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Τὸν σὺ πρώην κτεῖνας αμυνόμενον περὶ πάτρης :

il ajoute alors le simple mot Hector, Exropa. Il est remarquable que ce nom isolé n'est pas même compris dans la période poétique; il est rejeté au commencement d'un vers où il coupe la mesure, surprend l'esprit et l'oreille, forme un sens complet; il ne tient en rien à ce qui suit :

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Ainsi le fils de Pélée se souvient de sa vengeance, avant de se rappeler son ennemi. Si Priam eût d'abord nommé Hector, Achille eût songé à Patrocle; mais ce n'est plus Hector qu'on lui présente, c'est un cadavre déchiré, ce sont de misérables restes livrés aux chiens et aux vautours: encore ne les lui montre-t-on qu'avec une excuse: il combattoit pour la patrie, áμvvóμevov пεрi пάτρas. L'oгgueil d'Achille est satisfait d'avoir triomphé d'un héros qui seul défendoit ses frères et les murs de Troie.

Enfin Priam, après avoir parlé des hommes au fils de Thétis, lui rappelle les justes dieux, et il le ramène une dernière fois au souvenir de Pélée. Le trait qui termine la prière du monarque d'Ilion est du plus haut sublime dans le genre pathétique.

CHAPITRE V.

Suite du Père. Lusignan.

Nous trouverons dans Zaïre un père à opposer à Priam. A la vérité, les deux scènes ne se peuvent comparer, ni pour la composition, ni pour la force du dessin, ni pour la beauté de la poésie; mais le triomphe du christianisme n'en sera que plus grand, puisque lui seul, par le charme de ses souvenirs, peut lutter contre tout le génie d'Homère. Voltaire lui-même ne se défend pas d'avoir cherché son succès dans la puissance de ce charme, puisqu'il écrit, en parlant de Zaïre: «Je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne semble avoir de plus pathétique et de plus intéressant1. » Un antique Croisé, chargé de malheur et de gloire, le vieux Lusignan, resté fidèle à sa religion au fond des cachots, supplie une jeune fille amoureuse d'écouter la voix du Dieu de ses pères : scène merveilleuse, dont le ressort gît tout entier dans la morale évangélique, et dans les sentiments chrétiens :

Œuvres complètes de Voltaire, tome 78, Corresp. gen., lett. 37, p. 119. Édit. 1783.

Mon Dieu! j'ai combattu soixante ans pour ta gloire;
J'ai vu tomber ton temple, et périr ta mémoire ;
Dans un cachot affreux abandonné vingt ans,
Mes larmes t'imploroient pour mes tristes enfants:
Et lorsque ma famille est par toi réunie,

Quand je trouve une fille, elle est ton ennemie !

Je suis bien malheureux ! - C'est ton père, c'est moi,
C'est ma seule prison qui t'a ravi ta foi....

Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,

Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines:
C'est le sang de vingt rois, tous chrétieus comme moi;
C'est le sang des héros, défenseurs de ma loi,
C'est le sang des martyrs. - O fille encor trop chère !
Connois-tu ton destin? Sais-tu quelle est ta mère?
Sais-tu bien qu'à l'instant que son flanc mit au jour.
Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour,
Je la vis massacrer par la main forcenée,

Par la main des brigands à qui tu t'es donnée ?
Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,
T'ouvrent leurs bras sanglants, tendus du haut des cieux.
Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes,
Pour toi, pour l'univers, est mort en ces lieux mêmes,
En ces lieux où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux où son sang te parle par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres :
Tout annonce le Dieu qu'ont vengé tes ancêtres.
Tourne tes yeux : sa tombe est près de ce palais;
C'est ici la montagne où, lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l'impie;
C'est là que de sa tombe il rappela sa vie.

Tu ne saurois marcher dans cet auguste lieu;

Tu n'y peux faire un pas sans y trouver ton Dieu;
Et tu n'y peux rester sans renier ton père....

Une religion qui fournit de pareilles beautés à son ennemi mériteroit pourtant d'être entendue avant d'être condamnée. L'antiquité ne présente rien de cet intérêt, parcequ'elle n'avoit pas un pareil culte. Le polythéisme, ne s'opposant point aux passions, ne pouvoit amener ces combats intérieurs de l'ame, si communs sous la loi évangélique, et d'où naissent les situations les plus touchantes. Le caractère pathétique du christianisme accroît encore puissamment le charme de la tragédie de Zaïre. Si Lusignan ne rappeloit à sa fille que des dieux heureux, les banquets et les joies de l'Olympe, cela seroit d'un foible intérêt pour elle, et ne formeroit qu'un dur contre-sens avec les tendres émotions que le poëte cherche à exciter. Mais les malheurs de Lusignan, mais son sang, mais ses souffrances se mêlent aux malheurs, au sang et aux souf

frances de Jésus-Christ. Zaïre pourroit-elle renier son Rédempteur au lieu même où il s'est sacrifié pour elle? La cause d'un père et celle d'un Dieu se confondent; les vieux ans de Lusignan, les tourments des martyrs, deviennent une partie même de l'autorité de la religion: la Montagne et le Tombeau crient; ici tout est tragique : les lieux, l'homme et la Divinité.

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Vox in Rama audita est, dit Jérémie, ploratus et ululatus multus, Rachel plorans filios suos, et noluit consolari, quia non sunt. «Une voix a été entendue sur la montagne, avec des pleurs et beaucoup de gémissements: c'est Rachel pleurant ses fils, et elle n'a pas voulu être consolée, parcequ'ils ne sont plus. » Comme ce quia non suni est beau ! Une religion qui a consacré un pareil mot connoît bien le cœur maternel.

Le culte de la Vierge et l'amour de Jésus-Christ pour les enfants prouvent assez que l'esprit du christianisme a une tendre sympathie avec le génie des mères. Ici nous proposons d'ouvrir un nouveau sentier à la critique; nous chercherons dans les sentiments d'une mère païenne, peinte par un auteur moderne, les traits chrétiens que cet auteur a pu répandre dans son tableau, sans s'en apercevoir lui-même. Pour démontrer l'influence d'une institution morale ou religieuse sur le cœur de l'homme, il n'est pas nécessaire que l'exemple rapporté soit pris à la racine même de cette institution; il suffit qu'il en décèle le génie : c'est ainsi que l'Élysée, dans le Télémaque, est visiblement un paradis chrétien.

Or, les sentiments les plus touchants de l'Andromaque de Racine émanent pour la plupart d'un poëte chrétien. L'Andromaque de l'Iliade est plus épouse que mère; celle d'Euripide a un caractère à la fois rampant et ambitieux, qui détruit le caractère maternel; celle de Virgile est tendre et triste, mais c'est moins encore la mère que l'épouse: la veuve d'Hector ne dit pas : Astyanax ubi est, mais: Hector ubi est.

L'Andromaque de Racine est plus sensible, plus intéressante que l'Andromaque antique. Ce vers si simple et si aimable :

Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui,

est le mot d'une femme chrétienne: cela n'est point dans le goût

Cap. XXXI, v. 15.

» Nous avons suivi le latin de l'Évangile de saint Matthieu (Cap. x1, v. 18). Nous ne

des Grecs, et encore moins des Romains. L'Andromaque d'Homère gémit sur les malheurs futurs d'Astyanax, mais elle songe à peine à lui dans le présent; la mère, sous notre culte, plus tendre, sans être moins prévoyante, oublie quelquefois ses chagrins, en donnant un baiser à son fils. Les anciens n'arrêtoient pas longtemps les yeux sur l'enfance; il semble qu'ils trouvoient quelque chose de trop naïf dans le langage du berceau. Il n'y a que le Dieu de l'Évangile qui ait osé nommer sans rougir les petits enfants (parvuli)', et qui les ait offerts en exemple aux hommes.

« Et accipiens puerum, statuit eum in medio eorum : quem cum complexus esset, ait illis :

« Quisquis unum ex hujusmodi pueris receperit in nomine meo me recipit. »

Et ayant pris un petit enfant, il l'assit au milieu d'eux, et l'ayant embrassé, il leur dit :

Quiconque reçoit en mon nom un petit enfant me reçoit ».

Lorsque la veuve d'Hector dit à Céphise, dans Racine:

Qu'il ait de ses aïeux un souvenir modeste;

Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste :

qui ne connoît la chrétienne? C'est le deposuit potentes de sede. L'antiquité ne parle pas de la sorte, car elle n'imite que les sentiments naturels; or, les sentiments exprimés dans ces vers de Racine ne sont point purement dans la nature; ils contredisent au contraire la voix du cœur. Hector ne conseille point à son fils d'avoir de ses aïeux un souvenir modeste; en élevant Astyanax vers le ciel,. il s'écrie:

Ζεῦ, ἄλλοι τε θεοὶ, δότε δὴ καὶ τόνδε γενεσθαι,
Παῖδ ̓ ἐμὸν, ὡς καὶ ἐγώ περ' ἀριπρεπέα Τρώεσσιν,
ὧδε βίγν τ' ἀγαθὸν, καὶ ἰλίου ἶφι ἀνάσσειν.

Καὶ ποτέ τὶς εἴπῃσι, πατρὸς δ' ὅγε πολλὸν ἀμείνων,

Εκ πολέμου ἀνιόντα, etc. 3

«O Jupiter, et vous tous dieux de l'Olympe, que mon fils règne comme moi sur Ilion! faites qu'il obtienne l'empire entre les guerriers; qu'en le voyant revenir chargé des dépouilles de l'ennemi, on s'écrie: Celui-ci est encore plus vaillant que son père!»

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voyons pas pourquoi Sacy a traduit Rama par Rama, une ville. Rama hébreu (d'où le mot pádaμvos des Grecs) se dit d'une branche d'arbre, d'un bras de mer, d'une chaîne de montagnes. Ce dernier sens est celui de l'hébreu, et la Vulgate de dit dans Jérémie: vox in excelso.

* Matth., C. XVIH, v. 5. - a Marc, c. 1x, v. 35, 36. - 3 Iliad. lib. VI, v. 476.

Énée dit à Ascagne:

Et te, animo repetentem exempla tuorum,

Et pater Æneas, et avunculus excitet Hector.

A la vérité, l'Andromaque moderne s'exprime à peu près comme Virgile sur les aïeux d'Astyanax. Mais après ce vers :

elle ajoute :

Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté,

Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été.

Or, de tels préceptes sont directement opposés au cri de l'orgueil: on y voit la nature corrigée, la nature plus belle, la nature évangélique. Cette humilité que le christianisme a répandue dans les sentiments, et qui a changé pour nous le rapport des passions, comme nous le dirons bientôt, perce à travers tout le rôle de la moderne Andromaque. Quand la veuve d'Hector, dans l'Iliade, se représente la destinée qui attend son fils, la peinture qu'elle fait de la future misère d'Astyanax a quelque chose de bas et dé honteux; l'humilité dans notre religion est bien loin d'avoir un pareil langage: elle est aussi noble qu'elle est touchante. Le chrétien se soumet aux conditions les plus dures de la vie : mais on sent qu'il ne cède que par un principe de vertu; qu'il ne s'abaisse que sous la main de Dieu, et non sous celle des hommes ; il conserve sa dignité dans les fers fidèle à son maître sans lâcheté, il méprise des chaînes qu'il ne doit porter qu'un moment, et dont la mort viendra bientôt le délivrer; il n'estime les choses de la vie que comme des songes, et supporte sa condition sans se plaindre, parceque la liberté et la servitude, la prospérité et le malheur, le diadème et le bonnet de l'esclave, sont peu différents à ses yeux.

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VOLTAIRE va nous fournir encore le modèle d'un autre caractère chrétien, le caractère du fils. Ce n'est ni le docile Télémaque avec Ulysse, ni le fougueux Achille avec Pélée : c'est un jeune homme passionné, dont la religion combat et subjuguë les penchants.

Alzire, malgré le peu de vraisemblance des mœurs, est une tragédie fort attachante; on y plane au milieu de ces régions de la morale chrétienne, qui, s'élevant au-dessus de la morale vulgaire, est d'elle-même une divine poésie. La paix qui règne dans l'ame 1 Æn. lib. x11, v. 439, 440.

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