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les ressemblances. On n'ose crayonner l'envie à ses yeux. Il foudroye, entre autres, ce vers,

Le jour blesse ses yeux, etc.

S'ils sont dans l'ombre, dit notre délicat Wasp, comment peuvent-ils étinceler? Cette critique est si ridicule, qu'il serait même ridicule de la combattre.

Pensez-vous qu'il daigne admirer ces huit vers qui font image, et dans lesquels les sons mêmes des mots ajoutent à la peinture?

Les nuages épais que formait la poussière

Du soleil, dans les champs, dérobaient la lumière.
Des tambours, des clairons, le son rempli d'horreur,
De la mort qui les suit, était l'avant-coureur:
Tels des antres du nord, échappés sur la terre,
Précédés par les vents, et suivis du tonnerre,
D'un tourbillon de poudre obscurcissant les airs,
Les orages fougueux parcourent l'univers.

Il rejette toute la comparaison *; il se trouve ébloui par le soleil, aveuglé par la poussière; il n'y voit plus; il se perd dans les nuages, dans les vents, dans les tambours, dans la mort, dans le

* Je prie qu'on lise, si cela se peut lire, tout ce morceau de critique dans le tome 11 des Opuscules, où il barbouille les deux pages 330-31 à se prouver qu'il ne doit pas entendre ces beaux vers. Il y parvient ; et c'est ce qu'il appelle les faire passer à la filière du sens commun.

tonnerre, dans les orages, dans l'univers. Tous ces grands objets entrent mal dans le petit crâne de notre Bipède. Ne s'imagine-t-on pas voir ce diable que Milton nous peint tombant de nuage en nuage dans l'immensité du Vuide, jusqu'au fond du noir abime?

Mais qu'admire ce divin connaisseur? Ce qu'il admire? la Pipe cassée, et le très-plaisant Voyage de Provence * etc. etc.

* Voulez-vous un échantillon de la plaisanterie froide et fade dont ce voyage assoupit ses lecteurs, lisez ces vers d'un bavard:

Ce Bavard, sans qu'on le semonce,

Parle d'église, de sermons,

Dé consistoires, d'audiences,

De prélats, de nonains, d'abbés,

De moines et de Sigisbés,

De miracles et d'indulgences,

Da doge et des procurateurs,

Des francs-maçons et des trembleurs,

De l'opéra, de la gazette,

De Sixte-Quint, de Tamerlan,

De Notre-Dame de Lorrette,

Du sérail et de Koulikan,

De vers et de géométrie,
D'histoire, de théologie,
De Versailles, de Pétersbourg,
Des comités de la marine,

Du conclave, de la tontine,

Ét du siége de Philisbourg.

Que d'atticisme! que de sel! De pareils vers donneraient

le frisson même sous la Ligne.

DISCOURS SUR TIBULLE,

ADRESSÉ A M. DE CHASSIRON,

DE L'ACADÉMIE ROYALE DE LA ROCHELLE,

Lu dans l'assemblée publique de l'Académie, du 22 avril 1763, et imprimé dans le recueil de ses Mémoires.

NOMMER Tibulle, c'est rappeler ce que l'amour a de plus tendre, et l'Élégie de plus touchant. Il fut le peintre des Grâces et le poète du sentiment. Pourrait-il ne pas intéresser? Son cœur est la source de ses vers. C'est là qu'il puise ces images si naïves, qui chatouillent l'âme et demandent des pleurs.

Amour dicta les vers que soupirait Tibulle.

Ses vers sont en effet des soupirs. On peut en croire Despréaux; s'ils ont ému ses oreilles austères, leur charme était sans doute inévitable.

Que ces Elégies passionnées sont loin, et de cette galanterie assoupissante et fade née à l'hôtel de Rambouillet, et de cette coquetterie froidement spirituelle qui a succédé aux fadeurs!

Avouez-le, Monsieur, Rome n'a pas eu de poète ni plus délicat, ni plus tendre. Ami de Virgile, d'Horace, de Valgius, d'Ovide, de Messala, il faisait leurs délices; il fut comme eux l'ornement du siècle et de la cour d'Auguste. On sait qu'il servit quelque temps avec gloire dans les armées romaines. Il suivait Messala dans son expédition d'Orient, lorsqu'une maladie cruelle le retint dans l'île de Corcyre. C'est de là que, dans les bras de la mort, il adresse à son illustre ami, cette élégie touchante, que j'ai traduite, chefd'œuvre de poésie, d'intérêt et de passion, où il exprime si tendrement ses regrets de mourir loin d'une amante et de sa patrie. Il y revint bientôt jouir des transports de Délie, et de l'estime de ses concitoyens. Généreux, bienfaisant et même prodigue, il unissait aux plus nobles qualités de l'âme, toutes les grâces de l'esprit et du corps. Une naissance distinguée, d'heureux penchans, l'aménité de ses mœurs, le goût brillant des arts, le bruit de ses vers qui déjà transpirait malgré lui, ses aventures amoureuses, les richesses immenses de ses aïeux dont il recueillait les débris et l'éclat, sans en avoir le faste embarrassant, tout, jusqu'à la délicatesse extrême de sa santé, servait à rendre Tibulle l'homme du monde le plus inté

ressant.

Il savait aimer, plaire, séduire, mais il ne sa

vait pas tromper, il n'eût point dit comme Ovide: Fallite fallentes, trompez qui vous trahit.

Ainsi les Muses et l'Amour occupaient son loisir; il était tout à ses maîtresses, à ses amis, à son oisiveté quelquefois dans le tumulte de la cour d'Auguste, plus souvent encore dans le silence des bois et des prairies, il portait partout cette tendre mélancolie, qu'on peut nommer la jouissance de l'âme. Vous rappelez-vous Monsieur, avec quelle vivacité de sentiment il s'écrie:

Ferreus est, cheu ! quisquis in urbe manet.

Ce goût de la campagne lui inspira sa première élégie, où les plaisirs champêtres embellis par l'amour sont décrits avec tant de grâces et d'ingénuité : une simplicité noble, élégante, sublime; un choix, une volupté d'expressions tendres, pures, harmonieuses, un sentiment délicat, un goût exquis, sont le caractère distinctif des ouvrages de Tibulle, et le séparent avantageusement de ses rivaux.

L'ingénieux Ovide lu, chéri, adoré par la jeunesse, mais souvent critiqué par un âge plus. mûr, a plus d'esprit que de sentiment, plus de coquetterie que de tendresse; sa muse brillante a le fard et les agrémens des beautés qui le trompent, ou qu'il cherche à tromper : elle périt quelquefois sous l'art et les fleurs.

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