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Nimborum in patriam, loca feta furentibus austris,
Æoliam venit, etc.

La peinture du séjour des Vents est d'une admirable beauté: mouvement, images, harmonie, surtout l'harmonie imitative, y sont prodigués. Suivant que le sujet l'exige, le vers s'arrête ou s'élance. AEoliam venit. Cette coupe brusque marque l'arrivée précipitée de Junon chez Éole.

Luctantes ventos tempestatesque sonoras.

On entend, dans ce vers, dans la répétition de la lettre, les efforts réitérés des vents luttant contre leurs chaînes; car, dans l'harmonie imitative, il existe un heureux choix, non-seulement de mots, comme l'a dit Despréaux, mais de lettres, qui frappent fortement ou caressent agréablement l'oreille. J'ai tâché de rendre l'harmonie de ce vers latin par celui-ci, où la même lettre est également répétée:

Les vents tumultueux, les tempêtes bruyantes.

Je me suis efforcé aussi d'imiter, malgré la différence de la langue, la coupe de plusieurs vers, qu'il sembloit impossible de transporter dans la nôtre. D'ailleurs, tout ce morceau qui nous peint les vents soumis à un maître, assujettis à une police rigoureuse, nous plaît, parce qu'il nous rappelle les institutions humaines. En général, les dieux ne nous

plaisent qu'autant qu'ils ressemblent aux hommes: c'est un des premiers charmes des fables antiques.

que

On ne sait ce qu'on doit le plus admirer dans Virgile, ou de la beauté des peintures, ou de l'éloquence des discours. Celui Junon adresse à Éole est d'une grande vérité; il nous présente la grandeur s'humiliant devant le pouvoir subalterne, pour l'engager à servir ses passions: c'est l'humiliation volontaire de l'orgueil; c'est ce qu'exprime admirablement le mot supplex. La superbe Junon, naguère si orgueilleuse, si superbe, devient suppliante; elle flatte adroitement la vanité du dieu qu'elle implore. Peut-être n'a-t-on jamais fait un plus bel éloge de la beauté, que celui que contiennent ces vers. Junon, la reine des dieux, n'a rien de mieux à promettre à Éole que la jeune Déïopée; mais Virgile est toujours fidèle aux convenances. Vénus', déesse des amours, auroit pu lui promettre les faveurs passagères d'une belle nymphe; Junon, déesse de l'hymen, lui promet une union durable avec la belle Déïopée; elle joint à l'espoir de la jouissance celui des douceurs de la paternité:

Pulchrâ faciat te prole parentem.

La réponse d'Éole est ce qu'elle doit être, modeste et respectueuse; mais, dans la pompe emphatique des derniers

vers, on reconnoît l'infériorité enorgueillie par les éloges et par la prière de la reine des dieux:

Tu das epulis accumbere divûm,

Nimborumque facis tempestatumque potentem.

Parmi le grand nombre de descriptions de tempêtes, ré pandues dans différens poëtes, aucune n'approche de celle de Virgile. Ce qui la distingue principalement, c'est la ra pidité, le mouvement, la variété et la vérité des images. Ces sortes de sujets sont d'autant plus difficiles à traiter, qu'ils sont plus abondans: il s'agit moins d'inventer que de choisir parmi cette foule d'accidens que présentent le ciel, la terre et la mer. C'est lorsque la nature, dans toute sa majesté ou dans toute sa fureur, présente les plus frappans phénomènes, que les poëtes médiocres, non contens de ces sources fécondes de grandes images et de beaux mouvemens, se précipitent dans la plus extravagante exagération; et, soit qu'ils peignent un incendie, un ouragan ou une tempête, toute la fureur des élémens ne peut leur suffire.

C'est dans Lucain surtout que cette exagération ridicule est portée le plus loin. Dans la fameuse tempête qui porte César en Épire, non-seulement les planètes sont ébranlées, mais les étoiles fixes sont prêtes à se détacher; la mer atteint

les nues; les sommets des montagnes sont abattus; le pilote ne craint pas d'échouer contre les côtes, mais de se briser contre les plus hauts rochers des monts Acrocérauniens; la mer de Toscane passe dans la mer Égée, la mer Adriatique dans la mer Ionienne; et vingt autres exagérations de ce genre. Sans doute les admirateurs de Lucain doivent trouver les peintures de Virgile froides et communes auprès de celleci. Ce qui manque surtout à cette description, c'est la rapidité et le mouvement. Tandis que Lucain fait arriver les vents les uns après les autres, comme dans un dénombrement d'armée; qu'il dit froidement : « C'est toi, Corus, qui le » premier t'élevas de la mer Atlantique, » et qu'il ajoute, plus froidement encore : « Je ne crois pas que le Notus et » le Zéphire soient restés enfermés dans les prisons d'Éo» lie, etc. » déjà, dans l'impétuosité des vers de Virgile la montagne s'est renversée sous le sceptre d'Éole, les vents échappés et répandus en tourbillons, se sont déchaînés en mugissant sur la mer, qu'ils bouleversent dans ses plus profonds abîmes. Déjà on entend les cris des matelots et le froissement des câbles, le jour s'est éclipsé, la nuit couvre tout de ses ombres; on entend dans les mêmes vers le roulement de la foudre et le pétillement répété des éclairs; toute la nature enfin est conjurée contre les Troyens.

Il n'est pas inutile non plus d'observer avec quelle sagesse Virgile évite de prolonger la description de la tempête, et la partage en deux par le discours pathétique où Énée témoigne un regret si noble et si naturel de n'avoir pas succombé les armes à la main sous les remparts de Troie, au milieu de ses concitoyens. Tout ce qui suit est remarquable par la perfection de l'harmonie imitative.

Il faut le dire à ceux qui doutent encore de l'existence de cette harmonie: c'est surtout à l'aide de cette magie que Virgile a su rendre présens et sensibles tous les objets, tan

tôt

par la rencontre de deux syllabes dont la prononciation péniblement aspirée exprime un effort, comme illi indignantes, qui rappelle illi inter sese du quatrième livre des Géorgiques; tantôt par la rapidité impétueuse des dactyles, comme dans quá dătă portă răūnt; tantôt par une coupe de vers brusquement interrompue pour marquer une secousse subite, comme dans impulit in latus, et plus bas dat latus; tantôt par la répétition d'une lettre dont la prononciation est plus fortement marquée, comme dans volvunt ad littora fluctus, mettez magnos trudunt ad littora fluctus, l'harmonie s'évanouit, il n'y a plus là de vagues; tantôt c'est un monosyllabe qui, placé pour ainsi dire au haut du vers, exprime le sommet de la montagne d'eau,

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