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conséquences immédiates de cette haine contre l'Évangile furent un retour plus affecté que sincère vers ces dieux de Rome et de la Grèce, auxquels on attribua les miracles de l'antiquité 1. On ne fut point honteux de regretter ce culte qui ne faisoit du genre humain qu'un troupeau d'insensés, d'impudiques, ou de bêtes féroces. On dut nécessairement arriver de là au mépris des écrivains du siècle de Louis XIV, qui ne s'élevèrent toutefois à une si haute perfection, que parcequ'ils furent religieux. Si l'on n'osa pas les heurter de front, à cause de l'autorité de leur renommée, on les attaqua d'une manière indirecte. On fit entendre qu'ils avoient été secrètement incrédules, ou que du moins ils fussent devenus de bien plus grands hommes s'ils avoient vécu de nos jours. Chaque auteur bénit son destin de l'avoir fait naître dans le beau siècle des Diderot et des d'Alembert, dans ce siècle où les documents de la sagesse humaine étoient rangés par ordre alphabétique dans l'Encyclopédie, cette Babel des sciences et de la raison 2.

Des hommes d'une grande doctrine et d'un esprit distingué essayèrent de s'opposer à ce torrent; mais leur résistance fut inutile: leur voix se perdit dans la foule, et leur victoire fut ignorée d'un monde frivole, qui cependant dirigeoit la France, et que par cette raison il étoit nécessaire de toucher 3.

Ainsi, cette fatalité qui avoit fait triompher les sophistes sous Julien se déclara pour eux dans notre siècle. Les défenseurs des chrétiens tombèrent dans une faute qui les avoit déja perdus : ils ne s'aperçurent pas qu'il ne s'agissoit plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu'on rejetoit absolument les bases. En partant de la mission de Jésus-Christ, et remontant de conséquence en conséquence, ils établissoient sans doute fort solidement les vérités de la foi; mais cette manière d'argumenter, bonne au dix-septième siècle, lorsque le fond n'étoit point contesté, ne valoit plus rien de nos jours. Il falloit prendre la route contraire, passer de l'effet à la cause ne pas prouver que le christianisme est excellent, parcequ'il vient de Dieu; mais qu'il vient de Dieu, parcequ'il est excellent,

C'étoit encore une autre erreur que de s'attacher à répondre sérieusement à des sophistes, espèce d'hommes qu'il est impos

Le siècle de Louis XIV aimoit et connoissoit l'antiquité mieux que nous, et il étoit chrétien.

• Voyez la note 4 à la fin du volume.

3 Les Lettres de quelques Juifs portugais eurent un moment de succès; mais elles disparurent bientôt dans le tourbillon irréligieux.

sible de convaincre, parcequ'ils ont toujours tort. On oublioit qu'ils ne cherchent jamais de bonne foi la vérité, et qu'ils ne sont même attachés à leur système qu'en raison du bruit qu'il fait, prêts à en changer demain avec l'opinion.

Pour n'avoir pas fait cette remarque, on perdit beaucoup de temps et de travail. Ce n'étoit pas les sophistes qu'il falloit réconcilier à la religion, c'étoit le monde qu'ils égaroient. On l'avoit séduit en lui disant que le christianisme étoit un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté; un culte qui n'avoit fait que verser le sang, enchaîner les hommes, et retarder le bonheur et les lumières du genre humain on devoit donc chercher à prouver au contraire que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres; que le monde moderne lui doit tout, depuis l'agriculture jusqu'aux sciences abstraites; depuis les hospices pour les malheureux, jusqu'aux temples bâtis par MichelAnge, et décorés par Raphaël. On devoit montrer qu'il n'y a rien de plus divin que sa morale; rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte on devoit dire qu'elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l'écrivain, et des moules parfaits à l'artiste ; qu'il n'y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine: enfin il falloit appeler tous les enchantements de l'imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avoit armés.

Ici le lecteur voit notre ouvrage. Les autres genres d'apologies sont épuisés; et peut-être seroient-ils inutiles aujourd'hui. Qui est-ce qui liroit maintenant un ouvrage de théologie? quelques hommes pieux qui n'ont pas besoin d'être convaincus, quelques vrais chrétiens déja persuadés. Mais n'y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour purement humain? Et pourquoi? Notre religion craint-elle la lumière? Une grande preuve de sa céleste origine, c'est qu'elle souffre l'examen le plus sévère et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu'on nous fasse éternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu'on n'en découvre la fausseté? Le christianisme sera-t-il moins vrai quand il paroîtra plus beau? Bannissons une frayeur pusillanime; par excès de religion, ne laissons pas la religion

périr. Nous ne sommes plus dans le temps où il étoit bon de dire: Croyez, et n'examinez pas ; on examinera malgré nous; et notre silence timide, en augmentant le triomphe des incrédules, diminuera le nombre des fidèles.

Il est temps qu'on sache enfin à quoi se réduisent ces reproches d'absurdité, de grossièreté, de petitesse, qu'on fait tous les jours au christianisme; il est temps de montrer que, loin de rapetisser la pensée, il se prête merveilleusement aux élans de l'ame, et peut enchanter l'esprit aussi divinement que les dieux de Virgile et d'Homère. Nos raisons auront du moins cet avantage qu'elles seront à la portée de tout le monde, et qu'il ne faudra qu'un bon sens pour en juger. On néglige peut-être un peu trop, dans les ouvrages de ce genre, de parler la langue de ses lecteurs: il faut être docteur avec le docteur, et poëte avec le poëte. Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à revenir à lui, et ce n'est pas toujours par les sentiers rudes et sublimes de la montagne que la brebis égarée retourne au bercail.

Nous osons croire que cette manière d'envisager le christianisme présente des rapports peu connus: sublime par l'antiquité de ses souvenirs, qui remontent au berceau du monde, ineffable dans ses mystères, adorable dans ses sacrements, intéressant dans son histoire, céleste dans sa morale, riche et charmant dans ses pompes, il réclame toutes les sortes de tableaux. Voulez-vous le suivre dans la poésie? le Tasse, Milton, Corneille, Racine, Voltaire, vous retracent ses miracles. Dans les belles-lettres, l'éloquence, l'histoire, la philosophie? que n'ont point fait, par son inspiration, Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Bacon, Pascal, Euler, Newton, Leibnitz! Dans les arts? que de chefs-d'œuvre ! Si vous l'examinez dans son culte, que de choses ne vous disent point et ses vieilles églises gothiques, et ses prières admirables, et ses superbes cérémonies! Parmi son clergé, voyez tous ces hommes qui vous ont transmis la langue et les ouvrages de Rome et de la Grèce, tous ces solitaires de la Thébaïde, tous ces lieux de refuge pour les infortunés, tous ces missionnaires à la Chine, au Canada, au Paraguay, sans oublier les ordres militaires, d'où va naître la chevalerie! Mœurs de nos aïeux, peinture des anciens jours, poésie, romans même, choses secrètes de la vie, nous avons tout fait servir à notre cause. Nous demandons.des sourires au berceau, et des pleurs à la tombe tantôt, avec le moine maronite, nous habitons les sommets du Carmel et du Liban; tantôt, avec la fille de la Cha

rité, nous veillons au lit du malade : ici deux époux américains nous appellent au fond de leurs déserts: là nous entendons gémir la vierge dans les solitudes du cloître : Homère vient se placer auprès de Milton, Virgile à côté du Tasse: les ruines de Memphis et d'Athènes contrastent avec les ruines des monuments chrétiens, les tombeaux d'Ossian avec nos cimetières de campagne; à Saint-Denis nous visitons la cendre des rois; et, quand notre sujet nous force de parler du dogme de l'existence de Dieu, nous cherchons seulement nos preuves dans les merveilles de la nature; enfin nous essayons de frapper au cœur de l'incrédule de toutes les manières; mais nous n'osons nous flatter de posséder cette verge miraculeuse de la religion, qui fait jaillir du rocher les sources d'eau vive.

Quatre parties, divisées chacune en six livres, composent notre ouvrage. La première traite des dogmes et de la doctrine. La seconde et la troisième renferment la poétique du christianisme, ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts.

La quatrième contient le culte, c'est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l'Église et tout ce qui regarde le clergé séculier et régulier.

Au reste, nous avons souvent rapproché les dogmes et la doctrine des autres cultes, des dogmes, de la doctrine et du culte évangéliques pour satisfaire toutes les classes de lecteurs, nous avons aussi touché de temps en temps la partie historique et mystique de la religion. Maintenant que le lecteur connoît le plan général de l'ouvrage, entrons dans l'examen des Dogmes et de la Doctrine; et, afin de passer aux mystères chrétiens, commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses.

CHAPITRE II.

De la nature du Mystère.

IL n'est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. Les sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément la pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse, sont pleins de secrets. On diroit que les cœurs qui s'aiment s'entendent à demi-mot, et qu'ils ne sont que comme entr'ouverts. L'innocence, à son tour, qui n'est qu'une sainte ignorance, n'est-elle pas le plus ineffable des mystères? L'enfance n'est si heureuse que parcequ'elle ne sait rien, la

vieillesse si misérable que parcequ'elle sait tout: heureusement pour elle, quand les mystères de la vie finissent, ceux de la mort commencent.

S'il en est ainsi des sentiments, il en est ainsi des vertus : les plus angéliques sont celles qui, découlant immédiatement de Dieu, telles que la charité, aiment à se cacher aux regards, comme leur source.

En passant aux rapports de l'esprit, nous trouvons que les plaisirs de la pensée sont aussi des secrets. Le secret est d'une nature si divine, que les premiers hommes de l'Asie ne parloient que par symboles. A quelle science revient-on sans cesse? à celle qui laisse toujours quelque chose à deviner, et qui fixe nos regards sur une perspective infinie. Si nous nous égarons dans le désert, une sorte d'instinct nous fait éviter les plaines où l'on voit tout d'un coup d'œil; nous allons chercher ces forêts, berceau de la religion, ces forêts dont l'ombre, les bruits et le silence sont remplis de prodiges, ces solitudes où les corbeaux et les abeilles nourrissoient les premiers Pères de l'Église, et où ces saints hommes goûtoient tant de délices, qu'ils s'écrioient : « Seigneur, «. c'est assez; je mourrai de douceur, si vous ne modérez ma joie! Enfin, on ne s'arrête pas au pied d'un monument moderne dont l'origine est connue; mais que dans une île déserte, au milieu de l'Océan, on trouve tout à coup une statue de bronze, dont le bras déployé montre les régions où le soleil se couche, et dont la base soit chargée d'hieroglyphes, et rongée par la mer et le temps, quelle source de méditations pour le voyageur! Tout est caché, tout est inconnu dans l'univers. L'homme lui-même n'est-il pas un étrange mystère? D'où part l'éclair que nous appelons existence, et dans quelle nuit va-t-il s'éteindre? L'Éternel a placé la Naissance et la Mort, sous la forme de deux fantômes voilés, aux deux bouts de notre carrière : l'un produit l'inconcevable moment de notre vie, que l'autre s'empresse de dévorer.

Il n'est donc point étonnant, d'après le penchant de l'homme aux mystères, que les religions de tous les peuples aient eu leurs choses impénétrables. Les Selles étudioient les paroles prodigieuses des colombes de Dodone; l'Inde, la Perse, l'Éthiopie, la Scythie, les Gaules, la Scandinavie, avoient leurs cavernes, leurs montagnes saintes, leurs chênes sacrés, où le brachmane, le mage, le gymnosophiste, le druide, prononçoient l'oracle inexplicable des immortels.

A Dieu ne plaise que nous voulions comparer ces mystères aux

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