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LETTRE LXV.

DE M. PALISSOT.

A Argenteuil, ce 17 février 1769.

VOUS ous me donnez bien de l'impatience, mon cher Le Brun, de voir arriver le printemps, puisque c'est à cette saison que vous fixez votre pèlerinage à Argenteuil. Savez-vous, mon cher ami, que nous avons un besoin réel de nous retrouver ensemble? que les progrès étonnans de la sottise viennent de l'union des sots? Ces messieurs ressemblent à Titus; ils ne perdent, tout au plus, qu'un jour, et nous, nous en perdons un trèsgrand nombre. Faut-il être surpris qu'ils demeurent les maîtres d'un champ de bataille que nous leur abandonnons? Ils se reproduisent partout; ils ne laissent pas échapper la plus petite occasion de se faire valoir. Ils assiégent toutes les maisons; ils s'emparent de tous les genres de la littérature qu'ils profanent; et nous, mon ami, nous vivons isolés, et nous nous contentons de gémir ou de plaisanter dans nos retraites. Ce n'en est pas assez, mon cher Le Brun; il faut leur faire la

guerre, et les battre par leurs propres armes. Il faut opposer l'adresse à l'artifice, le bruit au bruit; et le peu de partisans qui peuvent rester au bon goût, enhardis par notre exemple, lèveront la tête, et du moins il y aura deux partis. Cette réflexion a pris tant d'empire sur moi, mon cher Le Brun, qu'enfin, à commencer de l'année prochaine, je suis fermement résolu d'aller passer les hivers à Paris. Je vous assure que le plaisir de vous y voir m'y détermine plus que tout autre motif. En attendant, je suis charmé de votre mouvement d'humeur contre le détestable goût du siècle. Vous êtes au point où je souhaitais que vous fussiez. Tout est réellement perdu, si nous ne venons pas à bout d'opposer autel à autel, et de nous rapprocher tous pour la cause commune. Votre projet d'épître m'enchante; mais vous êtes bien avare des dons que vous pouvez faire, puisque vous ne m'envoyez qu'une demi-douzaine de vers, qui me donnent le plus vif empressement de voir les autres. Réparez, je vous prie, le tort que vous me faites, et envoyez-moi au plutôt l'épître entière. Peut-être mériterais-je de lire vos vers avant le comte de B***. Ne vous y trompez pas, vous n'en ferez jamais un partisan du goût. Il est faible, pusillanime, flottant; en un mot, il n'a aucune énergie dans le caractère.

Ce ne sont pas là les protecteurs dont la bonne cause á besoin.

Je me fais un plaisir de vous montrer ma liste augmentée de plus de cinquante articles, et corrigée en entier. Vous serez plus content des articles Quinault et La Motte : je les ai absolument refondus. Vous serez surpris, ou plutôt vous ne le serez pas, de voir une demi-page de la lettre que vous venez de m'écrire à l'article Perrault. Je suis on ne peut pas plus glorieux de me rencontrer si précisément avec vous. Ce sont, en vérité, presque les mêmes termes. Que j'ai eu de plaisir à faire l'article Bayle et celui de Fontenelle! J'ose croire, mon ami, qu'en effet j'aurai rendu quelque service au bon goût; mais pourquoi n'étiez-vous pas auprès de moi lorsque j'ai entrepris cet ouvrage? le tout en serait meilleur. Voilà l'inconvénient de vivre trop séparés les uns des autres.

Adieu, mon ami; hâtez, s'il est possible, le printemps. Mes respects à madame Le Brun.

PALISSOT.

Domptez quelquefois votre paresse en faveur d'un véritable ami. Cette paresse, cette douce incurie, est encore une source d'avantages pour nos ennemis. Ils ont pour eux l'union, l'activité,

le manége, l'ignorance, la hardiesse; ma foi, ils seront invincibles, si nous n'employons pas contre eux quelques-unes de leurs ressources. Le temps est venu où le génie et le goût ont besoin d'aide.

LETTRE LXVI.

A M. LE COMTE DE TURPIN.

N'ALLEZ

A Marseille, des bords de la mer, ce 8 avril 1769.

ALLEZ pas croire, monsieur le Comte, que votre ami le voyageur ressemble au rat du bon La Fontaine :

Sitôt qu'il fut hors de sa case,

Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins et voici le Caucase :

La moindre taupinée était mont à ses yeux.

Trève de raillerie, s'il vous plaît; il siérait bien, vraiment, de persiffler un apprenti cosmopolite qui, dans une route de deux cents lieues, a coudoyé familièrement vingt montagnes par jour, escaladé cent rochers en précipices, dont les échantillons pendent sur la tête fort agréablement, passé trente torrens à gué, traversé une fois l'Isère, deux fois le Rhône dans toute sa fureur, et la Durance, plus orageuse encore; enfin, qui a parcouru, plus rapidement que l'hyppogriphe d'Arioste, et l'Ile de France, et la Champagne, et la Bourgogne, et le Lyonnais, et le

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