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CHAPITRE III.

LE JARDIN DU LUXEMBOURG.

Lorsque je veux me livrer à mes réflexions sans craindre d'être interrompu, je vais me promener au Luxembourg. Ce jardin est singulièrement agréable aux personnes méditatives; vous pouvez y passer des heures entières dans une profonde solitude, et les habitués qui s'y trouvent ne font guère plus de bruit que les statues dont il est décoré.

Je ne m'y rends jamais sans être muni d'un livre. Je fais trois tours de promenade, et je commence ma lecture. La femme chargée du soin des chaises est tellement 'accoutumée à mes allures et à ma figure tant soit peu hétéroclite, qu'à la fin de mon troisième tour, je suis sûr de trouver un siége au lieu que j'ai

choisi comme le plus propre à lire et à réfléchir. J'avais quelque envie de désigner l'arbre au pied duquel je m'assieds; mais je suis retenu par un motif puissant de modestie. J'ai pensé que, si je faisais cette confidence au public, on verrait bientôt accourir de tous les coins de Paris une foule de spectateurs plus considérable que n'en ont jamais attiré la girafe du Jardin des Plantes ou le drame d'Hernani. Je ne veux pas m'exposer à une gloire aussi éclatante, ni qu'on me reproche d'avoir troublé la retraite et le repos des honnêtes habitués du Luxembourg (1).

Parmi les auteurs qui m'accompagnent dans mes promenades, les poètes tiennent le premier rang. Leurs imaginations, sui

(1) Je me crois obligé, en ma qualité d'éditeur, et surtout de commentateur, de relever ici une contradiction de Freeman. Il a fait entendre plus haut que son livre ne devait être publié qu'après sa mort. Cependant on pourrait croire, par le paragraphe noté, qu'il n'avait pas renoncé au projet d'être lui-même

vant l'expression animée d'un philosophe, << eslancent les miennes. » Ils me transportent dans un monde idéal, où je me trouve fort à l'aise, et me présentent des tableaux d'une nature choisie qui soi your moi du plus grand intérêt. J'avoue que lis plus souvent nos poètes de l'ancienne école que la plupart de ceux qui appartiennent à l'époque actuelle. Ceux-ci se passeront aisément de mon suffrage. Ce ne sont plus ces poètes qui se plaignaient jadis des rigueurs de la fortune aujourd'hui la poésie n'est plus compagne de l'indigence; on fait de bonnes affaires en littérature. Il faut aussi rendre justice au luxe de leur imagination: chacun d'eux possède un magasin inépuisable de rubis, d'émeraudes, de saphirs et d'azur; et il n'y a si petit poète qui,

témoin de ses succès. J'imagine que sa vanité d'auteur combattait sa modestie naturelle, et que ces deux sentiments régnaient tour à tour sur son esprit ; on verra dans la suite que la modestie l'emporta sur la vanité, ce qui fait honneur à son caractère.

(Note de l'Éditeur.)

lorsqu'il veut nous chanter quelque chose, n'ait maintenant une harpe d'or à son service.

C'est M. Delille qui a jeté tous ces trésors dans la circulation poétique. Ses disciples, qui le renient aujourd'hui, les ont ramassés avec empressement, et les prodiguent sans mesure. Ces richesses ont à peu près conservé leur valeur dans les ouvrages du maître; mais elles courent le risque de devenir une espèce de papier-monnaie entre les mains des écoliers.

Il me paraît aussi qu'on se rend plus difficile sur la rime à mesure qu'on devient plus indulgent sur la contexture du poème et sur le mérite des pensées. Ainsi tout se compense dans le monde. Quand je voudrai lire des vers rimés avec une exactitude scrupuleuse, je choisirai les œuvres de nos modernes versificateurs; mais toutes les fois qu'il me plaira de chercher dans un poème la raison ornée par les grâces, des sentiments naturels, des images sublimes et la peinture du cœur humain, je retournerai,

comme madame de Sévigné, à mes vieilles admirations.

Je connais un poète naissant qui n'a pour Voltaire qu'une estime médiocre ; il lui reproche de s'être quelquefois servi de rimes peu exactes. J'ai conseillé au jeune censeur d'attendre qu'il eût fait un poème comme la Henriade, ou une tragédie comme Mérope, avant de hasarder son opinion sur le génie le plus étonnant qui, peut-être, ait jamais existé.

Je suis loin de blâmer les descriptions en vers; mais il me semble qu'elles doivent entrer dans un poème, non comme but principal, mais comme ces ornements accessoires dont un habile architecte se sert pour embellir un édifice régulier et majestueux ; un goût sévère doit présider à leur distribution. Boileau se moque du poète minutieux qui, dans sa fureur descriptive,

Peint le petit enfant qui va, saute, revient,
Et joyeux à sa mère offre un caillou qu'il tient.

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