduit et l'illumine se distingue de lui-même et de sa nature individuelle: rayon d'en haut, lampe éternelle suspendue par la main de

(1) Ulpien, fr. X, ff. 2, De justitia et jure.

(2) Pascal. Pensées, Connaissance générale de l'homme, § VI.

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