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LETTRE XLV.

A M. DE CHASSIRON,

Secrétaire de l'Académie de la Rochelle.

1763.

MONSIEUR,

Je peux donc jouir enfin du plaisir de répondre à votre dernière lettre. Elle fut rendue chez moi dans un moment de trouble causé par une rechute fort dangereuse, que madame Le Brun éprouva après une fièvre maligne, dont elle a pensé mourir. Je ne pus savoir autre chose de sa femme-de-chambre qui la reçut dans mon absence, et la jeta parmi d'autres papiers, sinon qu'elle avait cru voir le timbre de la Rochelle. Je n'entrerais pas, avec tout autre, dans ce léger détail, mais je craindrais trop qu'on me soupçonnât, je ne dis pas d'oubli, mais même de paresse, à l'égard d'une personne dont j'estime infiniment l'esprit et le cœur.

Ce que vous me marquez, Monsieur, de la trame sourde de la Société vis-à-vis de moi, ne m'étonne nullement; mais ce qui vous étonnera.

peut-être, c'est que je la dois au service assez éclatant que j'ai rendu à la nièce du grand Corneille. Si vous connaissiez moins les hommes vous seriez étonné de la foule d'ennemis que m'a faits dans le temps cet acte de bienfaisance. Il est vrai que la haine des sots et l'envie des méchans est presque un nouveau suffrage à ajouter à ceux des gens illustres et honnêtes que j'eus le bonheur de me concilier. C'est la Société * qui alors déchaîna contre moi son frère aboyeur (le misérable Fréron), qui s'en est trouvé assez mal depuis. Le pauvre diable est ici dans le discrédit le plus général, surtout depuis la chute des bons Pères. Pour moi, je n'en veux ni au père M. ni, etc.; car il est flatteur d'avoir pour ses ennemis ceux de sa patrie et de son roi.

Je suis très-sensible à la réception que l'on a faite aux deux morceaux que j'avais eu l'honneur de vous envoyer. J'aime Tibulle de prédilection, et j'avoue, qu'après Virgile, je ne connais aucun poète latin qui ait tourné un vers avec autant de naturel et de grâce. Si vous l'aimez autant que moi, je me ferai un plaisir de vous envoyer traduction de sa deuxième élégie: Adde merum vinoque novos compesce dolores. C'est une de ses plus charmantes.

la

* On voit clairement ici que c'est de la société des Jésuites qu'il s'agit. (Note de l'Éditeur.)

J'ai relu avec un nouveau plaisir votre excellente dissertation sur la Comédie antique et moderne, dans le nouveau recueil dont l'Académie a bien voulu me faire présent. Je vous supplie de remercier tous ces messieurs de ma part, et de vouloir bien les assurer que je ne suis pas un de ceux qui s'intéressent le moins à la rapidité de ses progrès. Elle a plus d'un. membre qui valent mieux certainement que MM. Trublet, Moncrif, etc. Je pense que vous ne connaissez rien de plus ennuyeux que les prétendus recueils de

notre Académie de Paris. Permettez-moi de me réjouir avec vous de la désertion de ces messieurs, puisqu'ils pouvaient ralentir entre nous un commerce qui m'est aussi utile que flatteur. Les gens de goût sont si rares, que j'irais les chercher au bout du monde; c'est à ce titre que je vous prie d'être bien persuadé de la haute estime et de l'attachement respectueux avec lequel je suis,

Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

LE BRUN.

P. S. Je me charge de faire insérer par M. de La Place, quand il vous plaira, la lettre que vous

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voulez bien m'adresser, en réponse au sentiment de M. Marmontel. Il n'a pas assez distingué le pathétique du larmoyant. Le premier convient à la comédie, mais le second en doit être exclu. Je vous invite fort à soutenir un sentiment qui est celui de tous les gens de goût, et qui certainement sera développé avec autant de politesse que d'esprit. J'attendais cette lettre avec le plus grand empressement, et je suis désolé qu'un malheureux hasard m'en ait privé si long-temps. Un journal intitulé la Renommée littéraire, a fait avec beaucoup de goût un relevé de la poétique de Marmontel, et je me rappelle qu'il est absolument de votre avis.

Je vous envoie deux odes que peut-être vous ne connaissez pas. Je vous prie de m'en dire votre sentiment avec la franchise de l'amitié. Celle aux Français était fort délicate à traiter. M. de Voltaire daigna, à ce sujet, m'honorer du beau nom de Tyrthée; mais je crois, entre nous, qu'en des circonstances si malheureuses, l'éloquence de Tyrthée eût produit peu d'effet. Pour la deuxième, le sujet en était fort aride. Qu'est-ce, pour la poésie, qu'une Paix qui n'est point précédée par des victoires? Il m'a fallu prendre une route nouvelle vous en jugerez.

LETTRE XLVI.

A M. ***

Auteur du Journal de ***.

Vous m'avez engagé, mon cher ami, à vous envoyer, pour vos feuilles du mois de janvier, quelque chose de saillant. Je ne puis, je crois, mieux faire, que de vous communiquer promptement mon épître intitulée le Coup de pate, ou l'anti-Minette. C'est une réponse très-juste et trèsnécessaire à la très-injuste, très-odieuse et trèsinutile attaque de M. Colardeau et de sa Minette. Ce M. Col*** a dit, à qui l'a voulu entendre, que c'était une personne du Temple qu'il avait désignée dans le commencement de son épître; car, ses amis même, ne savaient à quel propos il avait prodigué les injures les plus atroces, les mots de naturel infáme, de complots, de cabales, de ligues, de langues envenimées, de pédans insipides, de sales rapsodies, de fiel, de noir venin, d'imbécile, d'impudent, de sucs impurs, de bile maudite, de basse effronterie, de poisons; enfin de crime. Quoi! votre humeur ose aller jusqu'au crime!

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