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liques et protestans. Oh! que d'amertume et de douleur dûrent peser sur cette grande ame; mais n'importe, il ne déserte pas son poste, il s'en laisse exiler, et s'en va dans son petit enclos de Vignay se préparer à mourir, catholique tolérant, dans la foi de ses pères.

Pendant que L'Hôpital essayait de pratiquer aux affaires le dogme de la liberté, un homme de sens et de coeur écrivait ces lignes où commence à poindre la vraie philosophie du droit qui s'appuie sur la raison et la liberté.

<< Cela est, comme je crois, hors de nostre doubte, que, si nous >> vivions avecques les droits que nature nous a donnez et les ensei» gnements qu'elle nous apprend, nous serions naturellement obéis»sants aux parents, subjects à la raison, et serfs de personne. De » l'obéissance que chascun, sans aultre advertissement que de son na» turel, porte à ses père et mère, tous les hommes en sont témoings, >> chascun en soi et pour soi. De la raison, si elle naist avecques nous, » ou non, qui est une question débattue au fond par les académiques » et touchée par toute l'eschole des philosophes, pour cette heure, » je ne penserois point faillir en croyant qu'il y a en nostre ame » quelque naturelle semence de raison, qui, entretenue par bon >> conseil et coustume, fleurit en vertu, et au contraire, souvent ne » pouvant durer contre les vices survenus, étouffée, s'avorte. Mais, » certes, s'il y a rien de clair et d'apparent en la nature, et en quoy >> il ne soit pas permis de faire l'aveugle, c'est cela que nature, le >> ministre de Dieu, et la gouvernante des hommes, nous a tous faicts » de même forme, et, comme il semble, à mesme moule, à fin de »> nous entrecognoistre touts pour compaignons, ou plus-tost frères; » et si, faisant les partages des présents qu'elle nous donnoit, elle a » fait quelques advantages de són bien, soit au corps ou à l'esprit, » aux uns plus qu'aux aultres; si n'a elle pourtant entendu nous >> mettre en ce monde comme dans un camp clos, et n'a pas envoyé » ici-bas les plus forts et les plus advisez, comme des brigands armés » dans une forest, pour y gourmander les plus foibles; mais plustost >> faut-il croire que, faisant ainsi aux uns les parts plus grandes et >> aux aultres plus petites, elle vouloit faire place à la fraternelle af» fection, à fin qu'elle eûst où s'employer, ayants les uns puissance » de donner aide, ci les aultres besoing d'en recevoir : puis doncques >> que cette bonne mère nous a donné à touts la terre pour demeure, >> nous a touts logés aulcunement en une mesmo maison, nous a touls » figurés en mesme paste, à fin que chascun se peust mirer et quasi >> recognoistre l'un dans l'aulire; si elle nous a touts en commun donné

» ce grand présent de la voix et de la parole, pour nous accointer et >> fraterniser dadvantage, et faire, par la commune et mutuelle décla»ration de nos pensées, une communion de nos volontés; et si elle a >> tasché par touts moyens de serrer et estreindre plus fort le noeud de nostre alliance et société; si elle a montré, en toutes choses, » qu'elle ne vouloit tant nous faire touts unis, que touts uns, il ne » faut pas faire doubte que nous ne soyons touts naturellement libres, >> puisque nous sommes touts compaignons; et ne peult tomber en » l'entendement de personne que nature ayt mis aulcuns en servi»tude, nous ayant touts unis en compaignie. »

Ainsi écrivait dans la servitude volontaire ou le contr'un Estienne de la Boëtie, qu'ont immortalisé l'amitié et les regrets de Montaigne. Mais ce n'était là qu'un élan d'ame, et une saillie de bon sens; il fallait à la philosophie du droit une expression scientifique. Bodin, avocat au parlement de Toulouse, la lui donna; il fut l'esprit général du seizième siècle en politique, en histoire et en législation; il écrivit une méthode pour étudier l'histoire, un traité de la république, des tables de jurisprudence universelle. Au milieu de tous ces jurisconsultes qui travaillaient chacun dans un sillon de la science et s'y enfonçaient, Bodin a la prétention et la force de s'élever au spectacle général des choses, de généraliser et de conclure. Un tel homme veut être considéré de près.

Voilà quel est en raccourci, dans l'histoire de la jurisprudence, le seizième siècle, siècle de géans, âge d'érudition merveilleuse. Et cependant ces hommes vivaient comme nous au milieu d'orages,de factions et de malheurs qui venaient traverser leur vie et déconcerter leurs études; eux aussi s'occupaient des affaires du jour et de la France. Comment donc ces hommes antiques portaient-ils à la fois le poids de la science et de la journée? Où donc est le secret de cette vigueur inépuisable, de ces travaux, de ces monumens, éternelle dérision de nos débiles efforts et de notre orgueilleuse faiblesse? C'est surtout la jurisprudence qui s'enrichit des labeurs du seizième siècle, et le caractérise; elle succédait à l'éclat de la théologie catholique, et précédait l'avénement et le règne de la philosophie au dix-septième siècle.

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Le seizième siècle, avec ses guerres politiques et religieuses, ses fureurs civiles, ses vastes factions, avec la monarchie française ébranlée, avec l'esprit novateur qui paraissait à la fois sur le champ de bataille, dans le cabinet des savans et dans les colloques des théologiens, devait provoquer le développement original et moderne d'une science qui avait presque toujours sommeillé depuis l'antiquité, de la science politique. Il y avait eu trop de guerres et de batailles, trop d'intérêts et de passions s'étaient émus, trop de principes et de droits s'étaient montrés pour se faire reconnaître, pour que de tant de faits éclatans et de choses qui parlaient elles-mêmes, la réflexion ne voulût tirer des enseignemens et des conséquences.

L'Italie venait d'avoir son Machiavel; elle l'avait acheté au prix de ses dissensions civiles et de son sang répandu dans des guerres domestiques. Machiavel, qui parut à la fin du quinzième siècle, et mourut lors de l'avénement de Luther, dont il ne comprit pas l'ouvrage et la révolution, créa la philosophie politique de l'histoire. Dans son Prince, il fait, d'un style calme et avec un sang-froid comique, une théorie profonde et une amère dérision de la tyrannie. Dans les discours sur Tite-Live, il étudie l'histoire de Rome et de l'antiquité, pour en tirer, comme il le déclare, des leçons politiques; enfin, dans son histoire de Florence, il raconte en observateur consommé les instructives annales de son orageuse et brillante patrie. Ainsi chez Machiavel tout est italien. De temps à autres, il peut porter ses regards sur l'Europe; mais ce qui le préoccupe presque toujours, c'est l'Italie ancienne et moderne, domestica facta. Et puis jamais de jugemens philosophiques, d'idées absolues; Machiavel n'étudie l'histoire que pour en profiter en secrétaire d'état. Les hommes ne sont pour lui bons ni mauvais, mais habiles ou ignorans ; il les observe, juge des coups, et rédige le succès en principe.

Mais le seizième siècle, où tout éclatait pour se développer, religion,

politique, jurisprudence, littérature, philosophie; où le monde moderne s'agitait en tous sens avec les vives saillies d'un enfant vigoureux, mettant la main partout, devait avoir une autre philosophie politique. Certes Bodin n'a pas le génie de style et de pensée du Florentin ; mais nécessairement son plan sera plus vaste, son point de départ plus haut placé, sa pensée plus philosophique, son inspection de l'histoire plus étendue. Bodin (1) était avocat et jurisconsulte. Quant à sa vie, nous dirons seulement qu'après avoir complu quelque temps à Henri III, il s'attacha au duc d'Alençon; que la mort de son protecteur coupa court à son avancement de fortune; qu'il fut tour à tour le partisan et l'adversaire d'Henri III, et qu'il se conduisit bien aux états de Blois, en homme ferme et en Français loyal. Son esprit était vaste mais confus, libre et superstitieux à la fois; croyait tout ensemble à la liberté de l'homme, à la vertu des nombres et à la puissance des astres. Protestant dans le cœur, mort catholique, Bodin alliait à une intelligence vive et saine de l'histoire une espèce de poésie vague et mystérieuse, une sorte de panthéisme mystique et rêveur; et ce concert discordant et bizarre d'élémens, qui d'ordinaire se combattent et se fuient, produisit un esprit dont les proportions sont grandes mais étranges, et dont la physionomie est originale, mais sans harmonie et sans beauté.

Énumérons ses principaux ouvrages : il se mêlait de physique. Après sa démonomanie, il écrivit universæ naturæ theatrum, ouvrage animé d'un panthéisme secret, puis un traité toujours resté dans l'ombre, jamais imprimé, colloquium heptalomeron de abditis rerum sublimium arcanis, que Huet, dans sa Démonstration évangélique, qualifie d'abominable (2); que Grotius ne voulut pas réfuter, et qui, toujours inconnu, a fait à son auteur une méchante réputation. Il fut plus heureux dans sa Methodus ad facilem historiarum cognitionem, où, au milieu d'une érudition indigeste, mais toujours curieuse, surnagent çà et là quelques grandes pensées; ouvrage que d'Aguesseau conseillait à son fils de lire : nous l'avons parcouru. Maia sa république et son système de droit appartiennent à notre sujet.

Quel est le caractère de la république de Bodin? Est-ce un résultat de l'étude et de l'expérience de l'histoire, ou bien est-ce un plan idéal de république conçu a priori.

Quand l'homme tourne ses regards et sa pensée sur le monde de l'histoire, ou bien il s'attache à observer, puis à conclure, comme Machiavel et Montesquieu, ou bien il pose des lois dont les événemens extérieurs

(1) Jean Bodin d'Angers, né en 1530, mort en 1590. Voyez sa vie dans Bayle. (2) Voyez Bayle.

sont à ses yeux d'inévitables et dociles conséquences; ainsi ont fait Vico et Hegel. Mais même en prenant ce dernier parti, l'homme est soumis à l'influence du spectacle qu'il contemple; en vain veut-il s'en séparer et s'en affranchir pour le dominer et le mieux expliquer : toujours il en sent la puissance, et il doit aux choses elles-mêmes une partie de son fier dogmatisme et de son fatalisme philosophique. Partagé entre les lois internes de son esprit et les influences extérieures du monde, l'homme est soumis à tout instant à cette double action; il pourra préférer l'une, se passionner pour l'autre, mais toujours il sera le sujet de toutes deux. Bodin arrive au spectacle des choses avec le dessein de soumettre les faits à des lois; il annonce que dans l'infinie variété des opinions humaines il cherchera non pas tant ce qui a été dit et pensé, que ce qu'il fallait dire et penser: « Exactissimis rationum ponderibus ac momen>> tis quærendum putavimus, non quid quisque dixerit aut senserit, » quantæque auctoritatis fuerit; sed quid rationi con venienter posset » et sententiæ suæ dicere (1). » Puis, en établissant la théorie de l'origine des sociétés, il déclare qu'il y persiste, quand même les faits iraient à l'encontre : «< Eo nos ipsa ratio deducit, imperia scilicet ac respublicas >> vi primum coaluisse, etiam si ab historia deseramur (2). » Il procède par des définitions qu'il érige en axiome et qu'il pose à la tête de chaque chapitre; il proclame avec l'école platonicienne qu'il n'y a pas de science des choses particulières, et que la science n'est que dans l'universalité: >> At cum singula, quæ sunt infinita, contemplaremur, plurima >> nobis omittenda fuerunt, ut universa (id quod artium tradendarum >> proprium est) complecteremur. Jam enim pridem adolescens contri» tum illud a philosophis acceperam, nullam rerum singularum scientiam haberi (3). » Ainsi Bodin veut dogmatiser, généraliser, élever les idées à leur plus haute puissance, et construire a priori une politique idéale. Mais, au début de la science, celui qui le premier se jetait en avant pouvait-il rester constamment fidèle à un plan doublement difficile par la nature des choses et la date de l'entreprise? Non, et Bodin, sans le savoir, s'en réfère presque toujours aux faits et à l'érudition. Ces principes, qu'il nous donne comme conçus d'après la nature des choses et les lois de son esprit, il les a puisés dans l'histoire de la Grèce et de Rome, dans Aristote, Tite-Live, Hérodote et Tacite ; ainsi que Grotius devait faire plus tard, il mêle continuellement par son inexpérience philosophique la méthode d'observation et la méthode a (1) Præfatio.

(2) Lib. 1, ch. 6, quid civis et quantum cives a civibus, etc. (3) Præfatio.

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