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QUATRIÈME MÉDITATION.

LES LIMITES DE LA SCIENCE.

Un moraliste éminent, à la fois théologien et philosophe, et très-versé dans les sciences naturelles, le docteur Chalmers, professeur à l'université d'Édimbourg et correspondant de l'Institut de France, a écrit, dans son ouvrage sur la Théologie naturelle, un chapitre intitulé : De la connaissance partielle et limitée qu'a l'homme

des choses divines. J'en traduis les premières

pages.

« La vraie philosophie moderne, dit-il, ne manifeste jamais plus clairement son caractère fondamental que lorsqu'elle touche à la limite qui sépare le connu de l'inconnu. C'est là qu'elle apparaît sous un double aspect pleine de déférence et de respect pour toutes les découvertes de l'expérience en dedans de cette limite, peu favorable et méfiante envers toutes les spéculations ingénieuses ou plausibles qui appartiennent à la région idéale, au delà de cette limite. J'appelle à mon aide une langue supérieure à la nôtre en brièveté expressive, et je dis que l'office de la vraie philosophie est indagare plutôt que divinare1. Ses œuvres sont des copies, non des créations. Elle peut découvrir un système dans la nature, non pas en inventer un. Elle commence par l'observation de faits spéciaux, et si ces faits par

1. Chercher plutôt que deviner.

viennent à s'organiser en système, ce n'est qu'à la suite d'observations plus étendues. Dans son travail pour construire un système, la vraie philosophie ne fait point d'excursion hors du territoire de la nature actuelle, car ce sont les phénomènes actuels de la nature qui forment les premiers matériaux de la science, et ce sont les rapports actuels de ces phénomènes qui forment le lien, le ciment auquel les constructions de la science moderne doivent leur solidité et leur durée. C'est là ce qui distingue essentiellement la philosophie de notre temps de la philosophie des temps anciens; celle-ci était surtout inventive; la nôtre est surtout descriptive; son travail descriptif s'applique aux rapports similaires des choses aussi bien qu'à leurs traits particuliers, et c'est à l'aide de ces rapports, mais seulement de ces rapports observés en fait, que la science moderne arrive souvent à une harmonie plus magnifique et plus glorieuse que les plus brillants

tableaux créés jadis par l'imagination des théoriciens.

« C'est l'un des caractères intellectuels de cette philosophie qu'elle unit la force de l'âge mûr à la modestie de l'enfance. Elle sacrifie l'idéal à l'actuel, et quelque brillante ou charmante que puisse être une hypothèse, si, dans l'histoire réelle de la nature, un seul phénomène s'y oppose, l'hypothèse est de droit et expressément abandonnée. Pour certains esprits, cet abandon peut être aussi douloureux que de se faire couper la main droite ou arracher l'œil droit; néanmoins, si l'on est fidèle au grand principe de l'école de Bacon, on accepte cette douleur. Pour les disciples de cette école, une preuve solide pèse davantage que mille conjectures plausibles, et la fermeté avec laquelle ils repoussent les spéculations de l'imagination n'est égalée que par la docilité avec laquelle ils se soumettent aux leçons de l'expérience.

« Le même principe qui dirige une philosophie saine pour tout ce qui est placé dans la sphère de l'observation humaine, lui inspire, pour tout ce qui est au delà de cette sphère, une complète et patiente modestie. Si quelque lumière nouvelle se répand sur la région où n'atteignait pas l'œil de l'observateur, on peut tenir pour certain que, de tous les hommes, les disciples. de Bacon et de Newton seront ceux qui porteront le plus de respect à ces révélations inattendues; leur esprit est sans préoccupation comme sans préjugé, et la fermeté de leur confiance dans les faits bien établis de la terra cognita est en parfaite harmonie avec leur humble réserve sur toutes les conceptions plus ou moins plausibles qui s'adressent à la terra incognita.

<< Comme il arrive toujours quand on se dévoue, en s'oubliant soi-même, à la cause de la vérité et de la vertu, ce modeste désintéressement intellectuel de la philosophie baconnienne a

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