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LETTRE LXXX V.

A LA MÊME.

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UN voyage de trois mois, que notre illustre ami, le comte de Buffon, a fait à Montbard, m'a privé long-temps de la chose la plus flatteuse. J'en jouis enfin, et je ne pouvais recevoir plus à propos le magnifique présent que vous m'avez envoyé, que dans le moment où je m'occupais des tristes soins de réparer ma fortune, entièrement dérangée par la trop célèbre banqueroute du prince de G***. L'admirable traduction que vous avez daigné faire d'un de mes ouvrages, la gloire dont elle me couvre, ne me permettent plus de songer à rien d'affligeant. Je ne dois sentir désormais que le plaisir d'entendre mes vers chantés par une bouche si belle et si éloquente, et je vois qu'il n'est point de disgrâces qu'un tel honneur ne puisse adoucir aisément.

Il était réservé à votre Italie, madame la Com

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tesse, de ressusciter les lettres en Europe; c'est
elle qui apprit aux modernes à suivre les routes
des anciens poètes, et quelquefois à les devancer.
Elle vient de mettre le comble à sa gloire; elle
n'a pas
voulu que les beaux siècles si vantés dans
l'histoire des arts eussent encore à s'enorgueillir
d'un triomphe qui nous manquait. La Grèce avait
souvent couronné des femmes; plusieurs avaient
disputé à notre sexe le prix du génie. D'autres dis-
putaient au leur le prix de la beauté; mais aucune
n'avait remporté ces deux victoires à la fois. Sapho
chantait comme vous; mais les grâces ne furent
pas son partage, et Phaon ne lui donnait point
le prix. Vous seule, madame la Comtesse, avez su
réunir ces deux couronnes ; et si votre charmant
Arioste vivait encore, il ne se contenterait pas
de dire:

Le donne antiche hanno mirabil cose
Fatto nell' armi et ne le sacre muse.....
Le donne sono venute in eccellenza

“In ogni arte, ove hanno posto cura.

il s'écrierait peut-être comme vient de faire un de mes amis, qui vous devinait sans doute :

Qui mieux que la beauté doit manier la lyre?
Puisque même en nos mains c'est elle qui l'inspire?
Que le front d'une Grâce est beau sous un laurier!

Je me suis fait mille partisans, madame la Com

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tesse, en communiquant votre ouvrage à tout ce que je sais de connaisseurs. Tous ont été dans l'enchantement ils m'ont félicité avec enthousiasme, et avec tant d'enthousiasme, qu'en vérité je suis confus, et même, si je l'ose dire, un peu jaloux, quand je songe qu'ils ne me donnent tant d'éloges qu'après avoir lu mon ode en italien. On lit avidement, on étudie, on admire la belle épître que vous avez adressée à vos vers. On convient que vous seule étiez digne de leur écrire. On voit avec étonnement les tableaux mâles et vigoureux que vous avez su mêler à des tableaux plús rians,

Le mont Cénis portant ses glaces dans les nues,
Et le farouche aspect de ces Alpes chenues, etc.

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O si la fortune m'accorde bientôt le loisir et le calme que les Muses demandent, les premiers vers qu'elles m'inspireront ne seront adressés qu'à vous, madame la Comtesse, à vous, à qui je dois toute ma gloire et ma reconnaissance. Les personnes qui ont eu le bonheur de vous voir à Paris se le rappellent sans cesse, et redoublent mes regrets; mais je me flatte que je serai aussi heureux qu'ils l'ont été : j'irai dans votre belle patrie; j'irai, madame la Comtesse, vous remercier de l'honneur que vous m'avez fait; j'irai vous rendre

hommage et vous admirer entre l'Apollon du Belvédère et la Vénus de Médicis.

J'ai l'honneur d'être, avec la plus tendre reconnaissance et le plus profond respect,

Madame la Comtesse,

Votre très-humble et très-obéissant

serviteur,

LE BRUN.

LETTRE LXXXVI.

AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS,

Ce 14 septembre 1785.

MESSIEURS,

PERMETTEZ-MOI de réclamer dans votre Journal contre l'abus d'imprimer un ouvrage sans l'aveu de son auteur. Tous mes amis savent combien j'ambitionne peu de grossir les feuillets d'un recueil. J'ai toujours pensé qu'un auteur qui se respecte ne doit point éparpiller son porte-feuille à mesure qu'il compose, et que la vraie gloire ne tient nullement à la célébrité du jour. Un grand homme a si bien dit que tout écrivain, un peu jaloux de sa réputation, n'avait pas trop de la moitié de sa vie pour faire un livre, et de l'autre moitié pour le corriger!

Quelle a donc été ma surprise, en ouvrant hier par hasard l'Été des quatre Saisons littéraires, année 1785, d'y trouver un de mes ouvrages, imprimé à mon insu, et cruellement tronqué *, avec

* Puisqu'il y manque des strophes entières, et que le titre même qu'on lui a donné d'Ode sur les environs de Paris, n'est ni ne peut être le véritable. ( Note de l'Auteur.)

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