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Baltique. Je gémissais autant que vous, peut-être, de voir un amant des Muses invoquer la flâme du génie dans les glaçons du Nord, et promener Melpomene en traîneau. Un air plus tempéré, un climat plus doux, sont, je crois, plus favorables aux gens de lettres; mais je ne sais pas si la basse envie, l'impudence effrénée et la crasse ignorance des Zoïles ne leur seraient point en effet plus contraires que le voisinage même des Lapons.

J'ose croire, pour l'honneur de la Russie, qu'elle n'est point infectée de misérables Wasps. Tous ces frélons littéraires sont à mon gré la dernière espèce de tous les insectes; et je me flatte que ces chenilles venimeuses mourront bientôt de leur propre venin sur leurs feuilles immondes. Je ne croirais pas avoir rendu un léger service à la littérature française, que d'avoir contribué à leur extinction, log

Vous vous doutez bien, mon cher ami, que c'est à l'aide du sarcasme et de l'ironie socratique, que j'ai fait lire douze cents exemplaires d'une brochure absolument littéraire, et qui, en déve, loppant les vrais principes de notre art, trop et trop peu connus, contrarie sans cesse ce gros public, si ignare et si décisif. La Wasprie a eu la plus grande vogue en dépit des passages grecs et ; latins, nos jolies femmes l'ont dévorée. Elles ont

senti cependant que j'annulais leur prétendue

souveraineté sur les ouvrages d'esprit, et que je les forçais de n'en point juger, non d'après le caprice et la mode, mais d'après ces règles premières, dont la nature est la source immortelle.

Croyez, mon cher ami, que votre suffrage m'est plus cher qu'aucun de ceux dont on a bien voulu m'honorer ici; et, quelqu'heureuse révo÷ lution que ma brochure ait faite en faveur du goût, peut-être., qu'avec vos conseils, je l'eusse vengé plus efficacement encore; c'est parce que votre lettre m'a paru parfaitement écrite et pleine du goût le plus pur, c'est parce qu'elle expose ces grands principes en faveur desquels je combattais, que j'ai pris sur moi de la faire imprimer.

J'oubliais de vous dire qu'un je ne sais quel abbé de La Porte, qu'un Fréron même dédaigne, est venu rompre une lance contre moi, en faveur du beau cul de Manon. Il assure au public que c'est une très-belle chose à voir, et que M. Darnaud de Baculard est un grand homme, parce qu'il est son ami; qu'enfin douter que M. de Baculard et le cul qu'il chante soient également incomparables, c'est être libelliste et criminel au premier chef. Il ajoute qu'au reste il n'entrera point dans les discussions littéraires, parce que cela le mènerait trop loin. Voilà à peu près ce que l'abbé de La Porte a fait imprimer, et ce que per

sonne n'a lu, excepté moi, parce que personne ne lit l'abbé de La Porte. Cependant le petit homme n'avait point à se plaindre. Vous avez vu avec quels égards je l'ai traité. N'ai-je point dit que, s'il n'avait ni esprit, ni goût, ni intelligence quelconque en éloquence et en poésie, au moins étaitil poli, honnête et décent? Croiriez-vous que cet éloge si flatteur l'a plus désolé que Fréron même n'a pu l'être de la Wasprie entière? Il a fait, en société avec le grand Bacul, un petit libelle contre moi, pour me prouver que j'avais fait un libelle. Le public les a rebernés, et j'ai fait rendre au petit La Porte (le Zoilet) cette épigramme honnête :

Quelle rumeur ! que de sots en furie !
Quel trouble émeut les fanges d'Hélicon!
Wasp s'égosille, et La Porte s'écrie :
C'est un libelle horrible, affreux, impié,
Fait contre nous en faveur d'Apollon.
Eh! qu'a donc fait l'auteur de la Wasprie?
Ce qu'il a fait une œuvre du démon,
Qui ne doit pas demeurer impunie.
Jusqu'où l'auteur pousse la calomnie!
Il m'a nommé décent, honnéte et bon.

Croiriez-vous que des quatre bernés dans la Wasprie, c'est peut-être le benêt Darnaud sur qui le ridicule est le mieux resté? On convient que je l'ai rendu le Cotin du siècle; ce qu'il y a de plaisant, c'est que personne ne se doutait qu'il

fit des vers aussi ridicules: on ne lisait point Darnaud, et Fréron le louait; c'est ainsi que ce Baculard Scudéri était parveņu tacitement au douzième échelon de la renommée, lorsque je l'ai replongé dans la fange. Il faut bien de temps en temps nettoyer le Parnasse. Courage, mon cher ami, cultivez Apollon, et conservez cette fierté noble et ce goût vigoureux qui distinguait les Racine, les Boileau, les Rousseau, des Cotin, des Pradon, des Gacon. Je n'aspire qu'au moment de vous embrasser et de vous présenter à madame Le Brun, qui se connaît en vrais amis. J'oubliais de vous dire que c'est mon frère Granville qui a fait l'Ane littéraire, journal qu'il poursuit sous ce titre, le Goût vengé. La feuille qui va paraître est excellente; je vous prie de l'annoncer où vous êtes, et de lui ménager des souscripteurs.

LE BRUN.

LETTRE XLIV.

DE L'ABBÉ MANGENOT *.

MON CHER VOISIN,

15 mars 1761.

Je n'estime votre voisinage que parce qu'il nous met à portée, vous de corriger mes amusemens, moi d'admirer vos productions; aussi brûlé-je de vous voir, sitôt que j'ai quelque chose à vous communiquer. Voici une épigramme que l'indignation m'a suggérée contre le brutal Fréron, c'est-à-dire, contre le proxénète de la Muse de Vadé.

Le dieu du goût, piqué contre un hebdomadaire,
Conduit par la famine au bosquet d'Hélicon,
Dit un jour à Momus : J'ai condamné Fréron
Pour avoir excusé les vers d'un polisson,

Et dénigré d'Aquin, Le Brun, même Voltaire.

J'ai l'honneur d'être, avec une parfaite considération, Votre, etc. L'ABBÉ MANGENOT.

* Poète aimable qui a laissé peu d'ouvrages. Sa pièce la plus connue est une Églogue qui commence par ce vers :

Au déclin d'un beau jour, une jeune bergère, etc.

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