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Cependant tout décroît; et moi-même à qui l'âge
D'aucune ride encor n'a flétri le visage 1,

Déjà moins plein de feu, pour animer ma voix,
J'ai besoin du silence et de l'ombre des bois :
Ma muse, qui se plaît dans leurs routes perdues,
Ne sauroit plus marcher sur le pavé des rues.
Ce n'est que dans ces bois, propres à m'exciter,
Qu'Apollon quelquefois daigne encor m'écouter.
Ne demande donc plus par quelle humeur sauvage
Tout l'été, loin de toi, demeurant au village,
J'y passe obstinément les ardeurs du Lion 2,
Et montre pour Paris si peu de passion.
C'est à toi, Lamoignon, que le rang, la naissance,
Le mérite éclatant et la haute éloquence
Appellent dans Paris aux sublimes emplois,

Qu'il sied bien d'y veiller pour le maintien des lois.
Tu dois là tous tes soins au bien de ta patrie :
Tu ne t'en peux bannir que l'orphelin ne crie;
Que l'oppresseur ne montre un front audacieux :
Et Thémis pour voir clair a besoin de tes yeux.
Mais pour moi, de Paris citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un rêveur inutile,
Il me faut du repos, des prés et des forêts,
Laisse-moi donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ait ramené l'automne,
Et que Cérès contente ait fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bienfaits
Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussitôt ton ami, redoutant moins la ville,
T'ira joindre à Paris, pour s'enfuir à Bâville 3.
Là, dans le seul loisir que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent à te suivre empressé,

1. Il était dans sa quarante et unième année.

2. Le soleil passe dans le signe du Lion, du 23 de juillet au 23 d'août. 3. Maison de campagne de M. de Lamoignon. C'est aujourd'hui un hameau de soixante-seize habitants, dépendant de la commune de Saint-Chéron, département de Seine-et-Oise, arrondissement de Rambouillet.

Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti cavalier galoper sur ta trace.

Tantôt sur l'herbe assis, au pied de ces coteaux,

1

Où Polycrène 1 épand ses libérales eaux,

Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude;
Chercher quels sont les biens véritables ou faux,
Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts;
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide.

C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher.
Heureux si les fâcheux, prompts à nous y chercher,
N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse!

Car, dans ce grand concours d'hommes de toute espèce,
Que sans cesse à Bâville attire le devoir,

Au lieu de quatre amis qu'on attendoit le soir,
Quelquefois de fâcheux arrivent trois volées,
Qui du parc à l'instant assiégent les allées.
Alors, sauve qui peut: et quatre fois heureux
Qui sait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux!

ÉPITRE VII2

A MONSIEUR RACINE

Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur,
Émouvoir, étonner, ravir un spectateur!
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,

N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé
En a fait sous son nom verser la Champmêlé 3.

B.

1. Fontaine à une demi-lieue de Bâville, ainsi nommée par feu M. le premier président de Lamoignon. 2. Composée en 1677, pour Pradon.

Dans le pays on la nomme la Rachée. consoler Racine du succès de la Phèdre de

3. Célèbre comédienne. B. Marie Desmares, fille d'un président au parlement de Rouen, née dans cette ville en 1644, morte à Auteuil en 1698.

Ne crois pas toutefois, par tes savans ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages.
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré

Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,

En cent lieux contre lui les cabales s'amassent;
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent:
Et son trop de lumière importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux;
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie;
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits,
Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pièces,
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venoient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et secouoient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur vouloit la scène plus exacte;
Le vicomte indigné sortoit au second acte.
L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnoit au feu 1.
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Vouloit venger la cour immolée au parterre.
Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains,
La Parque l'eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable comédie, avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du theâtre comique.
Toi donc qui, t'élevant sur la scène tragique,

Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits,

1. MM. Daunou et Amar pensent que Boileau veut désigner Bourdaloue, qui prêcha contre le Tartufe.

De Corneille vieilli sais consoler Paris 1,
Cesse de t'étonner si l'envie animée,

Attachant à ton nom sa rouille envenimée,
La calomnie en main quelquefois te poursuit,
En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit,
Racine fait briller sa profonde sagesse.

Le mérite en repos s'endort dans la paresse;

Mais par les envieux un génie excité

Au comble de son art est mille fois monté.
Plus on veut l'affoiblir, plus il croît et s'élance.
Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance,
Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.
Moi-même, dont la gloire ici moins répandue
Des pâles envieux ne blesse point la vue,

Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis,
De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis,

Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue,
Qu'au foible et vain talent dont la France me loue.
Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher,
Tous les jours en marchant m'empêche de broncher.
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde,
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde.
Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.
Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre,
C'est en me guérissant que je sais leur répondre :
Et plus en criminel ils pensent m'ériger,
Plus, croissant en vertu, je songe à me venger.
Imite mon exemple; et lorsqu'une cabale,
Un flot de vains auteurs follement te ravale,
Profite de leur haine et de leur mauvais sens,
Ris du bruit passager de leurs cris impuissans.
Que peut contre tes vers une ignorance vaine?
Le Parnasse françois, ennobli par ta veine,

1. Suréna, la dernière tragédie de Corneille, a été jouée à la fin de l'année

1674

Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l'équitable avenir.
Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre malgré soi perfide, incestueuse,
D'un si noble travail justement étonné,
Ne bénira d'abord le siècle fortuné

4 :

Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles?
Cependant laisse ici gronder quelques censeurs,
Qu'aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.
Et qu'importe à nos vers que Perrin les admire 1;
Que l'auteur du Jonas 2 s'empresse pour les lire :
Qu'ils charment de Senlis le poëte idiot 3,
Ou le sec traducteur du françois d'Amyot
Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées,
Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées,
Pourvu qu'ils sachent plaire au plus puissant des rois,
Qu'à Chantilly Condé les souffre quelquefois 5;
Qu'Enghien en soit touché; que Colbert et Vivonne ",
Que la Rochefoucauld, Marsillac et Pomponne 7,
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,

A leurs traits délicats se laissent pénétrer?

1. Il a traduit l'Énéide et a fait le premier opéra qui ait paru en France. B.

2. Coras.

3. Linière. B.

4. François Tallemant, abbé du Val-Chrétien, prieur de Saint-Irénée, premier aumônier de Madame duchesse d'Orléans, reçu le 10 de mai 1651 à l'Académie française; né à Paris ou à la Rochelle en 1620, mort le 6 de mai 1693.

5. Louis II de Bourbon, prince de Condé, surnommé le Grand Condé, né en 1621, mort en 1686. Son fils, Henri-Jules de Bourbon, né en 1643, mort en 1709, porta, jusqu'à la mort de son père, le titre de duc d'Enghien.

6. Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, ministre et secrétaire d'État, commandeur et grand trésorier des ordres du roi, contrôleur général des finances, surintendant des bâtiments, arts et manufactures de France, né à Paris le 21 d'août 1619, mort à Paris le 6 de septembre 1683. Pour Vivonne, voir épître iv, page 139, note 4.

7. François VI, duc de la Rochefoucauld, né le 15 de décembre 1613, mort à Paris le 17 de mars 1680; c'est l'auteur des Marimes. Son fils, François VII, grand veneur de France, né le 15 de juin 1634, mort le 12 de janvier 1714; il porta, jusqu'à la mort de son père, le titre de prince de Marsillac. Simon Arnauld, marquis de Pomponne, né en 1618, mort à Fontainebleau le 26 de septembre 1699.

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