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originalité. Ce jeune libertin, que Louis XI disputa à la potence, ne paraît pas intimidé par la perspective du supplice, et il trouve encore, à la vue du sinistre appareil, d'excellentes plaisanteries; mais il ne plaisante pas toujours, et lorsqu'il s'attendrit sérieusement, il parle avec une grâce charmante et avec l'accent d'un poëte philosophe de la fragilité des biens de la terre. On sait par cœur sa touchante ballade sur les dames du temps jadis, dont on a mille fois cité le refrain:

Mais où sont les neiges d'antan (de l'an passé)?

Cette beauté qui se fond et disparaît comme la neige, n'est-ce pas une pensée profonde et une image poétique? Que dire de ces méditations que lui inspire la vue du charnier des Innocents, où sa place est déjà marquée :

Quand je considère ces testes
Entassées en ces charniers,

Tous furent maistres de requestes,
Ou tous de la chambre aux deniers,
Ou tous furent porte-paniers,
Autant puys l'ung que l'aultre dire.
Car d'evesques ou lanterniers
Je n'y congnois rien à redire.
Et ycelles qui s'inclinoient

Unes contre aultres en leurs vies
Desquelles les unes regnoient
Des autres craintes et servies,
Là les voy, toutes assouvies
Ensemble, en un tas pesle-mesle:
Seigneuries leur sont ravies,
Clerc ne maistre ne s'y appelle.

Est-ce le même homme qui lègue si gaiement aux Quinze-Vingts ses grandes lunettes (sans l'étuy), et qui demande avec tant d'enjouement au duc de Bourbon de venir en aide à sa détresse? Villon excelle dans la ballade. Ses principaux ouvrages sont le Petit et le Grand Testament; on lui attribue à

tort les Repues franches, dont il est le héros et non l'auteur.

CLÉMENT MAROT 1, de meilleure condition que Villon, d'un génie plus heureux peut-être et mieux cultivé, est le premier poëte français qui ait laissé des modèles, dans des genres secondaires, il est vrai, mais enfin des modèles, c'est-à-dire des œuvres qu'on imite et qu'on ne surpasse pas. Marot a atteint la perfection dans l'épître familière, le rondeau, la ballade, le madrigal, et surtout dans l'épigramme; il a consacré une forme et même un langage qu'on a longtemps suivis, et qu'on a renouvelés plus tard avec succès. L'épître dans laquelle Marot raconte comment il a été dérobé par son valet est un chef-d'oeuvre d'adresse et de fine plaisanterie. Ses épigrammes, dont le tour est constamment ingénieux, souvent fines ou piquantes, sont quelquefois pleines de délicatesse. Marot arrive même au ton noble et sévère dans le huitain sur la mort de Semblançay 2. Marot a réussi dans la satire; son style n'a pas assez de sensibilité pour l'élégie, qu'il a tentée, ni assez d'élévation pour le

1. Né à Cahors en 1495; mort à Turin en 1544. 2. Voici cette épigramme :

Lorsque Maillart juge d'enfer menoit

A Montfaucon Semblançay l'ame rendre,
A votre avis, lequel des deux tenoit

Meilleur maintien? Pour vous le faire entendre,
Maillart sembloit homme qui mort va prendre,

Et Semblançay fut si ferme vieillart,

Que l'on cuidoit pour vray qu'il menast pendre
A Montfaucon le lieutenant Maillart.

Rapprochons de cette énergique peinture le petit tableau suivant, digne d'Anacréon :

Amour trouva celle qui m'est amère,

Et j'y estois, j'en sçay bien mieulx le compte ;
Bon jour, dit-il, bon jour, Vénus ma mère.
Puis tout à coup il voit qu'il se mécompte,
Dont la couleur au visage lui monte,
D'avoir failli honteux, Dieu sait combien.
Non, non, Amour, ce dy-je, n'ayez honte:
Plus clairvoyants que vous s'y trompent bien.

genre lyrique, où il a échoué. Il rivalise avec Martial lorsqu'il le traduit; mais, lorsqu'il essaye de transporter en français la noble élégance de Virgile, il est trop souvent sec et vulgaire. Le roi prophète n'a pas moins à se plaindre de lui, et sa version des Psaumes nous semble un travestissement lorsqu'on la compare, je ne dis pas au texte, auquel il ne faut rien comparer, mais aux imitations de Malherbe et de J. B. Rousseau. La langue que Villon lui avait transmise, et qu'il a perfectionnée, se prêtait mal à l'expression des pensées élevées, mais elle le servait à merveille dans le badinage, où il excelle. Marot est un de ces rares auteurs qu'on lira toujours.

La vie de Marot fut courte et agitée: mêlée de faveurs et de persécutions, elle se termina dans l'abandon et dans la douleur. La galanterie, la poésie, la religion, lui suscitèrent des ennemis ardents et des protecteurs dévoués. Longtemps Marot rencontra dans cette lutte, et pour les opposer l'un à l'autre, l'amour dévoué et les ressentiments de la jalousie, l'admiration sincère et le dénigrement, la faveur du pouvoir politique et l'hostilité du clergé. Le poëte aimé du roi François Ier et de sa sœur Marguerite eut à supporter deux emprisonnements et autant d'exils, et le dénoûment de ce drame, tantôt sérieux, tantôt plaisant, fut une mort dans le délaissement, loin de la patrie et de la famille qui adoucissent tous les maux. Pourquoi faut-il que la misère et l'isolement aient contristé les derniers jours de celui qui avait souri à la vie avec tant d'ivresse et d'insouciance, et qui disait avec attendrissement:

Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressemblois l'hirondelle qui vole
Puis çà, puis là: l'âge me conduisoit
Sans peur ni soin où le cœur me disoit.

MELLIN DE SAINT-GELAIS mérite d'être mis à côté de Marot; mais on ne peut guère citer que son nom, car ses meilleures épigrammes sont plus spirituelles qu'édifiantes. C'est lui surtout qui a servi de modèle à J. B. Rousseau pour des pièces du même genre qui contrastent singulièrement avec les odes sacrées de ce poëte. Saint-Gelais était abbé, et même aumônier du Dauphin; il n'en fut pas moins exclusivement homme de plaisir, ordonnateur des fêtes d'une cour voluptueuse qu'il charmait par son esprit. Mellin fut témoin des premiers triomphes de Ronsard, dont il troubla d'abord l'ivresse par de piquantes railleries. Mais cette hostilité ne dura pas longtemps; on réconcilia facilement le successeur de Marot et le chef des novateurs. Né en 1491, fils naturel ou neveu d'Octavien de Saint-Gelais, Mellin mourut en 1558. Les médecins qui l'entouraient à son lit de mort paraissaient indécis : « Je vais, dit-il en souriant, vous tirer de peine; » puis détournant la tête, il s'endormit pour l'éternité.

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Vers le milieu du seizième siècle, de jeunes poëtes pleins d'ardeur, nourris dans l'admiration des modèles antiques à l'école de Jean Daurat, se prirent d'un profond dédain pour les œuvres légères de leurs devanciers, qu'ils traitèrent d'épiceries. Un des plus intrépides et des plus habiles, Joachim du Bellay, dans son Illustration de la langue française, sonna la charge et engagea le combat. Le but était double détrôner d'abord les faibles successeurs de Marot, et puis régner à leur place, sous les auspices des Grecs et des Romains, dont les dépouilles opimes allaient enrichir notre langue et régénérer notre

littérature '. Le signal fut entendu, et, pour emprunter les expressions d'un contemporain, de l'école de Daurat, comme des flancs du cheval de Troie, sortirent en foule les chefs courageux de cette grande entreprise.

Le plus illustre de ces spoliateurs fut PIERRE DE RONSARD 2, qui réalisa pour ses contemporains l'idéal du poëte. L'admiration qu'il inspira ne connut point de bornes. Homère et Pindare, si longtemps sans rivaux, étaient enfin, sinon surpassés, au moins égalés. On alla jusqu'à voir dans sa naissance, qu'on plaçait à tort, mais à dessein, le jour même de la bataille de Pavie, une compensation à

1. Le factum éloquent de Du Bellay est une véritable proclamation militaire : « Là doncques, François, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine, et des serves dépouilles d'elle, comme vous avez fait plus d'une fois, ornez vos temples et vos autels. Ne craignez plus ces oyes criardes, ce fier Manlie et ce traître Camille qui, sous ombre de bonne foi, vous surprennent tout nuds comptant la rançon du Capitole; donnez en cette Grèce menteresse, et y semez encore un coup la fameuse nation des Gallo-Grecs. Pillez-moi sans conscience les sacrés trésors de ce temple delphique, ainsi que vous avez fait autrefois, et ne craignez plus ce muet Apollon, ses faux oracles, ni ses flèches rebouchées. >>

2. Ronsard, né en septembre 1524, au château de la Poissonnière, près de Vendôme, mourut dans son prieuré de Vendôme, près de Tours, le 27 décembre 1585. Dans son adolescence, il fut page du duc d'Orléans et de Jacques Stuart, roi d'Écosse. Plus tard, il débuta dans la diplomatie; mais une surdité précoce l'éloigna des affaires, et ce fut alors qu'il se livra à l'étude avec une nouvelle ardeur, sous la direction de Jean Daurat et d'Adrien Turnèbe. Ses brillants débuts lui concilièrent la faveur de François I"; Henri II, François II et Charles IX le comblèrent de bienfaits. Henri III lui fut moins favorable. Charles IX échangea des vers avec son poëte favori et fut presque son rival; il l'aurait même surpassé s'il était réellement, comme on l'a dit sans preuve, teur des vers qui suivent :

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes;
Mais roi, je les reçois; poëte, tu les donnes.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
T'asservit les esprits dont je n'ai que les corps;
Elle t'en rend le maître, et te fait introduire
Où le plus fier tyran ne peut avoir d'empire.

l'au

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