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LETTRE LXI.

AU MÊME.

De Nauphles, ce 24.

JE E vous prie de croire, M. le Comte, que si je n'étais pas mort ici d'une fluxion de poitrine, assurément je vous aurais donné plutôt de mes nouvelles. Si vous trouvez cette excuse assez bonne, vous me permettrez de vous donner la recette aussi prompte que charmante d'une mort tout-à-fait pastorale. Dansez, comme j'ai fait, depuis sept heures du soir jusqu'à neuf, sur un tapis de gazon plus brillant et plus verd que l'émeraude; respirez, en dansant, la délicieuse fraîcheur des bois et des prairies, tandis que la douce rosée s'élève et retombe sur la terre en perles liquides, et vous éprouverez comme moi que ce qui ferait en vers la plus jolie existence. du monde, vous donne en prose un rhume abominable. Un amant des neuf Soeurs, des bois et des Dryades, pouvait-il, en conscience, ne pas donner dans ce piége? Voilà ce qui a pensé, M. le Comte, m'envoyer très-poétiquement rejoindre les mânes galans d'Ovide et de Tibulle sur les bords du Léthé. Quelle eût été votre surprise, si

vous eussiez reçu, par la petite poste de Vitri, une lettre de moi, datée des Champs-Élysées? car ni vous ħi madame de Brancas, n'êtes point de ces personnes qu'on oublie parce qu'on est mort. Dussé-je quelque jour passer l'affreuse barque,

Mon cœur, en dépit de la Parque,

Verra ton souvenir triompher du trépas.
Eh! le fleuve d'oubli peut-il rien sur une âme
Où l'amitié, d'un trait de flâme,

A gravé le nom de Brancas.

Et puis ces trois vieilles sorcières,

Ces éternelles filandières,

Par qui nos jours sont dévidés là-bas,
En vérité ne valent pas

Cette parfileuse adorable

Qui fixe dans Vitri les Grâces sur ses pas.
Cher Comte, ah! si jamais l'amitié favorable,
Aux Parques enlevait le fil de mes destins,
Pour le confier à ses mains,

Heureux de vivre alors et par elle, et pour elle,
Ne devant mon bonheur qu'à ses soins précieux;
Non, je n'envîrais point aux Dieux

L'éclat de leur gloire immortelle.

1

Le père et la mère de la nouvelle Psyché voudront-ils bien lui exprimer toute ma reconnaissance, pour les charmantes petites larmes dont elle a bien voulu accompagner nos adieux, et lui dire de ma part ces vers-ci :

Quoi, ma Psyché, quand à peine les cieux

Ont accordé deux printemps à tes charmes

De l'amitié déjà les douces larmes

D'un tendre éclat font briller tes beaux yeux!
Je me doutais que, semblable à ta mère,
Dès le berceau tu saurais nous charmer;
Mais j'ignorais que pour être plus chère,
Tu sus déjà qu'il faut savoir aimer.

Je me flatte au moins que je suis le premier chansonnier de la Psyché de vingt-un mois; il y aurait du malheur, si quelqu'un m'avait gagné de vitesse.

J'écris tout ceci, M. le Comte, currente calamo. La poste est prête à partir; la fête a réussi audelà de tout ce que je pouvais croire. Certain air a paru charmant, et bien fait pour les paroles. Le détail et les copies des couplets au prochain courrier.

LE BRUN.

LETTRE LXII.

AU MÊME.

VOTRE avis, M. le Comte, ne peut être meilleur.

Je garderai donc les bords du Léthé pour ma dernière promenade.

Quel droit ces bords auraient-ils de me plaire ?
Je n'y verrais ni Psyché, ni sa mère,

ni vous, puisque le caprice du vers me force à ne le dire qu'en prose. Je n'y recevrais point de très-jolis billets datés de Vitri; je n'aurais plus l'espoir de m'égarer à l'ombre des forêts de poupon *.

Aux champs où le Léthé roule son onde obscure,
J'aurais regretté, je vous jure,

Ces bosquets de Vitri, ce fertile coteau

Où semblent croître à l'aventure

Mille Dryades au berceau,

Doux asile, où toujours quelque Zéphyr murmure,
En caressant quelque jeune arbrisseau;

Où l'Aurore s'éveille et plus fraîche et plus pure;

* Joli levrier de la comtesse de Brancas. Nous appellions en badinant les pépinières de Vitri les forêts de poupon.

Où l'œil est toujours égayé

Par le spectacle varié

De ces dédales de verdure,

Où se promène l'amitié

Dans les routes de la Nature.

Vous voyez, M. le Comte, que j'ai toujours Vitri et ses aimables habitans au bout de ma lor. gnette; cependant je ne puis espérer de m'y rendre avant le 18 ou le 20. La fête de la maîtresse de céans arrive le 15 d'août, et vous savez que toute fête a ses entours. Celle de Victor était charmante par le mystère et l'à propos. Vous savez que les plaisirs les plus vifs sont ceux qui sont mêlés de surprise. Jugez de la sienne, lorsqu'à dix heures du soir, arrivant de Paris, il entra au son des instrumens au milieu de vingt portiques de verdure qui occupaient une enfilade de cent quarante pieds, illuminée de toutes parts. Vingt boutiques ornées avec un goût infini, remplissaient l'enfilade, d'un et d'autre côté; chacune avait sa marchande masquée et en habit de bal. Toutes firent un présent analogue à ce qu'elles étaient supposées vendre. Le bon Victor ne savait auquel entendre; les larmes lui vinrent aux yeux de surprise, de joie et de reconnaissance; et cependant la claquette lui apportait des lettres et des complimens de toutes parts. Un grand souper et un bal après, voilà au juste, M. le Comte, tout

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