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petitesse même. Lorsque l'esprit s'applique aux infiniment petits, le même sentiment se développe en lui par une opération inverse. C'est que, dans la petitesse illimitée, nous voyons apparaître la même idée qui nous accable et nous transporte lorsque nous considérons la grandeur sans limites : maximus in minimis Deus.

Dans l'ordre moral, Ajax défiant les dieux, Médée opposant sa seule volonté aux hommes et à la nature conjurés contre elle, nous paraissent sublimes, parce que l'énergie que suppose leur résolution les élève au-dessus de l'humanité.

Le vrai sublime n'est donc partout que la présence de l'infini; et le sentiment, l'émotion qu'il produit n'est que la rencontre, le choc du fini et de l'infini. C'est là véritablement ce qui cause cet étonnement dont l'âme ne saurait se relever que par l'admiration.

Dans le sublime, les proportions de l'idéal humain sont dépassées : l'âme est en contact avec l'infini, qui la trouble, parce qu'elle cesse de comprendre ou de mesurer; qui la relève et la fortifie, parce qu'elle continue d'admirer, parce qu'elle admet et qu'elle approuve ce qu'elle n'atteint plus.

Du ridicule. Le caractère des choses comiques est d'être en contradiction avec la fin ou le type que nous leur concevons. Le comique peut être dans les formes, dans les idées et dans les situations : comique physique, comique moral, comique dramatique. Les formes irrégulières du corps humain sont ridicules, parce qu'elles s'écartent du type qui nous est familier. Une figure dont les yeux prennent une direction oblique excite le rire; une épine dorsale qui dévie et se relève en bosse est ridicule; deux jambes de grandeur inégale provoquent la même secousse nerveuse. Pourquoi? parce que l'usage des yeux est de suivre une même direction; que l'épine

dorsale doit être rectiligne, et les jambes égales en longueur. Un homme qui tombe est ridicule parce que les jambes paraissent faites pour soutenir le corps et non pour le laisser choir. Le défaut de proportion entre les différentes parties de la figure et du corps, lorsqu'il est grave, provoque le même mouvement. Voilà pour le ridicule physique: il résulte du défaut de conformité entre l'objet et le type habituel.

Le comique moral résulte d'un défaut de proportion entre les prétentions d'un homme et sa valeur réelle, entre la destination ou l'aptitude de ses facultés et leur emploi. La présomption est une source inépuisable de comique, parce qu'elle est le principe de beaucoup de mécomptes; la distraction, parce qu'elle amène des méprises. Mal compter, mal prendre, suppose toujours un mauvais usage de nos facultés. Un mauvais poëte est ridicule pour plusieurs raisons: d'abord parce que, croyant faire de bons vers, il en fait de mauvais; ensuite parce que, visant à l'admiration de tous, il n'obtient que la sienne. En général, les illusions de l'amourpropre sont toujours comiques.

Tous les travers de l'esprit sont comiques pour ceux auxquels ils ne nuisent pas; il serait difficile de les énumérer, parce qu'en pareille matière l'homme est d'une prodigieuse fécondité.

Le théâtre a produit avec succès certains vices, tels que l'avarice et l'hypocrisie. Ces caractères deviennent comiques parce qu'ils manquent leur but: parce que l'avare est obligé de se mettre en frais, et parce que le masque de l'hypocrite est toujours près de tomber, jusqu'à ce qu'il soit arraché par une main vigoureuse.

Le comique de situation naît toujours de quelque embarras, soit individuel, soit réciproque; souvent deux personnages sont en présence, et leur seul

rapprochement excite le rire, parce qu'on sait qu'ils vont apprendre ce qu'ils ne veulent pas savoir.

Dans tous ces faits, nous voyons toujours un idéal blessé, un but manqué, une contradiction entre la fin et les moyens.

Mais d'où vient le plaisir que nous cause cette découverte? ne serait-ce pas que nous nous sentons supérieurs à ceux en qui nous découvrons un ridicule? Une difformité, un mécompte, une méprise, une disgrâce, tout cela nous révèle une infirmité, une infériorité dans autrui, et, par un prompt retour sur nous-mêmes, retour souvent inaperçu et sans malignité, nous prenons nos avantages en riant.

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Caractères et effets du beau, du sublime et du ridicule. On peut remarquer que, dans le sentiment du beau, l'âme se confond avec sympathie dans l'objet qu'elle atteint; que, dans le sentiment du sublime, effrayée d'abord par son infériorité, elle se relève par l'admiration et l'adoration; et que, dans le sentiment du ridicule, elle jouit avec un secret orgueil de l'infériorité d'autrui. Le sentiment du beau la porte à aimer la nature et l'humanité; celui du sublime, à s'humilier devant la majesté de Dieu; celui du ridicule la console au milieu de ses souffrances et de ses misères, et il a cela de moral, qu'il substitue une gaieté souvent innocente à la haine qui trouble le cœur, et à l'envie qui l'avilit en le dévorant.

Les trois sentiments que je viens d'analyser, le beau, le sublime et le ridicule, sont la fleur et la couronne de l'intelligence humaine; c'est par là qu'elle s'élève au-dessus de tout ce que Dieu a créé. Elle doit les cultiver et les développer, avec mesure cependant, car on peut abuser de tout. Le sentiment du beau, en se portant au delà de ses limites, développerait dans l'âme une bienveillance

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universelle, un optimisme banal qui en affaiblirait le ressort.

Le sentiment du sublime, trop souvent excité et médité, tendrait outre mesure les ressorts de l'intelligence, en la tenant dans une sphère qu'elle n'embrasse pas, qui sera plus tard son séjour, mais qu' 'elle doit se contenter d'entrevoir quelquefois d'ici-bas, pour ne pas oublier sa céleste origine et sa destination. La contemplation habituelle du sublime donne à l'esprit de l'homme des secousses, des vertiges, des éblouissements, dont le terme pourrait être la folie, même pour les esprits les mieux trempés. Pesons ces singulières et profondes paroles de Pascal : « L'homme n'est ni ange ni bête; le mal est que qui veut faire l'ange fait la bête. »

Le don de voir les choses sous un aspect plaisant, de saisir le comique où il est, de le faire sortir de ce qui le cache, de transformer la difformité, les travers, l'odieux même, en éléments de gaieté, est un heureux privilége de notre nature : c'est le délassement des heureux, la ressource des misérables et des faibles; c'est une cuirasse légère, mais solide; c'est un carquois inépuisable. Cependant, s'il a l'inappréciable avantage de donner le change à la haine et à l'envie et de les purger de leur venin, il ne faut pas en abuser : cette disposition, appliquée à tout, deviendrait vicieuse et immorale; elle tournerait à la corruption de l'âme ce qui est destiné à l'allégement de nos misères. Il faut limiter le rire pour conserver l'admiration, qui est la sauvegarde de la dignité et de la moralité humaine. Montesquieu nous le fait entendre'; la décadence de l'admiration est un des plus graves symptômes de l'avilissement des âmes.

1. « On ne saurait croire jusqu'où a été dans ce siècle la décadence de l'admiration. » MONTESQUIEU. Pensées diverses.

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La poésie précède l'art poétique, de même que l'éloquence devance la rhétorique; et, comme il paraît convenable de s'occuper du fond avant d'aborder la forme, nous essayerons, avant tout, de déterminer ce qu'on entend par poésie.

Le mot poésie implique création; mais, toute création n'étant pas poétique, il faut ajouter un élément caractéristique, qui est l'inspiration. On peut donc dire que, dans l'âme humaine, la poésie est le don de créer avec inspiration, et que, dans les œuvres de l'intelligence, c'est une création inspirée.

Créer, pour l'intelligence de l'homme, n'est pas cette œuvre divine qui consiste à tirer de sa propre puissance la matière et la forme tout ensemble: c'est seulement employer à réaliser un modèle né dans l'intelligence, des éléments donnés par la nature. Il y a toujours création en ce sens, que ce qui n'existait pas arrive à l'existence par voie de conception et de composition '.

1.

Ainsi donc, dans les arts, l'inventeur est celui
Qui peint ce que chacun peut sentir comme lui;
Qui, fouillant des objets les plus sombres retraites,
Etale et fait briller leurs richesses secrètes;

Qui par des nœuds certains, imprévus et nouveaux,
Unissant des objets qui paraissent rivaux,

Montre et fait adopter à la nature mère

Ce qu'elle n'a point fait, mais ce qu'elle a pu faire ;
C'est le fécond pinceau qui, sûr dans ses regards,
Retrouve un seul visage en vingt belles épars,
Les fait renaître ensemble, et, par un art suprême,
Des traits de vingt beautés forme la beauté même.
ANDRÉ CHENIER. L'Invention.

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