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qui ne soit point futile; les portraits de quelques auteurs, que j'y ai rapidement crayonnés et comme sans projet, ne vous y déplairont peut-être pas. Dites-moi ce que vous pensez franchement des détails et de l'ensemble. Je suis sûr du moins que votre amitié pour l'auteur vous fera prendre quelqu'intérêt à l'ouvrage. Comme vous lisez bien et très-bien, lisez-la pour moi à madame Fauconnier et à Sivri, c'est-à-dire, aux Grâces et à l'Ermite du Pinde. Je n'oublie point mon épitre au Siècle, où il y aura des traits peutêtre un peu vifs; mais la gaze légère de la plaisanterie couvrira la pièce d'un bout à l'autre, puisque tout y sera contre-vérité. Mais vousmême que faites-vous, où en est la Dunciade et son Dictionnaire, non moins utile qu'elle. Quand tout cela doit-il paraître? Voulez-vous que l'animal aux ailes inverses meure sans admirer la dé

licieuse estampe du pauvre Fréron, par qui l'on báille en France. A propos de ce pauvre diable, il m'est tombé du haut d'une armoire une de ses imbéciles feuilles il y a quelques jours. Les vers et les rats n'avaient épargné que deux ou trois feuillets; c'était justement cette lettre si ridicule, si impudente, si bête, où il se fait dire par lui-même, à propos du baume de Lelièvre : Vous faites en quelque sorte, Monsieur, l'office de la Renommée. Comme elle vous distribuez l'es

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time, le bláme, la considération, le mépris et le ridicule, mais ce qu'elle ne fait pas, vous ne jugez que par vos yeux. Aussi la postérité n'appellera-t-elle point de vos jugemens, etc. Quoique je me sois déjà moqué de ce délire, j'avoue qu'en la relisant il me prit un rire fou, qui augmenta encore lorsque je me rappelai que le même pauvre diable m'avait jadis proposé la réputation la plus brillante, par exemple, celle de MM. Sabatier et Pompignan, si je voulais m'attacher à son char. De ce perfide souvenir naquit l'épigramme suivante, où l'on a trouvé quelque sel :

De Satanas suivant le digne exemple,
Et n'ayant lors ses ailes à l'envers,
Wasp m'enleva sur la cîme d'un temple;
C'était celui du Dieu brillant des vers.
Vois-tu, dit-il, ce temple de Mémoire;
J'y règne seul; partant si tu veux croire
A mon génie, et baiser mon ergot,
De bel esprit je te doue aussitôt,

Et ceins ton front des lauriers de la gloire.

Je suis tenté, dis-je au fils d'Astarot.

Je n'ai qu'un doute.... Eh! qu'est-il?... Si tu donnes
Le bel esprit, pourquoi n'es-tu qu'un sot?
Et si lauriers amplement tu moissonnes,
Pourquoi n'as-tu que chardons pour ton lot?

Que pensez-vous qu'ait répondu mon pauvre diable? Ce que je sais, c'est que son père jadis resta court et sot dans une pareille circonstance.

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En voici une autre dont la fin est mignarde et doucereuse, en vrai style de D***; aussi est-elle en sa faveur. Je crois que vous ne lui refuserez pas, ainsi que moi, la préférence, étant, comme il le dit, le pacte des Grâces et des Amours.

Au fond de certains cabinets,

Vieille et laide à leur gré font d'indignes outrages
A maints petits ouvrages.

Ce fut le sort des Poinsinets.

Cher Dorffat, tu crains peu ces profanes disgrâces:
Tes beaux vers essuîront toujours

Le derrière enchanté des Grâces,

Et le joli cul des Amours.

N. B. On doit grasseyer en lisant ces derniers vers.

Voilà, je crois, son privilége exclusif. J'ai malheureusement acheté ses OEuvres; elles me sont tombées des mains d'ennui et de fadeur. Cet homme n'a qu'une corde à sa guittare, et il a la rage d'en jouer sans cesse.

J'aime mieux Robé même et sa burlesque audace,
Que ces vers où Dorat se caresse et nous glace.

Pour connaître toute l'énergie et l'étendue de son talent, avez-vous lu son Régulus? c'est pour ce coup-là que Boileau se fût écrié: Ah! les Prádons que nous avons tant sifflés étaient des soleils. En effet, le vieux Régulus est un chef-d'œuvre de conduite et d'intérêt au prix du moderne. Il

n'est arrivé qu'à Dorat de choisir, de gaîté de coeur, un écueil aussi ́ridicule. Tandis que j'étais en train de feuilleter mon Catulle, voici ce que cette lutte étrange m'a inspiré :

Le vieux Pradon, rimeur que chacun berne,
Gisait couvert d'un éternel mépris;

Le jeune auteur du Régulus moderne
A l'ancien veut disputer le prix.
Oh! de Pradon qui t'a rendu l'émule ?
Mon cher D***, ton drame est ridicule ;
Il te convient d'en demander pardon.
Amende-toi; rends ta défaite utile.
Las! tu vois trop combien est difficile
Même à D***, de remplacer Pradon!

Cette épigramme retombe un peu sur nos tragiques en lisière, dont la plupart ne vont pas à la ceinture de ce grand homme. Je pense, mon cher, que vous serez toujours fort content que tout gaîment on rende justice à qui il appartient. En voilà assez, et trop pour ce soir; un autre jour, d'autres folies. Adieu; santé, liberté et hilarité. Le Comte courait les frontières depuis six semaines. Il faudra que je l'engage à aller dîner un jour à Argenteuil. Serez-vous à Paris cet hiver?

LE BRUN.

LETTRE LXIX.

DE M. PALISSOT.

A Argenteuil, ce 19 novembre 1769.

GLORIA patri et filio et spiritui sancto. Votre Trinité, mon cher Le Brun, ne fera jamais d'hérétiques parmi les gens de goût. J'ai lu et relu votre charmant ouvrage avec le plus grand plaisir. Je l'ai fait partager à toutes les personnes à qui j'en ai fait la lecture, selon l'intention du fondateur, et il ne faut pas moins que de pareils vers pour me réconcilier avec la poésie. Le badinage est du meilleur ton; mais comme vous avez plus d'une corde à votre lyre, vous avez mêlé l'utile à l'agréable, en caractérisant, à vol d'oiseau, neuf ou dix de nos meilleurs écrivains, de manière à mériter vous-même l'éloge que vous donnez à Montagne. Vous avez, comme lui,

Gaîté jointe à bon sens divin;

et c'est ce que n'ont pas nos agréables persiffleurs, qui n'ont, comme vous le dites très-bien, qu'une corde unique à leur guittare. Le dieu du Goût ne pourrait s'empêcher de sourire au portrait

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