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LETTRE LXXIII.

A M. PALISSOT.

Février 1777.

VOICI,

OICI, mon cher Palissot, le passage d'Horace

dans son Ode xxvie du 3e livre ad Venerem.

Regina, sublimi flagello

Tange Chloen semel, arrogantem.

Il faut que vous traitiez l'arrogant et imbécile Wasp comme un polisson à la bavette qui,

*

* C'est de Fréron fils qu'il est question dans cette lettre. Le père était mort au mois de mars 1776. M. Palissot inséra, dans le N° 1 du Journal français, 15 janvier 1777, le beau fragment du poëme de la Nature: Les grottes, les coteaux, les bords d'une onde pure, imprimé dans notre édition, tom. II, pag. 30g. Le jeune Fréron, qui faisait alors paraître ses feuilles, arriérées depuis la mort de son père, critiqua ce fragment, année 1776, tom. vII, pag. 241, dans une lettre qu'il supposa lui être écrite par Le Brun même. La critique était aussi sotte que la supposition était malhonnête. Le Brun engage ici M. Palissot à punir Fréron de ce tour d'écolier. On lit en effet, dans le Journal français, N° 4, 28 février 1777, une réponse à cette critique de Fréron ; et dans la partie qui regarde Le Brun, on retrouve les citations et les autorités poétiques qu'il rassemble ici pour la défense de ses vers. (Note de l'Éditeur.)

n'ayant encore ni lu, ni su, ni eu le temps de lire, est ignare par nature et par éducation, et dit, en voulant parler de goût, autant de sottises que de mots. D'après cela, rien de plus naturel que les termes de verges, férule, fouet, et surtout en finissant par le sublimi flagello, n'en déplaise à l'abbé de La Porte. D'ailleurs, vous devez un peu cette correction à la manière dont il vous traite. Tout le monde a trouvé de l'impudence dans l'idée seule de me supposer une lettre. Ainsi je crois encore que c'est le mot propre : le mot de licence ne suffit pas, et retomberait plus sur le censeur qui l'aurait permise, que sur le petit Fréron.

Je crois, mon cher ami, qu'après la briève riposte que vous faites à cinq ou six de ses arrogantes et niaises balourdises, vous vous devez, pour achever de lui donner un démenti formel, de réintégrer le fragment cité par vous dans son premier lustre, en l'honorant d'une épithète contraire à celle du petit Wasp.

Il vous a fait un défi aussi bête qu'impertinent, de lever son scrupule sur l's de vous-mêmes au pluriel, le traitant de barbarisme et de solécismę à la fois. Il y a quinze lignes de triomphe sur cette imbécile remarque; encore une fois, dit-il, en parlant de vous et de Clément, je supplie les admirateurs de lever CE SCRUPULE; car, ajoute-t-il

d'un ton magistral et sûr, mon esprit n'admet

pas

L'orgueilleux barbarisme,

Ni d'un vers ampoulé le pompeux solécisme.

Ainsi, selon ce petit Monsieur, nous voilà tous ignorant l'A B C D de la langue et de la poésie, tandis que l'arrogante Pécore ignore elle seule ce que tout le monde sait. Vous vous devez absolument, pour le confondre sur son propre défi, de lui prouver en quelques lignes que depuis Racan et Malherbe jusqu'à Voltaire, nos poètes ont employé nous-mêmes, vous-mêmes, euxmêmes, avec un s ou sans s, comme cela convenait à leurs vers; que les exemples en sont si fréquens, que c'est moins une licence qu'un usage. Citez, avant tout, le vers si connu de Malherbe, dans l'Ode qui est son chef-d'œuvre sur la prise de la Rochelle :

Les Immortels eux-même en sont persécutés.

Et Malherbe a fait loi pour les libertés poétiques.

Racan, Ségrais, La Fontaine, Corneille, etc. ont tous imité cette licence nécessaire à la précision; et Racine, dont je ne me rappelle pas d'exemples pour le moment, a pris une autre licence; c'est d'ajouter un s au mot même dans

ce vers:

La fortune et la victoire mêmes,

licence beaucoup plus rare que l'autre, qui est prodiguée dans tous nos poètes. Voici une énumération triomphante dans le seul M. de Voltaire, et dans ses plus beaux vers. On ne lui refusera pas d'être poète, et de savoir au moins les élémens de la poésie. Dans sa pièce à M. de Genonville:

Ces mortels endurcis,

Indignes du beau nom, du sacré
du sacré nom d'amis,

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Ou toujours remplis d'eux, ou toujours hors d'eux-méme.... Malheureux dont le cœur ne sait pas comme on aime, etc.

Dans ces beaux vers d'OEdipe, que tout le monde sait par cœur,...,

Tel est souvent le sort des plus justes des rois ;
Tant qu'ils sont sur la terre, on respecte leurs lois :
On porte jusqu'au Ciel leur justice supreme;

Adorés de leur peuple ils sont des dieux eux-même.

I

Dans la tragédie de Mariamne, Hérode lui dit :

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Finissons à la fois ma douleur et la vôtre.

Commençons sur nous-même à régner en ce jour.

On en trouverait deux cents exemples dans Voltaire seul; mais il ne faut pas oublier le plus frappant de tous, puisqu'il est consacré dans le plus correct et le plus poétique de ses ouvrages (la Henriade), chant dixième, vers 113. D'Aumale dit :

En vain l'homme timide implóre un dieu supréme ;
Tranquille au haut des cieux, il nous laisse à nous-même.

Cet exemple est frappant et décisif, et mille autres, car ils sont innombrables dans Chaulieu, Gresset, etc. Que devient donc l'insolent défi que vous faisait l'arrogante petite Pécore, de lever son scrupule? Ah! la bête!

Pour le mot de fragiles amis, qui pourtant ne se cassent point, parce qu'ils ne sont pas

de verre, voici ce qui me tombe sous la main, dans Voltaire, troisième discours:

Eh bien, pauvre affligé, si ce fragile honneur,

L'honneur n'est pas de verre.

Dans la Henriade :

De l'état ébranlé douce et fréle espérance,

L'espérance ne se casse pas comme un verre.

Les œuvres des humains sont fragiles comme eux.

Toutes ne sont pas de verre. Fréron n'appliquerait ce vers-là qu'au faiseur de porcelaine.

Dans le poëme sur la Loi naturelle :

Les lois que nous faisons, fragiles, inconstantes.

Oh! pour le coup, des lois ne sont point de verre! Rousseau a dit :

Notre frele raison, etc.

Enfin il est dans tous les poètes, dans tous les

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