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LETTRE LXIV.

A M. PALISSOT.

Paris, ce 15 janvier 1769.

ΜΑ A paresse serait trop coupable, mon cher Palissot, si elle m'empêchait de répondre à une lettre pleine de grâces et d'amitié. Il n'en fallait pas moins, je vous jure, pour me consoler de tous les ennuis d'étiquette que ce triste mois nous ramène. Que vous êtes heureux de respirer l'air pur de Tivoli, et de goûter les charmes de l'étude au sein de la nature, tandis que dans ces momens de convulsions périodiques, l'ennui fait ses visites, l'indifférence caresse, et la haine embrasse! Tibulle avait bien raison de dire :

Il faut un cœur d'airain pour habiter les villes !

Ne doutez donc pas que je n'aille, dès que le printemps me le permettra, philosopher avec les Muses sur votre belle terrasse, ou dans ces allées où vos arbres umbram hospitalem consociare amant. L'amitié y donne rendez-vous à la nature.

Je suis très-impatient de voir les quarante articles ajoutés au Catalogue. Vous aurez fait l'his

toire du Génie et de la Sottise, et ce sera l'ouvrage du Goût. Rien n'était plus nécessaire dans l'état misérable d'anarchie où est notre Parnasse. L'un soutient que c'est le comble de l'art de faire larmoyer dans une comédie, et que le bon Molière excite tout au plus une gaîté bourgeoise, qui fait pitié au bon ton; l'autre, que Jean Racine ne sait guère que faire pleurer, et qu'il n'a point connu, comme Lemière ou de Belloi, l'essence du tragique. Un autre, et c'est l'ami Voltaire, assure que tous les genres sont épuisés, etc. etc. que Pindare était un fou, Homère un bavard, Aristote un radoteur, etc.; mais que M. Did*** étincèle de génie, que M. Thomas regorge d'éloquence, et que M. Marm*** a fait, dans le goût de ses contes, une belle poétique à la mode, pleine de sens, et un beau roman, sans intérêt et sans raison, qui est le sublime de la morale. Trente autres soutiennent encore, comme bien savez, que tous ces grands hommes si vantés du beau siècle de Louis XIV, Pascal, Descartes, Bossuet, Fenelon, Racine, Despréaux, Molière, La Bruyère, Corneille, etc. n'étaient point capables d'écrire deux pages de l'Encyclopédie, telle qu'elle existe, pas même Pascal, l'article logique ou raison; Bossuet, l'article génie ou éloquence; Fenelon ou Fléchier, l'article élégance ou rhétorique; Racine ou Corneille, l'article tragédie; ni Molière, l'article

comédie, etc. etc. En effet, comment eussent-ils traité tous ces articles aussi bien que les auteurs d'Acajou, d'Egyptus et des Contes moraux, du petit chien Pompée, et des Bijoux indiscrets, etc. etc.? Si bien que dans tout ce charivari, le pauvre Apollon ne sait auquel entendre....

Chacun y parle haut,

Et c'est tout justement la cour du roi Petaut.

Le fleuve Permesse est si agité, si tourmenté de vents contraires, que l'écume et la fange est uniquement ce qui surnage. Oh! la bonne intention, que de vouloir que chaque chose en son lieu soit remise! Mais ne doutez pas que les mal intentionnés n'appellent ce calme même, un nouvel orage qui va troubler tout l'horizon littéraire. Continuez cependant; car il est beau, il est courageux de faire d'avance l'office du temps et de la postérité. Grâces aux sots titrés et protecteurs, le génie qui n'en cherche pas, est presque toujours livré aux bêtes de ces messieurs; car chacun d'eux a sa ménagerie plus ou moins complète.

Mais tout s'embellit, dira-t-on, par les contrastes; Hypermnestre embellit Alzire; Pradon est à présent le fard de Racine; à la bonne heure, je lui pardonne fort toutes ses mauvaises tragédies, que je ne lirai pas; mais je redemande à lui,

à sa cabale, aux Bouillons, aux Nevers, je leur redemande avec douleur, avec indignation, tous les chefs-d'œuvre dont Racine eût enrichi notre théâtre, après l'inimitable Phèdre.

Quoi! la scène française est en proie à Pradon!

Et Racine vit! voilà l'horreur des cabales! voilà le crime de l'envie; elle ne peut rendre médiocre le génie qu'elle attaque, mais elle le dégoûte d'acheter la gloire aux dépens du bonheur.

J'en étais là de ma lettre il y a trois semaines, lorsqu'il me prit un bel enthousiasme contre la sottise et la fourberie, en faveur du génie et de la vérité. Je quittai aussitôt la prose pour les vers; et j'avais déjà fort avancé une espèce d'épître sur un ton vif, pressant, mais sérieux, quand il me vint une idée qui me sourit infiniment; c'était de quitter le ton grave pour l'ironie et l'enjouement on gagne presque toujours à l'échange. Je crus qu'il serait plaisant d'adresser une épître louangeuse à mon siècle brillant et raisonneur, où tous les éloges seraient des critiques, et toutes les critiques des éloges; cela sauve l'amertume de la satire, et la fadeur du panégyrique; c'est une source de traits et de tours ingénieux. Je finis même par congédier en bonne forme ce dur et inflexible bon sens, qui m'empêcherait d'admirer tout ce qui fait crier au miracle, la mode et le

bon ton. C'est bien assez qu'il ait corrompu Horace, Virgile, Boileau, Racine, Molière et Rousseau; il pourrait, dis-je, nous gâter encore.

Gardons-nous d'en être entichés ;

Adieu te dis, bon sens funeste.....
Génie et goût sont grands péchés.

Dussent tes lois être estimables,
Ton règne n'est plus de saison :
Quand il est tant de fous aimables,

Il n'est plus temps d'avoir raison *.

Il me semble qu'après une énumération bien complète de ces fous à la mode en tous genres, il était difficile de terminer avec adresse. Voici quatre vers sur ce pauvre bon sens, qui sont dans le cours de l'ouvrage, et qui ont fait un grand plaisir au comte de Br*** :

Le bon sens n'est pas du bon ton;

Il est si roturier, si triste!

Il n'a pas su se faire un nom;

Il n'est pas Encyclopédiste ! etc.

Je vous en dirais davantage, mais le papier me manque.

Je suis, etc.

LE BRUN.

* Cette épître n'a jamais été achevée; elle n'était même qu'en projet, et l'on n'en a retrouvé aucun fragment. (Note de l'Éditeur.)

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