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LETTRE VII.

DE M. DE VOLTAIRE A M. CORNEILLE.

Au château de Ferney en Bourgogne, 25 décembre 1760.

MADEMOISELLE Votre fille, Monsieur, me paraît digne de son nom par ses sentimens. Ma nièce, madame Denis, en prend soin comme de sa fille. Nous lui trouvons de très-bonnes qualités et point de défauts; c'est une grande consolation pour moi, dans ma vieillesse, de pouvoir un peu contribuer à son éducation; nous ne négligerons rien. Elle remplit tous ses devoirs de chrétienne; elle témoigne la plus forte envie d'apprendre tout ce qui convient au nom qu'elle porte. Tous ceux qui la voyent en sont très-satisfaits; elle est gaie et décente, douce, laborieuse; on ne peut être mieux née. Je vous félicite, Monsieur, de l'avoir pour fille, et je vous remercie de me l'avoir donnée. Je suis persuadé qu'un jour tous ceux qui lui sont attachés par le sang, ou qui s'intéressent à sa famille, verront que, si elle méritait un meilleur sort, elle n'aura pas à se plaindre de celui qu'elle aura eu dans ma maison. D'autres auraient pu lui procurer une destinée plus brillante; mais

personne n'aurait eu plus d'attention pour elle, plus de respect pour son nom, et plus de considération pour sa personne. Ma nièce se joint à moi, Monsieur, pour vous assurer de nos sentimens et de nos soins.

J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentimens que je vous dois,

Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant

serviteur,

VOLTAIRE.

LETTRE VIII.

DE M. DE VOLTAIRE A M. LE BRUN.

Au château de Ferney, pays de Gex,

2. janvier 1760.

Vous m'avez accoutumé, Monsieur, à oser joindre mon nom à celui de Corneille; mais ce n'est que quand il s'agit de sa petite-fille. Nous espérons beaucoup d'elle, ma nièce et moi. Nous prenons soin de toutes les parties de son éducation, jusqu'à ce qu'il nous arrive un maître digne de l'instruire. Elle apprend l'orthographe; nous la faisons écrire; vous voyez qu'elle forme bien ses lettres *, et que ses lignes ne sont point en diago

* En tête de cette lettre était écrit ce peu de lignes de la main de mademoiselle Corneille : « J'ai trop éprouvé vos bontés, Monsieur, pour que je ne vous témoigne pas ma reconnaissance au commencement de l'année, et toutes les années de ma vie. Je vous supplie, Monsieur, d'ajouter à toutes vos bontés, celle de vouloir bien présenter mes remercimens à M. Titon, à mademoiselle Villegenon, à M. du Mollard, et à tous ceux qui ont bien voulu s'intéresser à mon

sort >>.

CORNEILLE.

nale comme celles de quelques-unes de nos pa risiennes. Elle lit avec nous à des heures réglées; et nous ne lui laissons jamais ignorer la signification des mots. Après la lecture, nous parlons de ce qu'elle a lu; et nous lui ainsi, apprenons insensiblement, un peu d'Histoire. Tout cela se fait gaîment et sans la moindre apparence de leçon. J'espère que l'ombre du grand Corneille ne sera pas mécontente. Vous avez si bien fait parler cette ombre, Monsieur, que je vous dois compte de tous ces petits détails. Si mademoiselle Corneille remercie M. Titon et tous ceux qui ont pris intérêt à elle, souffrez que je les remercie aussi. J'espère que je leur devrai une des grandes consolations de ma vieillesse, celle d'avoir contribué à l'éducation de la cousine de Chimène, de Cornélie et de Camille. Il faut que je vous dise encore qu'elle remplit exactement tous les devoirs de la religion, et que nos curés et nos évêques sont très-contents de la manière dont on se gouverne dans mes terres. Les Bertier, les Guion, les Chaumeix en seront peut-être fâchés; mais je ne peux qu'y faire. Les philosophes servent Dieu et le Roi, quoi que ces Messieurs en disent. Nous ne sommes, à la vérité, ni Jansénistes, ni Molinistes, ni Frondeurs. Nous nous contentons d'être Français et Catholiques tout uniment : cela doit paraître bien horrible à l'auteur des Nouvelles Ec

clésiastiques. Quant à ce malheureux Fréron, dont vous daignez me parler, ce n'est qu'un brigand que la justice a mis au For-l'Évêque, et un Marsias, qu'Apollon doit écorcher. Je vois assez, par vos vers et par votre prose, combien vous devez mépriser tous ces gredins, qui sont l'opprobre de la littérature. Je vous estime autant que je les dédaigne. Votre distinction, entre le vrai public et le vulgaire, est bien d'un homme qui mérite les suffrages du public. Daignez y joindre le mien, et compter sur la plus sincère estime, j'ose dire sur l'amitié de votre obéissant serviteur,

VOLTAIRE.

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