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pées avec tant d'insolence? O mon ami, si du moins on pouvait nous appeler les derniers Romains! Le vœu est peut-être téméraire pour moi, qui n'ai fait que les Philosophes et la Dunciade; mais il ne l'est pas pour notre Lucrèce et pour notre Pindare. Adieu, mon cher ami; ne me répondez que par une édition. Quelle impression ne ferait pas votre belle ode sur les Malheurs du monde, dans le moment du second attentat qui vient de se renouveler sur le roi de Portugal! Quel siècle que celui où nous vivons! Heureux ceux qui se consolent, comme vous, avec les Muses, et qui savent mêler aux fiers accens de Pindare le badinage de Catulle. J'ai vu votre épigramme *sur les Prédicateurs; c'est ce qui m'a rappelé Catulle. Adieu encore une fois, mon cher Le Brun; aimez-moi autant que je vous aime.

PALISSOT.

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LETTRE LXX I.

A M. PALISSOT.

Paris, janvier 1770.

UNE édition, et point de réponse, voilà, mon

cher ami, ce que vous exigez de moi. Oui, vous aurez l'une, j'en atteste Pope et son rival! mais mon cœur vous doit l'autre, malgré tous les ennuis d'étiquette, et les sottes processions du jour de l'an. Du monde à recevoir, des visites à rendre, des princes à qui l'on doit une cour; ajoutez-y le retour de madame Le Brun, absente depuis quatre mois, et deux ou trois rhumes qui se relayent pour me lutiner, voilà d'excellentes excuses pour tout autre, mais il n'en est pas pour vous. Eh! comment ne pas répondre à la plus charmante lettre, pleine du sel de la raison, et de cette chaleur de sentiment qui anime, qui embellit tout? Pour les grâces, on la croirait du portefeuille d'Aristophane; pour le goût, Longin, même l'eût applaudie. Ce que vous dites de ces indignes rivaux qui nous dégoûtent de la carrière des arts, est une grande et triste vérité. Le bel honneur de faire une comédie mieux que Beau

marchais, une tragédie mieux que Lemierre, un poëme mieux que Darnaud, une ode mieux que Sabatier, une épître mieux que Dorat, etc. etc.! Demit honorem emulus Ajaci. C'est ce sentiment qui avait enfin porté Racine à laisser la scène française en proie à Pradon. Voilà, s'il est permis de comparer ceux qui détruisent le monde à ceux qui l'éclairent, voilà ce qui fit dédaigner au jeune Alexandre les jeux olympiques. Aurai-je, disait-il, des rois pour rivaux? Il ne fallait pas moins que, les victoires de Miltiade pour troubler le sommeil de Thémistocle. C'est au Cid peut-être que nous devons Andromaque; mais un Guillaume Tell n'a pu faire naître qu'un Bayard.

Il en faut convenir, tous nos petits auteurs à succès éphémères, tous nos jolis escrocs de renommée, ont fait presque oublier la véritable gloire. Admirer nos grands hommes est presque un ridicule, les imiter une folie. Le plus mauvais goût est, seul, du meilleur ton. Donnez-moi le sot le plus impitoyable, je veux qu'on lui accorde un esprit supérieur, s'il ose soutenir que Boileau n'est qu'un rimeur froid, un critique injuste et dur; Racine un poète fade et monotone; Molière un comique en charge, et fait pour le peuple; Blaise Pascal un pieux radoteur; Rousseau un écrivain sans grâces, sans invention, sans génie; La Fontaine un bon homme sans finesse; et que

son temps,

le vieux Corneille, assez bon pour sert tout au plus de marchepié à l'illustre M. de Voltaire. S'il ajoute à cela que, malgré la satire, Quinault fut un poète par excellence, Perrault un véritable homme de goût, digne d'être encyclopédiste ; qu'Eugénie et le Fils naturel sont des drames d'un genre plus vrai, plus philosophique, que le Misantrope et le Tartuffe; que le céleste Beverley est la meilleure critique de ce mauvais Joueur de Regnard; qu'il est trop bourgeois de rire à la comédie, trop ennuyeux de pleurer à la tragédie, trop vulgaire d'être philosophe et intelligible; qu'au reste il est indubitable qu'on raisonnait à peine il y a cinquante ans, et qu'on ne s'est même avisé de bien écrire en prose, que depuis ce siècle lumineux, le siècle des chefs→ d'oeuvre! que les discours de Thomas ont, comme on sait, anéanti Bossuet, Duclos éclipsé La Bruyère, et Bélisaire mis Télémaque en poudre; que surtout il n'est ni salut ni bon sens hors l'Encyclopédie. Voilà l'homme du jour, l'homme dont on raffole. Il est à l'unisson de tous les esprits; West l'oracle des Caillettes et des Grands; c'est l'Aristarque des boudoirs et des petits soupers. A ses préceptes divins, s'il daigne joindre l'exemple; s'il esquisse, en se jouant, quelques opéra-comi ques moraux, quelques farces nationales, quel? quès parades philosophiques, les "pensions le

cherchent, l'Académie lui est ouverte; il est dédira-t-on, de ces cervelles étroites qui croyent aux vieux génies, comme on croyait aux revenans.

claré grand homme. Ce n'est point là,

Eh! vous pensez, mon cher ami, qu'il y aurait pour nous gloire et sûreté à jouer un rôle directement contraire, à venger les grands hommes qu'on déshonore, à siffler les sots qu'on déifie, à braver la vogue, à choquer le torrent, à n'être point de notre siècle! Mais fussions-nous Aristarque ou Despréaux, Térence ou Molière, Horace ou Malherbe, quels seraient nos juges, nos arbitres? Fréron! l'Avant-coureur! le Mercure! ou l'Almanach, des Muses! ou les admirateurs de Beverley et de Sancho! N'importe; il est beau de ne point désespérer de la république des lettres. Si nous pouvions exciter une révolution favorable!... Cherchons du moins à mériter qu'on nous appelle les derniers Romains. Que chacun de nous puisse dire comme Sertorius:

Rome n'est plus dans Rome; elle est toute où je suis.

Que notre ami Clément se rende le digne suc cesseur de Boileau; qu'il immole tous nos Cotins sur sa tombe; qu'il soit le feu vengeur échappé de sa cendre. Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor, L'ombre de Molière vous rappelle au théâ

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