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rance doit faire, que l'envie doit soutenir, et que le goût doit mépriser. Il lui suffit qu'un public, qui n'est pas le vulgaire, ait daigné lui applaudir. Répondre aux insectes du Parnasse, c'est donner un soupçon de leur existence, c'est s'avilir, c'est ramper avec eux. Que d'autres, pour les égayer, se fassent un jeu cruel des malheurs publics; qu'ils insultent à l'humanité par de barbares plaisanteries; que leur muse se livre même à des impiétés lyriques. Je n'envierai jamais l'honneur honteux d'être vanté à ce prix : malheur à tout écrivain qui serait moins célèbre, s'il eût été moins coupable!

* On a fait des petits vers très-plaisans sur la ruine de Lisbonne. Quoi ! la frivolité même est inhumaine! (Note de l'Auteur.)

SUR LES HARDIESSES POÉTIQUES

DU GRAND CORNEILLE.

CETTE Ode où j'introduis l'Ombre du grand Corneille, demandait que j'imitasse, autant qu'il était possible, la noblesse de ses pensées, la fierté mâle de son caractère, son style grave, figuré, sentencieux, sublime; enfin les hardiesses de son élocution. En composant ses chefs-d'oeuvre immortels, en y déployant ce que le génie a de plus fier et de plus vigoureux, il oubliait les Scuderis ** et leurs misérables critiques. Ce n'est qu'à ce mépris heureux qu'il doit ces grandes beautés

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Le Brun écrivit ces Remarques au sujet des fausses critiques que l'on fit de son Ode à Voltaire, en faveur de mademoiselle Corneille, publiée en 1760. (Note de l'Éditeur.)

** La critique du Cid, par ce Scuderi, est un fatras assez curieux d'impertinences, d'orgueil et d'inepties. Il la commence par cette pensée : A regarder le Cid de près, ce n'est qu'un vermisseau ; et ce M. de Scuderi, qui est un aigle, le prouve par ces mots tranchans Le sujet n'en vaut rien du tout ; il choque les premières règles, etc.; il manque de jugement, il est plein de méchans vers. Presque tout ce qu'il y a de beautés sont dérobées; ainsi l'estime du public est injuste cela est clair. Il appelle don Sanche un pauvre sot, et la tendre Chi

SUR LES HARDIESSES POÉTIQUES.

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que le génie enfante, que le goût applaudit avec surprise, que l'ignorance n'a point droit d'admirer, et que l'envie déchire en frémissant.

J'ai cru que dans mon Ode il devait encore mépriser les Scuderis modernes, et n'ambitionner que le suffrage des vrais connaisseurs. Eux seuls jugeront qu'en faisant parler Corneille, loin d'outrer son langage, je n'ai pas été aussi loin que lui pour les hardiesses du style et l'audace des figures. Il serait aisé de s'en convaincre par une foule d'exemples. J'en rapporterai un certain nombre, pour donner une idée de l'élocution poétique du grand Corneille. Rapprochés et mis sous les yeux, ils étonneront sans doute; ils confondront l'injustice ignorante des petits éplucheurs de style; ils développeront les richesses de la langue, les ressources du génie, et feront mieux sentir la réserve de mes expressions,

mène une prostituée. Il s'écrie partout: Voilà des pointes execrables! des antithèses parricides! des quolibets! une marote ! c'est parler français en allemand. Cela manque de construction; ceci est un flux de paroles; ce mot est mis pour rimer; ces vers ne sont à mon avis (l'avis d'un Scuderi !) qu'un galimatias pompeux ; cette phrase est extravagante; il y a encore cent fautes pareilles, etc. Voilà le ton de ce Scuderi, en parlant de Corneille et du Cid! et le public les admire encore; et ce Scuderi est regardé comme un bas envieux, un impertinent critique, un blasphémateur en poésie, etc. (Note de l'Auteur.)

comparées aux excès heureux et sublimes de la poésie de Corneille.

J'ai toujours observé qu'en lisant, après leur mort, les auteurs célèbres, on est si préoccupé, que tout ce qu'on lit est beau, qu'on enveloppe dans une admiration uniforme et totale ces traits variés par le génie, ces expressions nouvelles et singulières, qu'on distinguerait davantage si l'on était moins familiarisé avec ces trésors.

L'usage émousse les expressions les plus piquantes. Le premier qui a dit, jeter ses yeux, lancer des regards, fut traité sans doute d'écrivain hasardeux et téméraire, parce qu'en effet on ne jette pas ses yeux, on ne lance pas ses regards; cependant cela est devenu d'un usage si vulgaire, qu'on le dit tous les jours sans réfléchir à la singularité de ces locutions. Mais les hardiesses qu'essaie un auteur vivant piquent davantage une curiosité toujours jalouse et prompte à les relever.

Toute expression de génie dut exciter à sa naissance une espèce de tumulte, par cette raison naturelle qu'elle fait des enthousiastes de ceux qui s'y connaissent, et des ennemis acharnés de ceux qui ne les comprennent pas. On sait quelle guerre poétique excita le lit effronté dans Boileau, et le flot qui l'apporta recule épouvanté dans Racine, et tant d'autres expressions heureuses tou

jours combattues du vivant de leurs auteurs, et qui seules pourtant donnent l'âme et la vie à leurs ouvrages. Comme ces traits de génie les séparent à jamais de la populace des rimeurs, faut-il s'étonner que ceux-ci 'aient tant d'intérêt à les vouloir étouffer?

Ces expressions, qui eurent une espèce de gloire agitée quand la jalousie veillait sur elles, maintenant paisibles dans les écrits de ces morts illustres, n'éveillent encore cette jalousie que lorsqu'un auteur vivant ose les transporter dans ses vers. Elles y frappent les yeux avec une certaine nouveauté, qui les expose aux abois de la satire, parce qu'on ne se doute pas qu'elles soient dans un de ces livres consacrés où l'on aurait quelque pudeur de les reprendre.

Les peintures de la poésie ressemblent à ces tableaux modernes qui n'ont pas encore reçu du temps cette teinte brune qui les rend plus vénérables; elles ne recevront que de leur antiquité cette illusion, ce charme de perspective qui les recule, pour ainsi dire, des yeux de la critique. Aussi tous les grands hommes ont-ils payé, en quelque sorte, le tort qu'ils ont eu d'écrire de leur vivant. Martial disait plaisamment : S'il faut que je meure pour qu'on m'admire, je ne me presse pas d'être admiré. L'Espagnol dit plus énergiquement encore : Dieu me préserve du jour de ma louange!

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