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RÉFLEXIONS

SUR LE GÉNIE DE L'ODE *.

C'EST donc sérieusement, Monsieur, que vous me demandez quelques Réflexions sur l'Ode; vous desirez même qu'elles servent de Réponse aux éloges flatteurs que votre amitié me prodigue. Et comment vous tracer le caractère d'un ouvrage que le Génie seul doit embrasser, que le Goût seul doit applaudir, et que le plus bel Esprit du monde est très-dispensé de concevoir ?

Pindare, Horace, et Rousseau, nos oracles et mes modèles, n'auraient pas été médiocrement embarrassés, s'ils eussent voulu donner des règles de leurs propres chefs-d'œuvre. Aussi ne voyonsnous pas que ces grands hommes ayent dévoilé les mystères de leur art, persuadés sans doute qu'ils seraient peu compris du vulgaire, parmi lequel on compte beaucoup de gens d'esprit.

* Ces réflexions parurent pour la première fois en 1736, avec l'Ode sur le désastre de Lisbonne.

Eh! comment un de leurs faibles Disciples, qui n'a d'autre mérite que celui d'admirer le leur, tenterait-il de les approfondir, de vous développer les ressorts de leur génie, et d'étaler pour ainsi dire le mécanisme de leur gloire?

Ne croyez donc pas, Monsieur, que j'aie la manie de vous définir ce qui doit n'être que senti. L'Ode est surtout dans ce cas. Aucun genre de poésie n'échappe plus au compas géométrique; aucun n'est plus exposé à ces caprices heureux que l'art ne saurait prévoir, à ces fougues du génie, qui souvent arrive à son but sans trop connaître lui-même les sentiers qu'il a pris.

Je ris de voir La Motte (homme à définitions, s'il en fut jamais) venir avec sa petite règle et son étroit compas toiser la marche audacieuse de nos géans lyriques, qui tout à coup prenant des ailes, déconcertent le bel-esprit qui s'imaginait les suivre, et le froid géomètre qui calculait leur route. C'est alors qu'ils vont

Loin des bornes de l'Art, saisir ces heureux traits,
Que de vulgaires yeux n'aperçurent jamais.

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La Motte qui ne les voit plus, les croit égarés. Il leur fait un crime de la faiblesse même de sa vue. Lisez les règles qu'il donne pour ne pas tomber dans ces prétendus excès, il vous dira:

Pourquoi, du hardi Pindare,
S'imposer l'exemple bizarre

Sans la même nécessité,

Et se faire dans l'abondance

Une règle de la licence

Permise à la stérilité?

Choisissez des matières neuves..... etc.

Voyez avec quel scrupule il lève son plan géographique du Parnasse : il se dit à lui-même;

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Je sais tous les chemins par où je dois passer.

mais ne vous y trompez pas; ces routes qu'il mesure ne sont point celles des grands hommes. Ils triomphaient dans la carrière, et ne la mesurèrent jamais.

Pourquoi ces auteurs, qui n'ont point réussi dans leur art, en discutent-ils si longuement? Leurs préfaces me paraissent d'assez belles avenues, qui ne conduisent qu'à des masures, on

Oui, Monsieur, les véritables oracles de la Poésie sont presque toujours les seuls qui restent muets sur cet article; ou s'ils laissent échapper quelques mots, il est bien des personnes pour qui ce langage équivaut au silence.

Interrogez Boileau, celui de nos auteurs qui a le plus de cette fine sagacité qui voit, perce, démêle et fixe ce que les arts ont de plus obscur ou de plus incertain. Parle-t-il de l'Ode? Il emprunte des termes qui ne paraissent que vagues, inintelligibles même à la profane multitude. Il vous

dira, par exemple, que le poète, pour marquer un esprit entièrement hors de soi, rompt la suite de son discours, et pour mieux entrer dans la raison, sort pour ainsi dire de la raison même, évitant avec grand soin cet ordre méthodique, et ces exactes liaisons de sens, qui ôteraient l'âme à la poésie lyrique. Voilà ce que le Génie dictait à Despréaux, et ce que désapprouva depuis son trèspesant commentateur.

La fameuse Ode de Rousseau au comte du Luc ne serait-elle pas la meilleure définition que l'on pût donner de l'Ode elle-même?

Ce n'est pas qu'on ne puisse absolument vous en indiquer le mécanisme. Mais quel fruit d'une étude si stérile? C'est l'anatomiste qui dissèque une beauté morte; il ne fait il ne fait que soupçonner la

place de ses charmes.

D'après les petites règles de l'art, on peut sans doute imiter pour quelques instans la marche et les attitudes du Génie. On peut croasser lyriquement quelques vers. On peut, à l'aide de quelques apostrophes, luire d'un éclat passager, phosphore trompeur, qu'une vraie clarté fait bientôt disparaître..

C'est ainsi que l'école enseigne les figures propres à composer un excellent discours; mais toutes ces figures entassées sans discrétion, sans goût et sans choix par un rhéteur académique, nous

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