aurez un petit doigt de marge de moins. Peu vous importe sans doute, puisque vous n'êtes point bibliomane. Le Quintilien est de cinq livres ; ils m'ont paru l'un et l'autre très-bon marché, vu la beauté et bonté des éditions. J'ai bien trouvé le Cicéron en deux volumes de Robert Étienne, mais on ne me l'a pas voulu céder à moins d'un louis, et deux jours après il n'y était plus. Je vous conseille de vous contenter du Lambin. Si je le trouve à mon retour, je vous en ferai part. Adieu, Monsieur et cher ami; je vous embrasse de tout mon cœur. J'espère bien aller vendanger à Argenteuil, et porter la petite corbeille de madame Fauconnier, que je vous prie d'assurer de mes respects. En vérité, ce terme-là est bien froid pour une jolie femme; j'y ai regret. LE BRUN. Je ne serai à Soucarrière avec les Brancas que jusqu'à dimanche; nous en repartons tous pour Egligni, où sera mon adresse, chez M. le comte de Turpin. LETTRE LX. A M. LE COMTE DE BRANCAS. i A Paris, ce 1 août 1767. POURQUOI faut-il, monsieur le Comte, que nos plaisirs soient presque toujours la source de nos regrets? Je vois qu'il est dangereux de se faire une société trop aimable; la privation en devient cruelle. Je ne saurais vous peindre combien Paris m'a semblé ennuyeux depuis votre départ. Il est si rare de trouver des âmes qui prêtent toujours un nouveau charme à l'amitié, qui pensent et s'expriment avec une certaine délicatesse, J'ai voulu me consoler avec Tibulle, votre rival en sentiment, mais lui-même s'écrie : Ferreus est, eheu ! quisquis in urbe manet! Il faut un cœur d'airain pour habiter les villes ! C'est là qu'à force d'art, de préjugés et de décence, on s'est rendu le bonheur si difficile; mais on le respire avec l'air pur et libre de la campagne, Ce rapide moment, qu'on appelle la vie, C'est presque le fixer que d'en savoir jouir; Couronner son printemps des roses de Cythère, Le premier des trésors, la douce liberté ; Unir à l'ombre du mystère La décence et la volupté; Goûter les arts sans vain système, Donner à la Nature et son cœur et ses yeux, Jouir sans abuser, ne vouloir rien d'extrême, Préférer l'indigent timide et vertueux Au crime orné du diadème. Nuls flatteurs; des amis, cœurs vrais et généreux, Aimer! vivre sans cesse auprès de ce qu'on aime ! charmante que Et le vôtre, grâce à la compagne vous vous êtes donnée, et qui vous assure le bonheur partout où vous existerez avec elle. Daignez, M. le Comte, me rappeler à son souvenir, dont je connais tout le prix. Donnez-moi des nouvelles de deux santés qui me sont infiniment chères. Consolez-moi du moins par vos plaisirs, de ceux dont votre absence me prive. Je me fais une image très-riante et très-pastorale de vos promenades à la fraîcheur des bois. C'est pourtant dommage de s'éveiller si matin pour n'aller boire que de l'eau. Je serais même en droit de bouder un peu votre nymphe de Forges, puisqu'elle me sépare si long-temps de vous. Autour de l'urne salutaire De ta Nayade, errante aux pieds de ce coteau, La tendresse y gémit sous un régime austère ; Que des jeux languissans, des plaisirs purs et froids; Et se plaint fort qu'en cet asile, Le sommeil est trop calme, et les lits trop étroits. Peut-être, M. le Comte, en dépit de Galien, aurez-vous commis quelqu'heureuse et féconde imprudence; c'est un crime dont l'amour n'aura pas gémi. Quoi qu'il en soit, je desire fort que la nayade de Forges soit le fleuve d'oubli pour les mais non pour l'amitié, qui est le plus maux, |