Obrázky na stránke
PDF
ePub

Dieu sait quel scandale causa cette audace du jeune homme! Les Montausier, les Huet, les Pelisson, les Scudéry en frémirent; mais il suffit que Colbert comprît, qu'il distinguât entre tous le judicieux téméraire, qu'il se déridat à le lire et à l'entendre, et qu'au milieu de ses graves labeurs la seule vue de Despréaux lui inspirât jusqu'à la fin de l'allégresse. Boileau était un des rares et justes divertissements de Colbert. On nous a tant fait Boileau sévère et sourcilleux dans notre jeunesse, que nous avons peine à nous le figurer ce qu'il était en réalité, le plus vif des esprits sérieux et le plus agréable des

censeurs.

Pour mieux me remettre en sa présence, j'ai voulu revoir, au Musée de sculpture, le beau buste qu'a fait de lui Girardon. Il y est traité dans une libre et large manière : l'ample perruque de rigueur est noblement jetée sur son front et ne le surcharge pas; il a l'attitude ferme et même fière, le port de tête assuré; un demi-sourire moqueur erre sur ses lèvres; le pli du nez un peu relevé, et celui de la bouche, indiquent l'habitude railleuse, rieuse et même mordante; la lèvre pourtant est bonne et franche, entr'ouverte et parlante; elle ne sait pas retenir le trait. Le cou nu laisse voir un double menton plus voisin pourtant de la maigreur que de l'embonpoint. ce cou, un peu creusé, est bien d'accord avec la fatigue de la voix qu'il éprouvera de bonne heure. Mais à voir l'ensemble, comme on sent bien que ce personnage vivant était le contraire du triste et du sombre, et point du tout ennuyeux!

Avant de prendre lui-même cette perruque un peu solennelle, Boileau jeune en avait arraché plus d'une à autrui. Je ne répéterai pas ce que chacun sait, mais voici une historiette qui n'est pas encore entrée, je crois, dans les livres imprimés. Un jour, Racine, qui était aisément malin quand il s'en mêlait eut l'idée de faire l'excellente niche de mener Boileau en visite chez Chapelain, logé rue des Cinq-Diamants, quartier des Lombards. Racine avait eu à se louer d'abord de Chapelain pour ses premières Odes, et avait reçu de lui des encouragements. Usant donc de l'accès qu'il avait auprès du docte personnage, il lui conduisit le satirique qui déjà l'avait pris à partie sur ses vers, et il le présenta sous le titre et en qualité de M. le bailli de Chevreuse, lequel, se trouvant à Paris, avait voulu connaître un homme de cette importance. Chapelain ne soupçonne rien du déguisement; mais, à un moment de la visite,

le bailli, qu'on avait donné comme un amateur de littérature, ayant amené la conversation sur la comédie, Chapelain, en véritable érudit qu'il était, se déclara pour les comédies italiennes et se mit à les exalter au préjudice de Molière. Boileau ne se tint pas, Racine avait beau lui faire des signes, le prétendu bailli prenait feu et allait se déceler dans sa candeur. Il fallut que son introducteur se hâtât de lever la séance. En sortant ils rencontrèrent l'abbé Cotin sur l'escalier, mais qui ne reconnut pas le bailli. Telles furent les premières espiègleries de Despréaux et ses premières irrévérences. Le tout, quand on en fait, est de les bien placer.

Les Satires de Boileau ne sont pas aujourd'hui ce qui plaît le plus dans ses ouvrages. Les sujets en sont assez petits, ou, quand l'auteur les prend dans l'ordre moral, ils tournent au lieu commun: ainsi la Satire à l'abbé Le Vayer, sur les folies humaines, ainsi celle à Dangeau sur la noblesse. Dans la Satire et dans l'Épître, du moment qu'il ne s'agit point en particulier des ouvrages de l'esprit, Boileau est fort inférieur à Horace et à Pope; il l'est incomparablement à Molière et à La Fontaine; ce n'est qu'un moraliste ordinaire, honnête homme et sensé, qui se relève par le détail et par les portraits qu'il introduit. Sa meilleure Satire est la IXe, « et c'est peut-être le chefd'œuvre du genre, » a dit Fontanes. Ce chef-d'œuvre de satire est celle qu'il adresse à son Esprit, sujet favori encore, toujours le même, rimes, métier d'auteur, portrait de sa propre verve; il s'y peint tout entier avec plus de développement que jamais, avec un feu qui grave merveilleusement sa figure, et qui fait de lui dans l'avenir le type vivant du critique.

La sensibilité de Boileau, on l'a dit, avait passé de bonne heure dans sa raison, et ne faisait qu'un avec elle. Sa passion (car en ce sens il en avait) était toute critique, et s'exhalait par ses jugements. Le vrai dans les ouvrages de l'esprit, voilà de tout temps sa Bérénice à lui, et sa Champmeslé. Quand son droit sens était choqué, il ne se contenait pas, il était prêt plutôt à se faire toutes les querelles :

Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire!
On sera ridicule, et je n'oserai rire!...

Et encore, parlant de la vérité dans la satire :

C'est elle qui, m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira, dès quinze ans, la haine d'un sot livre...

la haine des sots livres, et aussi l'amour, le culte des bons ouvrages et des beaux. Quand Boileau loue à plein cœur et à plein sens, comme il est touché et comme il touche! comme son vers d'Aristarque se passionne et s'affectionne!

En vain contre le Cid un ministre se ligue,

Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L'Académie en corps a beau le censurer,

Le public révolté s'obstine à l'admirer.

Quelle générosité d'accent! comme le sourcil s'est déridé! Cet œil gris petille d'une larme: son vers est bien alors ce vers de la saine satire, et qu'elle épure aux rayons du bon sens, car le bon sens chez lui arrive, à force de chaleur, au rayonnement et à la lumière. Il faudrait relire ici en entier l'Épître à Racine après Phèdre (1677), qui est le triomphe le plus magnifique et le plus inaltéré de ce sentiment de justice, chefd'œuvre de la poésie critique, où elle sait être tour à tour et à la fois étincelante, échauffante, harmonieuse, attendrissante et fraternelle. Il faut surtout relire ces beaux vers au sujet de la mort de Molière sur lesquels a dù tomber une larme vengeresse, une larme de Boileau. Et quand il fait, à la fin de cette Épître, un retour sur lui-même et sur ses ennemis :

Et qu'importe à nos vers que Perrin les admire?

Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées

Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées!

quelle largeur de ton, et, sans une seule image, par la seule combinaison des syllabes, quelle majesté! Et dans ces noms qui suivent, et qui ne sembleħt d'abord qu'une simple énumération, quel choix, quelle gradation sentie, quelle plénitude poétique! Le roi d'abord, à part et seul dans un vers; Condé de même, qui le méritait bien par son sang royal, par son génie, sa gloire et son goût fin de l'esprit; Enghien, son fils, a un demi-vers: puis vient l'élite des juges du premier rang, tous ces noms qui, convenablement prononcés, forment un vers si plein et si riche comme certains vers antiques :

[ocr errors][merged small]

Que La Rochefoucauld, Marsillac et Pomponne, etc.

Mais dans le nom de Montausier, qui vient le dernier à titre

d'espoir et de vœu, la malice avec un coin de grâce reparaît. Ce sont là de ces tours délicats de flatterie comme en avait Boileau; ce satirique, qui savait si bien piquer au vif, est le même qui a pu dire:

La louange agréable est l'âme des beaux vers.

Nous atteignons par cette Épitre à Racine au comble de la gloire et du rôle de Boileau. Il s'y montre en son haut rang, au centre du groupe des illustres poëtes du siècle, calme, équitable, certain, puissamment établi dans son genre qu'il a graduellement élargi, n'enviant celui de personne, distribuant sobrement la sentence, classant même ceux qui sont au-dessus de lui.. his dantem jura Catonem; le maitre de chœur, comme dit Montaigne; un de ces hommes à qui est déférée l'autorité et dont chaque mot porte.

On peut distinguer trois périodes dans la carrière poétique de Boileau : la première, qui s'étend jusqu'en 1667 à peu près, est celle du satirique pur, du jeune homme audacieux, chagrin, un peu étroit de vues, échappé du greffe et encore voisin de la basoche, occupé à rimer et à railler les sots rimeurs, à leur faire des niches dans ses hémistiches, et aussi à peindre avec relief et précision les ridicules extérieurs du quartier, à nommer bien haut les masques de sa connaissance:

J'appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.

La seconde période, de 1669 à 1677, comprend le satirique encore, mais qui de plus en plus s'apaise, qui a des ménagements à garder d'ailleurs en s'établissant dans la gloire; déjà sur un bon pied à la cour, qui devient plus sagement critique dans tous les sens, législateur du Parnasse en son Art poétique, et aussi plus philosophe dans sa vue agrandie de l'homme (Épître à Guilleragues), capable de délicieux loisir et des jouissances variées des champs (Épître M. de Lamoignon), et dont l'imagination reposée et nullement refroidie sait combiner et inventer des tableaux désintéressés, d'une forme profonde dans leur badinage, et d'un ingénieux poussé à la perfection suprême, à l'art immortel.

Les quatre premiers chants du Lutrin nous expriment bien la veine, l'esprit de Boileau dans tout son honnête loisir, dans sa sérénité et son plus libre jeu, dans l'agrément rassis et le premier entrain de son après-dînée.

Enfin, comme troisième période, après une interruption de plusieurs années, sous prétexte de sa place d'historiographe et pour cause de maladie, d'extinction de voix physique et poétique, Boileau fait en poésie une rentrée modérément heureuse, mais non pas si déplorable qu'on l'a bien voulu dire, par les deux derniers chants du Lutrin, par ses dernières Épîtres, par ses dernières Satires, l'Amour de Dieu et la triste Équivoque comme terme.

Là même encore, les idées et les sujets le trahissent plus peut-être que le talent. Jusque dans cette désagréable Satire contre les Femmes, j'ai vu les plus ardents admirateurs de l'école pittoresque moderne distinguer le tableau de la lésine si affreusement retracé dans la personne du lieutenant-criminel Tardieu et sa femme. Il y a là une cinquantaine de vers à la Juvénal qui peuvent se réciter sans pâlir, même quand on vient de lire Eugénie Grandet, ou lorsqu'on sort de voir une des pages éclatantes d'Eugène Delacroix.

Mais de cette dernière période de Boileau, par laquelle il se rattache de plus près à la cause des Jansénistes et de PortRoyal, j'en parlerai peu ici, comme étant trop ingrate et trop particulière. C'est un sujet, d'ailleurs, que je me suis mis dès longtemps en réserve pour l'avenir.

A la cour et dans le monde, qu'était Boileau dans son bon temps, avant les infirmités croissantes et la vieillesse chagrine? Il était plein de bons mots, de reparties et de franchise; il parlait avec feu, mais seulement dans les sujets qui lui tenaient à cœur, c'est-à-dire sur les matières littéraires. Une fois le discours lancé là-dessus, il ne s'y ménageait pas. Madame de Sévigné nous a fait le récit d'un dîner où Boileau, aux prises avec un jésuite au sujet de Pascal, donna, aux dépens du Père, une scène d'excellente et naïve comédie. Boileau retenait de mémoire ses vers, et les récitait longtemps avant de les mettre sur le papier; il faisait mieux que les réciter, il les jouait pour ainsi dire. Ainsi, un jour, étant au lit (car il se levait tard) et débitant au docteur Arnauld, qui l'était venu voir, sa troisième Épître où se trouve le beau passage qui finit par ces vers:

Hâtons-nous, le temps fuit, et nous traine avec soi :

Le moment où je parle est déjà loin de moi !

il récita ce dernier vers d'un ton si léger et rapide, qu'Ar

« PredošláPokračovať »