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tre. O mon ami! n'entendez-vous pas qu'elle exige de vous d'y sacrifier au ridicule

Ces protégés si bas, ces protecteurs si bêtes?

C'est le drame par excellence; c'est la comédie du siècle. Elle aurait pour elle la vogue et la raison. Qu'un sourire de la vraie Thalie mette en fuite tous nos ennuyeux larmoyeurs. Pour moi, qui aurais voulu ressusciter le beau délire, l'enthousiasme brûlant des Pindares dans notre âge froid et raisonneur; moi, qui ose chanter la Nature dans le joli siècle de l'art, j'ai bien peur d'avoir mal pris mon temps. La plus jolie femme du monde semble pâle auprès de celles qui ont du rouge. Je n'ai point de rouge, et je ne suis point jolie femme.

Je vous parlerai une autre fois des larcins maladroits du petit abbé Delille. Sa traduction est souvent faible et fausse; une lâche facilité; nul génie. Il a surtout pitoyablement rendu le bel épisode d'Aristée. Il y a des contre-sens et des absurdités en mauvais vers. Je vous ai dit que j'espérais mieux de celle de M. Le Franc. Si elle est effectivement bonne, je dirai :

Pour traduire Virgile,

La raison dit Le Franc, et la rime Delille.

Vous aurez lu sans doute le ridicule et difforme

Bayard, et ce Fayel de Darnaud, si pathétiquement imbécile. Si vous me demandez laquelle des deux pièces je choisirais, voici ma réponse :

Qui! moi! choisir de Bayard ou Fayel,
O mes amis ! l'embarras est cruel!
Mon Aristarque en demeure hypocondrė ;
Boileau pourtant m'aiderait à répondre,
Si je savais lequel il eût choisi,

De Pradon ou de Scudéri.

Embrasssez pour moi notre cher François. Il voudra bien , pour cette fois-ci, se contenter de cette réponse. Vous savez combien je l'aime. Il a, ce qui est bien précieux, beaucoup de goût par sentiment; et cet heureux enthousiasme, qui est toujours la preuve d'une belle âme. Quand sa jeune Muse sera moins errante, qu'elle pourra s'attacher à quelqu'ouvrage solide, et qu'elle fera des vers moins facilement, je ne doute point dé ses succès. Ils me seront bien chers.

J'ai lu et chanté les noëls: il y a des couplets qui m'ont paru excellens. Ta passion commença, etc.

LE BRUN.

th

LETTRE LXXII.

A MADAME ***

A Paris, ce 29 septembre 1774.

QU'IL y a loin, Madame, du jargon barbare de la chicane au langage du sentiment, au seul qui soit fait pour vous. La plume qui sut peindre assez ingénument la chapelle de l'Amitié, 'est presqu'embarrassée aujourd'hui pour écrire à la Déesse du petit temple, ou du moins à la mortelle aimable qui la représente le mieux parmi nous. Vous seule m'inspirâtes le petit tableau que je mis alors sur l'autel de l'Amitié; il fallait bien qu'il lui ressemblât, puisque c'était le vôtre.

Tableau divin, groupe charmant,
Où, sous les yeux de l'Innocence,
En caressant la Bienfaisance
L'Amitié rit au Sentiment,

Et sur l'Estime s'appuyant,

Embrasse à jamais la Constance.

Maudits soient les procès, les plaideurs, et Thémis elle-même, s'ils dérobent l'âme à ces douces

images, et s'ils défendent à ma plume de les pein

dre encore.

Cette plume, autrefois consacrée aux neuf Sœurs,
Et qui traçait, d'un si doux caractère,

De l'Amitié les naïves douceurs,

Ou les charmes piquans de son dangereux frère,
Ou de la Gloire enfin la sublime chimère,
Toujours si douce aux nobles cœurs ;
Cette plume, aujourd'hui, par un destin profane,
Loin des sources de l'Hélicon,

Trempée au fiel de la Chicane,

De ce monstre hideux a fait son Apollon:
Elle use à griffonner maint horrible grimoire,
Ce temps, de nos plaisirs rapide destructeur,
Ces jours dus à la gloire

Et surtout au bonheur.

Pour vous, Madame, qui méritez à tant d'égards d'être heureuse, vous jouissez des plaisirs purs de la campagne, et vous en jouissez avec l'Amitié. Les charmes de la Nature et le coeur de mademoiselle d'Hautefort, voilà bien l'image d'un bonheur complet; voilà sans doute de quoi faire oublier à tout autre les tristes habitans de la ville et même l'univers; mais vous êtes si bonne, qu'il ne serait pas impossible que vos plaisirs n'eussent été un peu troublés l'idée des regrets que

par

vous êtes bien sûre d'avoir laissés ici. Non, vous ne doutez pas de l'impatience que M. de Brancas et vos amis auraient de vous y revoir. On m'a fait

la description de vos promenades dans le vaste parc de Champieu. Elles me rappellent, avec un plaisir mêlé de regrets, nos courses champêtres dans les bois charmans de Notre-Dame, et nos promenades philosophiques sur cette belle pelouse des allées de la Jonchère. C'est alors que vous daignâtes apprendre certains vers que vous embellissiez en les récitant.

Charmante fille d'un héros

Qu'aimaient la France et la Victoire,
Mes vers sont dans votre mémoire ;
Ils bravent l'envie et les sots,
Voilà les titres de ma gloire ;
Mais quels titres pour mon bonheur,
Si le respect qui seul me guide,
Si l'amitié tendre et timide

Me donnait place en votre cœur!

Peut-on vous connaître, Madame, et avoir d'autre ambition? C'est avec ces sentimens inviolables et respectueux que j'ai l'honneur d'être,

Madame,

Votre très-humble et très-obéissant

serviteur,

LE BRUN.

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