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ce désastre national. La mémoire de Ronsard a cruellement expié ces exagérations. La poésie de Ronsard dut frapper les esprits par une élévation et une force inconnues jusqu'à lui, le goût n'étant pas assez formé pour être blessé de l'étrangeté et de la boursouflure du langage. L'audace qui se fait accepter ajoute à l'admiration par ses excès mêmes, et Ronsard est tombé par où il s'était surtout élevé. L'échafaudage de ses grands mots s'écroula avec fracas et entraîna dans sa chute de précieux matériaux artistement travaillés. Un critique de nos jours a pieusement remué ces décombres; mais il n'en a rien retiré d'homérique, rien de pindarique, et cependant les fouilles n'ont pas été complétement stériles, car on a ramené au jour un poëte anacréontique plein de grâce et de délicatesse. Le grand Ronsard, l'Apollon de la source des Muses, comme l'appelait Marie Stuart, est bien mort; mais M. Sainte-Beuve a fait revivre un rival d'Anacréon et de Tibulle. Ajoutons à cela que quelques pièces dans le goût de la grande poésie, et dans lesquelles Ronsard a daigné ne parler que français, annoncent déjà l'avénement de la langue noble, à laquelle tendaient les efforts de la pléiade.

Cette pléiade, instituée à l'imitation de la pléiade alexandrine, se composait de REMY BELLEAU, JoDELLE, BAÏF, JEAN DAURAT (1508-1588), JOACHIM DU BELLAY et PONTHUS DE THIARD, satellites de Ronsard. On y ajoute AMADIS JAMYN. Je vais dire quelques mots de ceux de ces poëtes qui ne sont pas complétement oubliés.

Remy Belleau (1528-1573) est connu par quelques vers pleins de grâce. Etienne Jodelle, sieur de Limodin (1532-1573), improvisateur fécond, mais vulgaire, entreprit de restaurer le théâtre antique: ses deux tragédies, Cléopâtre et Didon, sont de bien faibles essais; la comédie d'Eugène ou la Ren

contre ne s'élève pas au-dessus du médiocre. Baïf (1532-1591) essaya vainement de naturaliser dans notre poésie les vers métriques; il a mieux réussi dans quelques poésies fugitives, habilement versifiées et richement rimées. Joachim du Bellay (15241560) a porté dans quelques morceaux du genre satirique une profonde énergie, et de la délicatesse dans la galanterie. Sa mort prématurée enleva à la pléiade un de ses plus beaux ornements. Ponthus de Thiard (1521-1605), qui avait débuté par quelques pièces légères, se détourna de bonne heure de la poésie pour cultiver la science et tendre à l'épiscopat.

Les tragédies de GARNIER (1545-1601), imitateur souvent énergique de Sénèque, éclipsent les essais de Jodelle. Les vers de ce poëte sont quelquefois bien frappés, et, grâce à lui, la langue tragique commence à se former.

Un homme doué d'une forte imagination, mais emphatique et tendu, DU BARTAS (1544-1590), talent d'un ordre élevé, manquant de goût et de naturel, balança un moment, du fond de sa province, la gloire de Ronsard. Il y a quelque chose à prendre, erat quod tollere velles, dans la Semaine de ce poëte, espèce d'hymne didactique sur la création, dont le style, tout ensemble grandiose et trivial, est toujours fatigant. Du Bartas avait entrepris une Seconde Semaine, qui devait comprendre tout l'Ancien Testament; il en reste des fragments considérables. On peut louer en lui sans réserve l'élévation du sentiment moral, et il a noblement terminé une vie constamment pure. Blessé sur le champ de bataille d'Ivry en combattant contre les ligueurs, il put encore, avant de mourir de ses blessures, célébrer cette victoire.

Dans le genre satirique, nous trouvons une œuvre singulière due à un homme de guerre, protestant

zélé qui servit longtemps Henri IV avec humeur et fidélité, THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ (1550-1630). Les Tragiques sont un chaos et un déluge; mais dans ce prodigieux fatras brillent çà et là des traits d'une grande énergie et des étincelles de génie. D'Aubigné surpassa l'hyperbole de. Juvénal, et les tableaux qu'il trace n'inspirent pas moins d'effroi '.

Parmi les poëtes qui brillèrent après Ronsard, on distingue DESPORTES (1546-1606), qui donna à la langue de la grâce et de la souplesse. Desportes, abbé de Tiron, fut de son temps le mieux renté de tous les beaux esprits. Un seul sonnet lui valut une abbaye de deux mille livres. Balzac accuse celte libéralité du duc de Joyeuse d'avoir amené un funeste débordement de sonnets. Desportes réussit mieux dans la chanson amoureuse que dans la traduction des Psaumes; quelques-uns de ses couplets sont restés dans la mémoire des gens de goût. BERTAUT (1552-1611) n'est pas au-dessous de Desportes, et ses poésies atteignent parfois la plus exquise élégance.

Quoique la prose domine dans la Měnippée, nous devons cependant mentionner ici cette satire fameuse, puisqu'elle contient un assez grand nombre de vers attribués, pour la plupart, à JEAN PASSERAT (1534-1602), successeur de Ramus dans la chaire d'éloquence au collège de France. Passerat a échappé à l'influence de Ronsard; il continue Marot, qu'il épure, et il prépare La Fontaine. Sa Métamorphose d'un homme en oiseau est un modèle de narration et de fine plaisanterie.

1. Cet ouvrage, très-rare, est aujourd'hui fort recherché. J'ai essayé ailleurs (Essais d'histoire littéraire, 1re série) de caractériser ce poëme étrange, sur lequel des critiques distingués (MM. Saint-Marc Girardin, Ph. Chasles, Sainte-Beuve et ViolletLeduc) avaient déjà attiré l'attention.

Quatrième époque. - Malherbe, Corneille.

-

(1600-1661. 17° siècle.)

« Enfin Malherbe vint. » Ce mot de Boileau désigne une date, date fondamentale et triomphante de notre poésie. MALHERBE (1555-1628) fut véritablement, dans l'intention et dans le fait, un poëte réformateur. Génie patient et impérieux, sa ferme volonté conçut un dessein que son talent accomplit. Il posa nettement les principes de la versification et de la langue poétique, et il les imposa. Boileau n'a pas beaucoup exagéré les services qu'il a rendus, et il faut répéter après lui :

Enfin Malherbe vint, et le premier en France
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée :
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois.

Deux siècles et plus ont passé sur les vers de Malherbe sans les flétrir: leur vigueur native et leur éclat se sont maintenus, parce qu'il a rencontré l'harmonie durable du rhythme, qu'il a respecté la propriété des mots, qu'il a choisi ses figures dans un ordre d'images naturelles; parce qu'enfin il a eu la prudence de la force, parce que son génie a été constamment sain et tempérant. Il avait assez d'imagination pour atteindre la poésie, et trop de bon sens pour laisser dominer chez lui cette autre faculté qu'on a appelée la Folle du logis. Aussi sa poésie n'est-elle pas une brillante extravagance, mais la raison même relevée d'ornements sévères. C'est pour cela que son amour-propre ne l'a pas trompé lorsqu'il a dit :

Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

Les gens de goût savent encore par cœur l'ode sur l'attentat contre la personne du roi : « Que direzvous, races futures? » l'ode à Louis XIII partant pour le siége de la Rochelle : « Doncque un nouveau labeur à tes armes s'apprête; » la paraphrase du psaume CXLV : « N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde; » et les stances de consolation à Duperrier sur la mort de sa fille. Malherbe a formé Racan; il a rendu possible la noble et austère poésie de Corneille; une de ses odes a éveillé le génie poétique qui sommeillait dans l'âme de La Fontaine.

RACAN (1589-1670) fut le disciple favori de Malherbe ; il à moins de force, autant d'élévation, plus d'abandon. On a retenu les stances où il célèbre le charme de la vie des champs : il a été sublime en comparant à la puissance de Dieu les chétives grandeurs de ce monde; dans ses Bergeries, longue pastorale dramatique, où l'intérêt ne se soutient pas, il y a des passages, trop rares, il est vrai, d'une grande beauté. Racan fait aimer la campagne et nous élève par intervalles à de graves pensées religieuses. La traduction des Psaumes, œuvre de sa vieillesse, est languissante et décolorée.

Malherbe représente l'ode, et Racan la pastorale. La poésie fugitive fut cultivée avec succès par MAYNARD, disciple de Malherbe, qui réussit dans le sonnet et l'épigramme; ses odes sont médiocres. MALLEVILLE (1597-1647) n'est pas indigne d'être cité à côté de Maynard; il a de la finesse et de l'’élégance. GOMBAUD (1576-1666) se place sur la même ligne. VOITURE (1598-1648) fut pendant longtemps le héros de la poésie fugitive; il a laissé quelques pièces spirituelles qu'on a retenues; souvent affecté, il a rencontré quelquefois la grâce et l'harmonie.

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