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d'y lire votre excellente dissertation sur la Comédie ancienne et moderne. J'en puis juger par le morceau que j'ai lu sur le Comique larmoyant.

La noblesse et l'élégance du style, une critique saillante et polie s'y joignent à la solidité des réflexions; tout m'y paraît fondé sur les grands principes, sur la raison même et la nature.

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Méfions-nous de l'architecture moderne; toute brillante qu'elle est, ses fondemens sont ruineux: ils ne semblent point faits pour résister au temps. Eh ne les voyons-nous pas s'écrouler chaque jour sous la main qui les construit? Oui, Monsieur, j'avoue sans rougir que je suis tout aussi gothique que vous; je tiens au vieux goût de nos bons ayeux; et je préfère hautement le vrai comique des Aristophane, des Plaute, des Térence, et surtout des Molière, aux romans dialogués, aux dolentes rapsodies, au comique élégiaque des larmoyans Nivelle, à ce genre hermaphrodite dont on ne peut fixer la nature, et qui n'est qu'un monstre introduit au Parnasse.

J'ai l'honneur d'être, etc.

LE BRUN.

LETTRE XLI.

DE DE BELLOY A LE BRUN.

A Pétersbourg, le 25 avril (6 mai) 1760.

Vous êtes un ingrat, mon cher ami; je n'ajoute pas, vous le fûtes toujours; car je mentirais j'ai eu trop de preuves de votre amitié. Elle se néglige furieusement aujourd'hui. Je veux bien croire que vous réconciliez l'Hymen avec l'Amour; mais ces deux divinités ne sympathisent-elles pas de tous temps avec l'Amitié? En vérité, je vous ai connu bien paresseux; mais jamais pour écrire à vos amis. Je me persuade que quelques accidens ont égaré vos lettres; car j'ai reçu depuis plus d'un mois des réponses à celles que j'avais envoyées en même temps que ma dernière, et depuis deux mois à celles parties avec ma première. Je vous laisse le choix de l'excuse, pourvu que vous n'ayez plus besoin d'en chercher pour la suite. Au reste, si vous m'aviez écrit, n'oubliez pas de me marquer sur nouveaux frais tout

* C'est l'auteur du Siége de Calais, alors en Russie, à qui j'avais fait l'éloge de madame Le B***, et la peinture de mon bonheur. (Note écrite de la main de Le Brun.)

ce que vos lettres contenaient d'essentiel. Je vous crois heureux et content. Je m'en repose sur l'amour d'avoir fait un bon choix pour vous. Vous n'êtes pas de ces aveugles qui lui donnent le bandeau de leurs propres yeux. Il est toujours trèsclairvoyant dans une âme éclairée. Hélas! mon cher ami, qu'on est fortuné d'être tranquille dans ses foyers auprès de ce qu'on aime! Qu'on est heureux d'aimer et de trouver autour de soi des objets dignes de l'être! C'est bien jeûner d'amour que d'être réduit au plaisir. Je pensais à vous, je vous enviais, lorsque je fis avant-hier ces petits, vers, ouvrage du coeur et non du génie.

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Folâtre yolupté, déesse d'Épicure,

J'ai donc quitté pour toi le tendre sentiment!
Pourquoi vous séparer, enfans de la nature !
Vous y perdez également.

Toi pourtant plus que lui. Du moins son charme dure;
Le tien s'éclipse en un moment.

Tu caresses nos sens, il enchante notre âme;
Tu n'es qu'une étincelle, Amour est une flâme.
Hélas! dans tes dégoûts il peut me ranimer;
Je suis las de plaisirs, et j'ai besoin d'aimer.

Vous ne sentez pas ce besoin là; vous n'êtes pas privé de ce qui pourrait le soulager. Plaignezmoi; avec toutes les envies du monde, je ne puis rien trouver qui attache, qui occupe même mon cœur une seule minute. Quel vuide dans notre

existence; quel néant dans notre être, quand nous ne vivons que pour un moment de volupté, et que l'ennui s'empare, avec le dégoût, de tout le reste de notre temps! On se console quelquefois en se souvenant de ses amis; mais, un instant après, on pleure de s'en voir séparé. Aussi je maudis cent fois par jour ceux qui m'ont fait quitter Paris. Autrefois, la dissipation m'étourdissait; aujourd'hui, avec plus d'occasions de m'y livrer, elle m'est insipide, au point que je la fuis avec une sorte d'horreur. Quand pourrai-je vous revoir, et me délasser avec vous des travaux de l'esprit, par les plaisirs du cœur? Vous me direz à cela, travaillez : cela est bien aisé à dire. L'esprit est nonchalant, et ne produit rien quand il ne prévoit pas de délassemens agréables au bout de ses peines. Je travaille aussi, mais presque sans guide, ou du moins en regrettant des guides plus éclairés. Je m'aperçois que le style plaintif de cette lettre vous paraîtra bien éloigné de celui de mon petit conte. N'oubliez pas de m'en redire votre avis. Je vous en enverrais un nouveau aujourd'hui, si le paquet qui renferme cette lettre n'était déjà bien gros.

Je crois Titus sous presse. J'ai prié M. Gaillard de vous en remettre un exemplaire ou plus, si vous le voulez. Je crois vous avoir donné son adresse, rue Poupée, près la rue Haute-Feuille.

Je ne vous répéterai rien sur les changemens que j'y ai faits; car, si vous n'aviez pas encore reçu ma dernière lettre, elle deviendrait inutile aujourd'hui.

Adieu, mon cher ami, faites agréer mes respects à Madame votre épouse. Que ne vous êtesvous marié un mois plutôt ! je ne serais pas réduit à lui parler en inconnu. Je ne vous parle pas de M. Buirette, j'ai de ses nouvelles d'ailleurs; marquez-moi cependant ce que vous en pourrez savoir, et vous m'obligerez. C'est ce dévot, ce cocu de F*** qui l'a presque forcé à sa dernière démarche. En vérité ces Jansénistes sont de vrais diables; et celui-ci est des plus haut-encornés. Adieu, encore une fois; je vous aime de tout mon cœur, et vous embrasse de même.

DORMONT DE BELLOY.

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