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De votre auteur alors faites-lui la peinture :
Et surtout, prenez soin d'effacer bien les traits
Dont tant de peintres faux ont flétri mes portraits.
Déposez hardiment qu'au fond cet homme horrible,
Ce censeur qu'ils ont peint si noir et si terrible,
Fut un esprit doux, simple, ami de l'équité,
Qui, cherchant dans ses vers la seule vérité,
Fit, sans être malin, ses plus grandes malices:
Et qu'enfin sa candeur seule a fait tous ses vices.
Dites que, harcelé par les plus vils rimeurs,
Jamais, blessant leurs vers, il n'effleura leurs mœurs:
Libre dans ses discours, mais pourtant toujours sage,
Assez foible de corps, assez doux de visage,

Ni petit, ni trop grand, très-peu voluptueux,
Ami de la vertu plutôt que vertueux.

Que si quelqu'un, mes Vers, alors vous importune
Pour savoir mes parens, ma vie et ma fortune,
Contez-lui qu'allié d'assez hauts magistrats,
Fils d'un père greffier, né d'aïeux avocats 1,
Dès le berceau perdant une fort jeune mère 2,
Réduit seize ans après à pleurer mon vieux père 3,
J'allai d'un pas hardi, par moi-même guidé,
Et de mon seul génie en marchant secondé,
Studieux amateur et de Perse et d'Horace,
Assez près de Régnier m'asseoir sur le Parnasse :
Que, par un`coup du sort au grand jour amené,
Et des bords du Permesse à la cour entraîné,
Je sus, prenant l'essor par des routes nouvelles,
Élever assez haut mes poétiques ailes;

Que ce roi dont le nom fait trembler tant de rois
Voulut bien que ma main crayonnât ses exploits *;

1. Son père était Giles Boileau, greffier de la grand'chambre du parlement de Paris, né à Crosnes (Seine-et-Oise), le 28 de juin 1584, mort à Paris le 2 de février 1657.

2. Sa mère, Anne de Nielle, mourut en 1637, âgée de vingt-trois ans, alors que Boileau n'avait encore que onze mois.

3. Son père mourut vingt ans après sa mère.

4. Racine et Boileau furent nommés historiographes au mois d'octobre 1677.

Que plus d'un grand m'aima jusques à la tendresse,
Que ma vue à Colbert inspiroit l'allégresse;
Qu'aujourd'hui même encor, de deux sens affoibli 1,
Retiré de la cour 2, et non mis en oubli,

Plus d'un héros, épris des fruits de mon étude,
Vient quelquefois chez moi goûter la solitude 3.
Mais des heureux regards de mon astre étonnant
Marquez bien cet effet encor plus surprenant,
Qui dans mon souvenir aura toujours sa place :
Que de tant d'écrivains de l'école d'Ignace
Étant, comme je suis, ami si déclaré,

Ce docteur toutefois si craint, si révéré,
Qui contre eux de sa plume épuisa l'énergie,
Arnauld, le grand Arnauld, fit mon apologie.
Sur mon tombeau futur, mes Vers, pour l'énoncer,
Courez en lettres d'or de ce pas vous placer :
Allez, jusqu'où l'Aurore en naissant voit l'Hydaspe,
Chercher, pour l'y graver, le plus précieux jaspe
Surtout à mes rivaux sachez bien l'étaler.

Mais je vous retiens trop. C'est assez vous parler.
Déjà, plein du beau feu qui pour vous le transporte,
Barbin impatient chez moi frappe à la porte :

Il vient pour vous chercher. C'est lui : j'entends sa voix. Adieu, mes Vers, adieu, pour la dernière fois.

SATIRE XI5

A MON JARDINIER 6

Laborieux valet du plus commode maître
Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvoit naître,

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Antoine, gouverneur de mon jardin d'Auteuil,
Qui diriges chez moi l'if et le chèvrefeuil,
Et sur mes espaliers, industrieux génie,
Sais si bien exercer l'art de La Quintinie 1;
Oh! que de mon esprit triste et mal ordonné,
Ainsi que de ce champ par toi si bien orné,
Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines,

Et des défauts sans nombre arracher les racines!
Mais parle raisonnons. Quand, du matin au soir,
Chez moi poussant la bêche, ou portant l'arrosoir,
Tu fais d'un sable aride une terre fertile,

Et rends tout mon jardin à tes lois si docile;
Que dis-tu de m'y voir rêveur, capricieux,
Tantôt baissant le front, tantôt levant les yeux,
De paroles dans l'air par élans envolées,
Effrayer les oiseaux perchés dans mes allées?
Ne soupçonnes-tu point qu'agité du démon,
Ainsi que ce cousin 2 des quatre fils Aimon,
Dont tu lis quelquefois la merveilleuse histoire,
Je rumine en marchant quelque endroit du grimoire?
Mais non tu te souviens qu'au village on t'a dit
Que ton maître est nommé pour coucher par écrit
Les faits d'un roi plus grand en sagesse, en vaillance,
Que Charlemagne aidé des douze pairs de France.
Tu crois qu'il y travaille, et qu'au long de ce mur
Peut-être en ce moment il prend Mons et Namur.

Que penserois-tu donc, si l'on t'alloit apprendre
Que ce grand chroniqueur des gestes d'Alexandre,
Aujourd'hui méditant un projet tout nouveau,
S'agite, se démène, et s'use le cerveau,
Pour te faire à toi-même en rimes insensées
Un bizarre portrait de ses folles pensées?
Mon maître, dirois-tu, passe pour un docteur,
Et parle quelquefois mieux qu'un prédicateur.

Jean de La Quintinie, né à

1. Célèbre directeur des jardins du roi. B. Chabanais (Charente) en 1626, mort à Versailles en 1688. 2. Maugis. B.

Sous ces arbres pourtant, de si vaines sornettes
Il n'iroit point troubler la paix de ces fauvettes,
S'il lui falloit toujours, comme moi, s'exercer,
Labourer, couper, tondre, aplanir, palisser,
Et, dans l'eau de ces puits sans relâche tirée,
De ce sable étancher la soif démesurée.

Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le voi,
Que le plus occupé dans ce jardin c'est toi?
Oh! que tu changerois d'avis et de langage,
Si deux jours seulement, libre du jardinage,
Tout à coup devenu poëte et bel esprit,
Tu t'allois engager à polir un écrit

Qui dît, sans s'avilir, les plus petites choses;

Fit des plus secs chardons des œillets et des roses;
Et sût même aux discours de la rusticité

Donner de l'élégance et de la dignité;

Un ouvrage, en un mot, qui, juste en tous ses termes,
Sût plaire à Daguesseau 1, sût satisfaire Termes
Sût, dis-je, contenter, en paroissant au jour,
Ce qu'ont d'esprits plus fins et la ville et la cour!
Bientôt de ce travail revenu sec et pâle,

Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle,
Tu dirois, reprenant ta pelle et ton râteau :
J'aime mieux mettre encor cent arpens au niveau,
Que d'aller follement, égaré dans les nues,
Me lasser à chercher des visions cornues;
Et, pour lier des mots si mal s'entr'accordans,
Prendre dans ce jardin la lune avec les dents.

Approche donc, et viens qu'un paresseux t'apprenne,
Antoine, ce que c'est que fatigue et que peine.
L'homme ici-bas, toujours inquiet et gêné,
Est, dans le repos même, au travail condamné.
La fatigue l'y suit. C'est en vain qu'aux poëtes

1. Alors avocat général et maintenant procureur général. B. nommé chancelier par le régent en 1717.

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2. Roger de Pardaillan de Gondrin, marquis de Termes, mort au mois de mars 1704.

Les neuf trompeuses sœurs dans leurs douces retraites
Promettent du repos sous leurs ombrages frais :
Dans ces tranquilles bois pour eux plantés exprès,
La cadence aussitôt, la rime, la césure,

La riche expression, la nombreuse mesure,
Sorcières dont l'amour sait d'abord les charmer,
De fatigues sans fin viennent les consumer.
Sans cesse poursuivant ces fugitives fées 1,
On voit sous les lauriers, haleter les Orphées.
Leur esprit toutefois se plaît dans son tourment,
Et se fait de sa peine un noble amusement.
Mais je ne trouve point de fatigue si rude
Que l'ennuyeux loisir d'un mortel sans étude,
Qui, jamais ne sortant de sa stupidité,
Soutient, dans les langueurs de son oisiveté,
D'une lâche indolence esclave volontaire,
Le pénible fardeau de n'avoir rien à faire.
Vainement offusqué de ses pensers épais,

Loin du trouble et du bruit il croit trouver la paix :
Dans le calme odieux de sa sombre paresse,
Tous les honteux plaisirs, enfans de la mollesse,
Usurpant sur son ame un absolu pouvoir,

De monstrueux désirs le viennent émouvoir,
Irritent de ses sens la fureur endormie,
Et le font le jouet de leur triste infamie.

Puis sur leurs pas soudain arrivent les remords,
Et bientôt avec eux tous les fléaux du corps,

La pierre, la colique et les gouttes cruelles;

Guénaud, Rainssant, Brayer 2, presque aussi tristes qu'elles, Chez l'indigne mortel courent tous s'assembler,

De travaux douloureux le viennent accabler;

Sur le duvet d'un lit, théâtre de ses gênes,

1. Les muses. B.

2. Fameux médecins. B.

Pierre Rainssant, de Reims, médecin, anti

quaire et garde des médailles de Sa Majesté, se noya dans la pièce d'eau des Suisses, à Versailles, le 7 de juin 1689. Nicolas Brayer, né à ChâteauThierry en 1604, mourut à Paris en 1676.

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