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qui est la locution prosaïque et vulgaire. Malherbe, le Dieu de l'Harmonie, ne s'est jamais exprimé autrement; mais ces Messieurs ne lisent ni Boileau ni Malherbe. A l'égard du monosyllabe

t'en,

Et les bords du Léthé t'en devinrent plus doux,

qu'il a trouvé très-dur, il fallait qu'il eût l'oreille bien chatouilleuse pour le moment. Ce ne sont que des syllabes dures, répétées plusieurs fois, qui constituent la dureté. Tel que ce vers de Racine, dans Bérénice,

Qu'en quelqu'obscurité que le ciel l'eût fait naître ;

ou cet autre de Phèdre,

J'ai peut-être trop cru,

ou cet autre d'Iphigénie,

Et que tout le camp croie,

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Et dans cela pour eux votre naturel brille.

Après toute la description du Génie, qu'il lui plaît d'appeler superbe, ce Monsieur trouve que,

Tel éclatait Buffon! est une transition un peu sèche. Il ne s'est pas aperçu que c'est plutôt un sentiment, une exclamation, qu'une transition; et qu'elle est si rapide, qu'on ne pouvait pas, en moins de mots qu'en trois, faire à M. de Buffon l'application des neuf strophes précédentes; car il n'y a précisément que trois mots pour dévoiler le sens de cinquante-quatre vers. Aussi ces trois mots avaient-ils frappé, au point de paraître presque sublimes. Convenez que dans les ouvrages d'une certaine élévation, et où le génie seul pourrait apprécier le génie, on est plaisamment jugé par de petits Messieurs, qui, de leur vie, n'ont fait quatre vers passables.

Cependant je dois savoir gré à l'auteur, quel qu'il soit, de sa bonne intention. Il est visible, par son extrait, qu'il a voulu m'obliger; mais, pour obliger le public, il aurait dû au moins l'écrire en meilleur français.

On m'a dit que ce serait La Harpe qui ferait dans le Mercure, l'extrait de mon Ode. Certainement il ne sera pas flatté. Je gagerais qu'en plusieurs choses il dira juste le contraire du Journal de Paris. Celui-ci a pris garde à peine à l'Épître*; d'autres la vanteront peut-être plus que l'Ode. Et

*

* Épître sur la bonne et la mauvaise plaisanterie, imprimée pour la première fois avec l'Ode à M. de Buffon. (Note de l'Éditeur.)

tous ces beaux jugemens ne rendront ni l'une ni l'autre plus mauvaise ou meilleure ; mais cela barbouille du papier, et le commerce du papier barbouillé est en France un objet de plusieurs millions.

Adieu, très-aimable amie; ne montrez point ma lettre, pas même à M. de S***. Je veux paraître reconnaissant de la bonne intention; car, dans le siècle des petits talens, de l'ignorance et de l'envie, la bonne intention est quelque chose.

LE BRUN.

LETTRE LXXXII.

DE LA COMTESSE DE GRISMONDI

A M. DE BUFFON.

A Bergame, le 14 février 1780.

Je viens de recevoir, mon très-cher et très-respectable ami, la lettre dont vous m'avez honorée du premier janvier; mais je n'ai pas eu le bonheur de recevoir celle qui accompagnait l'Ode imprimée de M. Le Brun. Le meilleur parti est sûrement celui d'adresser vos lettres directement à Bergame, et c'est ce que je vous supplie de faire toutes les fois que vous voudrez bien avoir la bonté de m'écrire. J'envoie moi-même celle-ci à votre adresse à Paris, dans l'espoir qu'elle puisse vous parvenir avec plus d'exactitude que par la voie de M. Canin, qui, à dire vrai, est le plus négligent de tous les banquiers.

Puisque ma traduction peut mériter vos suffrages, je ne craindrai plus la critique, dût-elle être universelle; et aussitôt que vous m'aurez fait l'honneur de m'envoyer les changemens du sublime auteur, je tâcherai de la rendre un peu

meilleure, pour la faire d'abord imprimer. A ce propos, je vous supplie, mon très-cher Comte, de me dire sincèrement si monsieur Le Brun me permettrait de faire imprimer avec ma traduc tion, son superbe original, qui est déjà trèsconnu et très-admiré, même parmi nos poètes italiens.

La lettre que vous eûtes la complaisance, mon très-cher ami, de m'écrire, est si flatteuse pour moi, que je n'ai pu me passer d'en donner une copie à mes amis, qui ont la bonté de s'intéresser à ma gloire. Que ne puis-je, mon cher Comte, vous témoigner toute la reconnaissance d'un cœur qui vous sera éternellement attaché!

*

Je vous écris toujours de mon lit; c'est depuis presque une année que je n'ai que des maux à soutenir, et que je ne puis recouvrer une santé trop nécessaire à la félicité de nos jours. Jamais, je l'avoue, je n'eus plus besoin d'avoir recours à la philosophie. Je sens d'être encore dans l'âge des plaisirs, et qu'il est bien dur, bien cruel d'y renoncer sitôt. Il n'y a que la certitude que vie est un mélange de biens et de maux, qu'ac tuellement je souffre ceux-ci, que ceux-là viendront à leur tour, qui puisse soutenir mon courage. Soyez toujours heureux, mon tendre et cher

notre

* Phrase italienne, pour dire : Je sens que je suis encore, etc. (Note de l'Éditeur. }

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