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n'empêche pas qu'Homère ne l'ait en'tourée de sa ceinture magique, l'une des plus admirables inventions de ce grand génie, plus merveilleux luimême que tous ses dieux.

Le seul inconvénient que pourroit avoir le merveilleux, ce seroit que les hommes étant subordonnés aux puissances célestes, ne parussent que des instrumens et des machines. Aussi le poëte doit-il éviter, dans ses fictions, de montrer les volontés et les passions de ses héros, sources si fécondes d'intérêt, impérieusement maîtrisées par un pouvoir suprême; car alors tout intérêt est détruit ou singulièrement affoibli. Lorsqu'Homère nous peint Achille, irrité par le superbe Agamemnon, portant la main sur son épée, il

nous représente la déesse de la sagesse arrêtant ce héros; mais bientôt après il rend cette ame tendre et féroce à toute son irritabilité naturelle : l'implacable Achille se retire dans sa tente, prive l'armée de sa présence, et ne sort de son repos que pour venger Patrocle, terrasser Hector, et le traîner autour des murailles de Troie. Ainsi le lecteur jouit à la fois de tout ce qu'a d'imposant l'intervention des dieux, et de tout ce qu'ont d'intéressant les mouvemens d'une ame ardente et passionnée.

Le poëte doit aussi avoir grand soin de mettre en équilibre les secours merveilleux que reçoivent les principaux personnages. Ainsi, dans Virgile, Énée

est protégé par Vénus, et Turnus par

Junon et dans tout ce qui précède sa mort) par sa sœur Juturne, qui est elle-même une divinité subalterne, à la vérité, mais conduite par la reine des dieux.

Il faut convenir que le merveilleux d'Homère est quelquefois petit et mesquin. Lorsqu'un héros laisse tomber son épée, il est peu séant de faire venir une déesse pour la ramasser et la lui rendre. Il ne convient pas non plus aux dieux d'inspirer le courage ou l'épouvante aux guerriers introduits sur la scène des combats. Ce genre de fiction dégrade et les dieux et les hommes. Concluons de ces observations, que le merveilleux ne doit commencer que là où les hommes cesseroient de nous intéresser par eux-mêmes.

L'Énéide nous offre le merveilleux dans toute sa pompe et dans toute sa dignité. Les fictions de Virgile ont plus de noblesse et de convenance que celles du poëte grec. Lorsqu'Enée rencontre aux pieds des autels l'odieuse Hélène, fléau de l'Europe et de l'Asie, il est prêt à expier dans son sang tous les maux de sa patrie : alors Vénus vient l'arrêter; et à qui convenoit-il mieux qu'à la déesse des amours et de la beauté, de protéger l'épouse de Pâris? et à qui convenoit-il mieux qu'à la mère du héros de lui épargner la honte du meurtre d'une femme? Voilà le merveilleux dans toute sa perfection.

Cependant on ne peut nier qu'en général Homère n'ait été, sous le rapport du merveilleux, plus favorisé que

Virgile par la croyance de son siècle : plus d'illusions semblent l'avoir inspiré. La religion païenne étoit alors dans toute sa vigueur; les grands et le peuple étoient également crédules: c'est l'époque favorable pour l'épopée. On n'a peut-être pas assez réfléchi sur la nécessité de la bien choisir; mais, si j'en juge par la nature de l'esprit humain et par l'exemple d'Homère, de Virgile, et de ceux qui les ont plus ou moins heureusement imités, les temps les plus propres à ce genre de composition, sont ceux qui sont placés entre un reste de croyance au merveilleux, et un commencement de lumière; car il faut intéresser à la fois, et ceux dont l'imagination a besoin d'être amusée par des évènemens extraordinaires, et

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