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bien faits et bien nourris, elle est nuisible dans les esprits faux et creux. C'est la liqueur que le vase améliore ou corrompt, selon sa nature. L'étude sé– rieuse de la rhétorique donnera aux bons esprits de nouvelles forces; mais remarquons bien qu'il faut la digérer avant de s'en servir, et la posséder si bien qu'elle pénètre dans les habitudes de l'esprit pour s'y confondre, de manière qu'elle y soit présente et invisible tout à la fois, comme la lumière qui éclaire et qu'on ne voit pas.

Des divers genres d'éloquence.

Aristote a divisé l'éloquence en trois genres, le délibératif, le judiciaire et le démonstratif. Cette division, souvent attaquée comme inexacte, s'est perpétuée dans l'enseignement. Ici nous allons laisser parler M. Patin, qui a reproduit les objections qu'on oppose à cette classification et rétabli les motifs qui la justifient : « Nous lisons partout qu'il y a trois genres d'éloquence, le genre délibératif, le genre judiciaire et le genre démonstratif; et chaque fois que nous le lisons, il nous vient des doutes sur la justesse de cette division. D'abord ce qu'elle distingue n'est-il pas souvent confondu? N'y a-t-il rien, par exemple, de démonstratif, c'est-à-dire qui emporte la louange ou le blâme, soit dans le genre délibératif, soit dans le genre judiciaire? Ensuite cette division n'est-elle pas prise à des sources un peu diverses? tantôt de la destination des œuvres oratoires pour telle ou telle tribune, pour les assemblées politiques et les corps judiciaires; tantôt de la nature même des idées qui composent le discours, comme dans le genre démonstratif, dont le caractère est uniquement de louer ou de blâmer? enfin cette division, complète pour les anciens, l'est-elle également pour nous, et peut-on, par exemple, y

faire entrer sans quelque violence l'éloquence religieuse, qui a paru depuis elle dans le monde, qui n'a certainement rien de judiciaire, qui n'est entièrement ni délibérative ni démonstrative, mais qui est un peu l'un et l'autre? Ces objections, et d'autres qu'on y pourrait joindre, ne paraissent pas sans force contre la division qui nous occupe, tant qu'on ignore sur quel fondement réel repose cette division. Or, c'est ce qu'on demanderait vainement à la plupart des Rhétoriques. Il faudrait remonter jusqu'à celle d'Aristote, où l'on apprendrait que ce partage de l'éloquence en trois genres correspond précisément au partage des grands objets de la pensée le bon ou l'utile, voilà la matière du genre délibératif; le vrai ou le juste, voilà la matière du genre judiciaire; le beau et son contraire, voilà la matière du genre démonstratif. Quelle lumière inattendue, quel intérêt nouveau répand cette explication d'un rhéteur philosophe sur un des préceptes les plus vieux et les plus usés de la rhétorique1! »

En remontant à la source 2, on trouvera que cette division s'appuie non-seulement sur la nature de la pensée, mais encore sur la situation particulière de celui qui écoute et sur les différents points de la durée en effet, celui auquel s'adresse le discours doit ou délibérer, ou juger, ou simplement écouter; en outre, la délibération porte toujours sur l'avenir, le jugement sur le passé; l'éloge ou le blâme s'appuie ordinairement sur l'état présent des

1. Discours sur l'enseignement historique de la littérature. Ce discours fait partie d'un volume de Mélanges de littérature ancienne et moderne, dans lequel M. Patin a réuni un grand nombre de morceaux également remarquables par la finesse des aperçus, l'ingénieuse et discrète nouveauté des vues, le judicieux emploi de l'érudition et le charme du langage.

2. Rhétorique d'Aristote, liv. I, chap. III. Voir l'excellente traduction de M. Bonafous, professeur à la faculté d'Aix, un vol. in-8°, 1856.

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choses. Ainsi la division d'Aristote se rapporte à trois chefs au rôle spécial de celui qui écoute, au moment de la durée, à la nature de la pensée dans le genre délibératif, l'auditeur délibère, il délibère sur le bon ou l'utile et pour l'avenir; dans le genre judiciaire, il juge, et il juge sur le juste et le vrai par rapport au passé; dans le genre démonstratif, il écoute pour approuver ou blâmer dans le présent ce qui lui paraît contraire ou conforme au beau. Peu de divisions ont des racines aussi profondes. des principes aussi solides, des caractères aussi distincts.

La division qui repose sur le lieu où parle l'orateur, et qui distingue l'éloquence de la tribune, du barreau, de la chaire et de l'académie, ne va pas au fond des choses et ne signale qu'un caractère extérieur; ajoutons qu'elle n'indique même pas l'éloquence des livres, qui se rattache à la division d'Aristote par son rapport, soit à l'utile, soit au vrai, soit au beau.

Ce qui importe surtout en pareille matière, où les divisions ne sauraient arriver à une rigueur scientifique, c'est de bien comprendre le sens des mots qu'on emploie pour en faire une juste application, et de les restreindre à propos lorsque le discours qu'on apprécie est de nature complexe et qu'il se rapporte, dans ses différentes parties, à plusieurs des divisions établies.

Des diverses parties de la rhétorique.

La division de la rhétorique en trois parties, qui remonte aux plus anciens rhéteurs, est inattaquable; elle est tirée, comme nous l'avons vu, de la nature même de l'esprit humain. En effet, quelque sujet que traite l'orateur, il faut, avant tout, qu'il trouve les choses qu'il doit dire, et qu'il les mette

en ordre avant de les exprimer. La substance, l'ordre et la forme sont les conditions essentielles de toute œuvre de l'esprit, et il est évident qu'il faut être maître de sa matière pour la disposer, et qu'il faut l'avoir disposée avant de la reproduire. Quid dicat, et quo quidque loco, et quo modo 1. De là les trois parties de la rhétorique : Invention (quid), Disposition (ubi, quando), Elocution (quo modo).

« Il faut toujours, dit M. Andrieux 2, commencer par trouver ce qu'on veut dire ou écrire sur le sujet qu'on doit traiter; il faut ensuite disposer son ouvrage dans l'ordre le plus convenable; enfin, il faut le dire. C'est cette dernière partie qui s'appelle élocution, lorsqu'il s'agit d'un discours prononcé, et style, lorsqu'il est question d'un discours écrit. »

La Harpe a exprimé la même pensée. « Quelles que soient les matières sur lesquelles s'exerce l'art oratoire, il faut toujours commencer par concevoir son sujet, et les idées, les preuves, les moyens de succès qu'il peut offrir, en disposer ensuite les parties dans un ordre naturel et judicieux; savoir enfin les traiter dans un style adapté au caractère du discours; et ce dernier devoir de l'orateur, qui était, au jugement de Cicéron et de Quintilien, le plus difficile de tous, l'est encore aujourd'hui : car c'est en charmant l'oreille et l'imagination que l'on arrive jusqu'au cœur et qu'on parvient à persuader. >>

L'accord des maîtres de la critique pour maintenir cette division prouve, comme l'a si bien dit M. V. Le Clerc, qu'elle est « l'expression même de la nature des choses. >>

1. CICERON. « Ce qu'il doit dire, en quel lieu, et de quelle manière. »

2. Cours de Belles-Lettres, professé à l'école polytechnique. 3. Rhétorique (p. 10.)

Ces trois opérations sont distinctes, et cependant elles dépendent étroitement l'une de l'autre. En effet, si l'esprit a réuni avec soin et choisi avec discernement tous les éléments qui doivent entrer dans le corps de l'ouvrage; s'il a déterminé, par un examen approfondi, leur importance relative et leurs rapports de génération, ces éléments s'uniront en vertu de leurs affinités réelles et trouveront leur enchaînement naturel; et de plus, par une conséquence rigoureuse, l'intelligence, maîtresse des matériaux de l'oeuvre qu'elle a méditée, assurée de l'ordre dans lequel ils doivent se disposer, les produira au dehors avec une expression puissante qui reflétera ses clartés intérieures et l'animera de sa chaleur. Ainsi, l'ordre dépend de l'invention, et la forme est l'image de l'un et de l'autre.

Les rhéteurs anciens ajoutent à cette division deux parties qui ne manquent pas d'importance : la mémoire, qui est la sauvegarde de l'élocution, et l'action, qui la complète. L'usage de l'improvisation et le besoin d'agir immédiatement sur les esprits, dans nos assemblées délibérantes, contribueront sans doute à rendre à ces deux parties de l'art oratoire leur place dans l'enseignement de la rhétorique.

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