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gnard, il estimait sa gaieté et disait de lui : « Il n'est pas médiocrement plaisant. » En 1705 les deux poëtes se réconcilièrent. Regnard fit amende honorable à celui qu'il avait outragé, il lui dédia sa pièce des Ménechmes, reconnut dans une préface en vers ce qu'il devait à l'auteur de l'art poétique, se déclara son élève et protesta de son respect. Despréaux, de son côté, effaça les vers qu'il avait écrits dans son épître Xe (1695), en réponse aux premières insultes de son adversaire :

Dans peu vous allez voir vos froides rêveries
Du public exciter les justes moqueries,
Et leur auteur, jadis à Regnier préféré,

A Sanlecque, à Regnard, à Bellocq comparé.

La place était toute faite, il fallait la remplir, Pinchène, Linière et Perrin viennent l'occuper c'est ainsi que le nom de Regnard ne se trouve plus dans les œuvres de Boileau.

Si la politique n'eût pas conseillé à Charles Perrault de se faire le champion des femmes, il aurait été porté à écrire contre Despréaux par des raisons personnelles. Le satirique l'avait mis en cause dans les trois éditions de 1694, 95 et 98. Le portrait de la femme entêtée des modernes se continuait ainsi :

S'étonne cependant d'où vient que chez Coignard

Le Saint-Paulin, écrit avec un si grand art,
Et d'une plume douce, aisée et naturelle,
Pourrit vingt fois encor moins lu que la Pucelle,
Elle en accuse alors notre siècle infecté

Du pédantesque goût qu'ont pour l'antiquité
Magistrats, princes, ducs et même fils de France,
Qui lisent sans rougir et Virgile et Térence,
Et toujours pour P... pleins d'un dégoût malin,
Ne savent pas s'il est au monde un Saint-Paulin.

Perrault n'était pas homme à se taire quand on l'attaquait ainsi. Il saisit donc l'occasion de conquérir les femmes que Boileau s'aliénait, il publia leur apologie. L'Apologie des femmes parut en 1694. Elle était précédée d'une préface où l'auteur se faisait juge de la satire Xe, au nom de la morale et du goût. Il y trouvait plus de faiblesse que dans aucun autre ouvrage de Boileau, et des images dont la pudeur est offensée. C'est ce jugement outré que La Bruyère dénonçait avec indignation dans la préface de son discours à l'Académie française (15 juin 1693), lorsqu'il disait : « Il paroît une nouvelle satire écrite contre les vices en général qui, d'un vers fort et d'un style d'airain, enfonce ses traits contre l'avarice, 'l'excès du jeu, la chicane, la mollesse, l'ordure et l'hypocrisie; où personne n'est nommé ni désigné, où nulle femme vertueuse ne peut

ni ne doit se reconnoître un Bourdaloue en chaire ne fait point de peintures du crime ni plus vives, ni plus innocentes; il n'importe, c'est médisance, c'est calomnie. » Il ne pouvait pas y avoir deux jugements plus opposés. Perrault trouvait les vers de la Xe satire « durs, secs, coupés par morceaux, pleins de transpositions et de mauvaises césures, et enjambant les uns sur les autres. >>

Autant les femmes avaient été maltraitées par Boileau, autant elles étaient louées et flattées par Perrault. Despréaux n'avait excepté que trois femmes de bien dans sa pièce, Perrault n'en suppose que deux ou trois dont le crime est avéré; et le satirique est mis au rang des hommes perdus qui ne jugent du sexe entier que par les femmes qu'ils ont vues. Pauvre Boileau! dit M. Hippolyte Rigault, c'était bien la peine de se << déclarer très-peu voluptueux, » mérite impopulaire en France, pour s'entendre accuser d'être « un vert-galant! » A la coquette Perrault oppose la sœur de charité; il peint la bonne mère qui soigne ses enfants, la bonne épouse qui donne une potion salutaire à l'époux alité, la bonne fille qui travaille le soir au coin du foyer, et il célèbre avec attendrissement les délices de l'amour conjugal, tandis que le célibataire, mourant sur son grabat,

Voit, l'œil à demi clos, son valet qui le vole.

Mais l'important pour l'apologiste des femmes, c'était de pouvoir se venger du partisan des anciens en le décriant à son tour dans un portrait méchant; voici ce morceau :

Peux-tu ne pas savoir que la civilité

Chez les femmes naquit avec l'honnêteté?
Que chez elles se prend la fine politesse,
Le bon air, le bon goût et la délicatesse?
Regarde un peu de près celui qui, loup-garou,
Loin du sexe a vécu, renfermé dans son trou.
Tu le verras crasseux, maladroit et sauvage,
Farouche dans ses mœurs, rude dans son langage,
Ne pouvoir rien penser de fin, d'ingénieux,
Ne dire jamais rien que de dur ou de vieux.
S'il joint à ces talents l'amour de l'antiquaille,

S'il trouve qu'en nos jours on ne dit rien qui vaille,
Et qu'à tout bon moderne il donne un coup de dent,

De ces dons rassemblés se forme le pédant,

Le plus fastidieux comme le plus immonde

De tous les animaux qui rampent dans le monde.

Des épigrammes ne suffisaient plus pour combattre un adversaire si audacieux, dont les progrès avançaient chaque jour. Boileau tenta une résistance plus vigoureuse il écrivit son

Ode sur la prise de Namur. Il s'agissait de justifier Pindare par l'exemple victorieux d'une ode faite sur le modèle des siennes. On pense bien que ce poëte n'était pas moins maltraité par Perrault que les autres.

Dans une scène spirituellement conduite, le président Mo rinet, défenseur des anciens dans les Dialogues de Perrault, avait essayé de traduire pour sa femme, madame Morinet, la première strophe de Pindare sur lequel il ne tarissait pas en éloges. Il avait eu beau redoubler les expressions les plus vives d'une admiration passionnée, réduit à rendre en français la première strophe de la première ode, il n'avait pu faire croire à sa femme, non plus qu'à l'abbé et au chevalier, qu'il y eût autre chose que du galimatias dans ces poésies trop célébrées. Pindare est assurément l'ancien dont il nous est le plus difficile de goûter le génie. Tous ceux qui l'ont tenté sans savoir le grec devaient y échouer. Il n'est pas surprenant que Perrault, habitué à travestir Homère et Virgile, n'ait rien entendu à la poésie du grand poëte lyrique.

Boileau le comprenait mieux, quoiqu'il ait eu une opinion fausse sur le désordre pindarique. La vérité est que cet auteur offre à ceux qui le lisent un ample dédommagement des efforts qu'il faut faire pour se familiariser avec sa langue. Avec un peu d'étude on voit combien son esprit était vigoureux, quelle imagination riche et sublime il avait, quelle profondeur de réflexion il mettait dans ses œuvres. La Grèce, ses traditions héroïques, les souvenirs de ses premiers habitants, l'ardeur de patriotisme qui enflammait alors tous les cœurs, vivent dans ces strophes dont la variété et les tableaux pittoresques ne sont pas le moindre des mérites. Si Pindare n'a point ce désordre dont on l'a follement vanté, il est juste de dire que sa marche n'a rien de timide; ses pièces ont le tour libre, elles parcourent d'un élan hardi le champ que le poëte a toujours le talent d'agrandir. Perrault était insensible à ces beautés, et il faut bien en convenir, l'Ode sur la prise de Namur n'était pas capable de lui en donner une exacte idée, c'était une tentative malheureuse qui aurait pu décrier le plus illustre des poëtes. Mais, dans le dicours qui précédait cette ode, Perrault s'entendait dire ses vérités.

« L'ode suivante a été composée, écrivait Boileau (1693), à l'occasion de ces étranges dialogues qui ont paru depuis quelque temps, où tous les plus grands écrivains de l'antiquité sont traités d'esprits médiocres, de gens à être mis en parallèle avec les Chapelains et avec les Cotins, et où, voulant faire honneur à notre siècle, on l'a en quelque sorte diffamé, en faisant voir qu'il s'y trouve des hommes capables d'écrire des choses si peu sensées. Pindare y est des plus maltraités.

Comme les beautés de ce poëte sont extrêmement renfermées dans sa langue, l'auteur de ces dialogues, qui vraisemblablement ne sait point de grec et qui n'a lu Pindare que dans des traductions latines assez défectueuses, a pris pour galimatias tout ce que la faiblesse de ses lumières ne lui permettoit pas de comprendre... J'ai cru que je ne pouvois mieux justifier ce grand poëte qu'en tâchant de faire une ode en françois à sa manière, c'est-à-dire, pleine de mouvements et de transports, où l'esprit parût plutôt entraîné du démon de la poésie que guidé par la raison. C'est le but que je me suis proposé dans l'ode qu'on va voir. J'ai pris pour sujet la prise de Namur comme la plus grande action de guerre qui se soit faite de nos jours, et comme la matière la plus propre à échauffer l'imagination d'un poëte. J'y ai jeté autant que j'ai pu la magnificence des mots et, à l'exemple des anciens poëtes dithyrambiques, j'y ai employé les figures les plus audacieuses, jusqu'à y faire un astre de la plume blanche que le roi porte ordinairement à son chapeau, et qui est, en effet, comme une espèce de comète fatale à nos ennemis qui se jugent perdus dès qu'ils l'aperçoivent. » Quand même Boileau eût réussi dans le dessein de cet ouvrage, il n'aurait rien prouvé en faveur de Pindare; mais la grande faiblesse de l'exécution donnait à Perrault l'occasion d'un triomphe facile.

Il ne la manqua pas. Le Discours sur l'Ode eut une réplique, ce fut la lettre dont nous avons déjà dit un mot plus haut. Perrault s'y défendait sur tous les points. Quant à l'ode ellemême de Boileau, il ne croyait pas que ce fût la manière la plus directe de justifier Pindare; il eût mieux valu, disait-il, donner au public une ode de Pindare traduite; il consentait à examiner la pièce de Despréaux pour y voir la magnificence de mots qu'il prétendait y avoir jetée, mais il renonçait tout à coup à ce projet : « Mais non, cet examen nous mèneroit trop loin; d'ailleurs, vous ne savez que trop le succès qu'elle a eu dans le monde, et vous avez la satisfaction d'avoir prévu sagement dans votre préface que le public ne s'accommode pas de vos saillies ni de vos excès pindariques. » L'auteur de cette lettre met encore plus de vivacité à relever le reproche de bizarrerie que Boileau avait fait à sa famille. Il montrait que ses quatre frères étaient tous recommandables par leurs travaux, leurs ouvrages et leurs connaissances, faisant entendre sans ménagement qu'ils étaient bien supérieurs à Boileau, dont l'esprit sensible seulement à la poésie ignorait l'architecture, la sculpture et la peinture, était étranger à la philosophie, aux mathématiques et à mille choses semblables qui font le plaisir des honnêtes gens. Il terminait en disant que l'amour-propre blessé avait plus de part à ces querelles qu'un

C.

zèle véritable pour les anciens. Puis, prenant sur Despréaux l'avantage que lui donnaient son sang-froid, sa politesse et sa modération, il ajoutait : « Que si vous voulez absolument être en guerre avec moi, je voudrai ce qu'il vous plaira, pourvu que vous ne vouliez pas que je me fàche. J'ai résolu absolument de n'en rien faire et de ne troubler pour quoi que ce soit le repos et la tranquillité dont je jouis dans ma solitude. Je me suis fait un amusement du parallèle des anciens et des modernes, mais à condition de laisser tout là, comme je l'ai déjà déclaré, si la matière, qui jusqu'à ce jour ne m'a donné que du plaisir, venoit à m'échauffer le moins du monde. »>

Boileau avait l'humeur trop ardente pour écouter ce conseil si finement donné. Son tempérament le portait à s'échauffer, il ne savait rien prendre de sens rassis et, de plus, ses amis l'excitaient à répondre. On attendait de lui quelque ouvrage décisif qui pût compter dans le débat et mettre en déroute le parti des modernes. Il n'était que temps. Autour de lui on s'inquiétait des progrès de Perrault. Il recevait de ses partisans message sur message, et le prince de Conti le menaçait d'aller à l'Académie écrire sur son fauteuil : « Tu dors, Brutus... » Boileau se réveilla enfin, dit Louis Racine, et il composa ses Réflexions sur Longin. Perrault avait sommé son adversaire de lui faire voir ses bévues. Vous dites que quelque jour vous pourrez me montrer mes erreurs. Je le souhaite de tout mon cœur, pourquoi voudrois-je être trompé? Et, au fond, que m'importe que les modernes vaillent mieux que les anciens, ou les anciens que les modernes? Mais je déclare par avance qu'il faut des raisons pour me désabuser (voilà la difficulté), et que des injures, des épigrammes et des satires ne feront rien. » Despréaux le prenait au mot, sans renoncer toutefois aux épigrammes, aux injures et aux satires.

Les neuf premières Réflexions critiques parurent en 1693, ce sont les seules qui s'adressent à Perrault; les trois dernières sont de 1710, elles regardent Fontenelle et la Motte. Dans la première partie de cet ouvrage Boileau ne s'est pas proposé d'autre objet que de faire voir en combien d'endroits Perrault se trompe sur les anciens par prévention, par ignorance, par un genre nouveau de pédantisme. Il le redresse partout où il a donné des versions infidèles ou plates des anciens. « Ses propres traductions, exactes, élégantes, font ressortir les erreurs et l'injustice de son adversaire. » Boileau n'entreprend pas l'apologie des anciens, il ne professe sur eux aucune théorie, il ne soutient aucune doctrine, il se contente de les venger par la démonstration évidente que leur plus grand ennemi n'a pas assez de science pour les bien connaître et les bien juger. Il prouve, par exemple, à Perrault « qu'il a

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