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prosateurs, dans l'acception où je l'emploie; et, si jamais il y a eu chez les hommes quelque chose de fragile, assurément c'est l'amitié. Mais voici dans Massillon, page 145, une phrase bien plus hardie que mon vers. Il parle des vertus humaines formées, dit-il, par les regards publics, elles vont s'éteindre le lendemain; appuyées sur les circonstances, sur les occasions, sur les jugemens des hommes, elles tombent sans cesse avec ces appuis fragiles. Quoi! les jugemens, les occasions, les circonstances mêmes sont des appuis, et sont fragiles! dirait l'ignorante Pécore. Que cela est ridicule!

Dans la Henriade encore, chant septième :

Des humaines vertus récompense fragile.

Une récompense de verre!

Pour l'expression tomber du sommet des grandeurs, qu'on n'a jamais dit avant moi (assure magistralement cet ignare écolier), c'est la première chose que je trouve dans ce sonnet du célèbre Hainaut, que tout le monde sait.

S'élève qui voudra par force, par adresse,
Jusqu'au sommet glissant des grandeurs de la cour.

y a

Voilà bien le sommet des grandeurs, dit il plus de cent ans, et qui ne l'était pas pour la première fois, parce que l'expression et l'idée se

présentent trop naturellement à tout poète qui parle de la cour, et le voilà accompagné de l'épithète glissant, qui justifie le glissant écueil. Tout le monde a dit, le comble, le faîte, le sommet des grandeurs cette métaphore est de nécessité. Je trouve dans Bernis:

Le fatte glissant des grandeurs.

Rousseau a même dit à l'Empereur:

T'affermira sur la cime

Des grandeurs de l'univers.

Le même a dit :

Au fatte des grandeurs.

Voltaire a vingt fois employé la même métaphore. Il a fait plus; il a donné un faite même au pouvoir, dans ce vers de la Henriade, chant sixième :

Où tombent si souvent du fatte du pouvoir

Ces ministres, ces grands qui tonnent sur nos têtes;
Qui vivent à la cour au milieu des tempêtes.

Cet exemple d'expressions plus hasardées que la mienne est décisif contre le petit Sot. Voilà en même temps, tonnent et tempêtes à la cour.

Voici, dans la Henriade encore, une autre image qui a rapport à mon vers aigles, dont le

tonnerre a consumé les ailes. Voltaire dit, en par

lant des conquérans :

La foudre qu'ils portaient à leur tour les écrase.

Il faut convenir que la métaphore est beaucoup moins juste, et que la foudre qui écrase n'est pas heureux; mais c'est la même antithèse qui s'offrira naturellement à tout poète. Il y a dans le grand Rousseau :

Tombe et meurt foudroyé par le même tonnerre
Qu'il avait allumé.

Le même a dit, en parlant du prince Eugène, ministre et général de l'Empereur :

L'aigle de Jupiter, ministre de la foudre,
A cent fois mis en poudre

Ces géans orgueilleux contre le ciel armés.

Vous voyez que

voyez que les généraux et les ministres portent la foudre de nos dieux mortels, et qu'ainsi ils en peuvent être consumés à leur tour; ainsi l'expression de foudres infidèles, loin d'être gigantesque, est riche et naturelle, et il y a une gradation assez frappante dans les trois vers qui complètent l'image.

Ne point citer, plus grand, plus glorieux, plus craint par ses défaites, parce que le mot de craint par ses défaites ayant paru trop fort à Voltaire,

il a mis dans ses défaites. Plus grand par son exil n'en est pas moins l'unique expression que la poésie et le bon sens me permettaient. Dans serait un contre-sens absurde, et supposerait qu'il est encore exilé.

A propos, comment n'y aurait-il qu'un trident? Boileau, par une superbe hardiesse, a osé dire l'un et l'autre Neptune, pour les deux mers. Voilà une mythologie toute nouvelle pour Fréron. Je me rappelle, au sujet de la pitoyable critique sur vous n'êtes plus l'idole, pour les idoles, selon Fréron, ce vers de Voltaire, où parlant de tous les bons rois, il dit :

Par le Dieu bienfaisant dont ils étaient l'image,

pour les images, ce qui est partout dans Boileau, Racine, etc. comme une nécessité, et non comme une licence. Témoin encore ces deux beaux vers de Rousseau :

De la Discorde et de l'Envie
Verront éteindre le flambeau,

pour les flambeaux. (Ode au duc de Bretagne.) Adieu.

LE BRUN.

LETTRE LXXIV.

A M. PALISSOT.

Octobre 1778.

Je suis très-fâché, mon cher Palissot, que le JE sieur Panckouke ne se soit pas prêté à insérer l'Ode à Voltaire dans son Mercure, ne fût-ce que pour le vers la douleur irritant*, qui me semble, plus que jamais, une absurdité, ce qui est bien pis qu'une répétition. La douleur n'irrite point les larmes il faut absolument le silence. J'aurais voulu pouvoir prévenir les trop justes critiques que l'on peut faire sur cette bizarre expression, et que le public qui lit, fût informé que c'est une faute d'impression. D'ailleurs les changemens et les retranchemens étaient trop essentiels, pour que je ne desirasse pas en jouir le plutôt possible. Au défaut du Mercure, ne pourrions-nous pas avoir recours au Journal encyclopédique, et y faire insérer l'Ode, toujours précédée de votre

* Dans la première édition de cette Ode, on avait mis au deuxième vers de la septième strophe :

au lieu de :

La douleur irritant ses larmes inquiètes,

Le silence irritant, etc.

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