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Properce, leur rival, affecte, selon moi, des comparaisons, des allusions, des traits de fable trop fréquens. Ses vers ont quelquefois de la sécheresse et de l'âpreté; il soupire savamment; sa passion est érudite et sa tendresse porte un air de doctrine; enfin il n'invite point aux larmes, et Tibulle a sur lui cet avantage inestimable, et qui seul lui donnerait le prix de l'Élégie latine.

Il est à remarquer que Despréaux et Rousseau font tous deux l'éloge de Tibulle, sans rien dire de Properce. Malgré cela M. de Pompignan lui préfère ce dernier. On pourrait dire dans un nouveau sens: Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni. Car Despréaux et Rousseau sont des Dieux au Parnasse.

Gallus, vanté de ses contemporains, n'a laissé que des regrets. Catulle me semble avoir une élégance à part. Elle tient peu de l'Élégie, quoiqu'on le mette, assez mal à propos, au nombre des poètes élégiaques. Ce n'est pas qu'il n'ait fait, dans le genre noble, quelques vers très-heureux; j'en ai remarqué plusieurs dans son poëme des Noces de Thétis, qui sont de la plus grande beauté, et que Virgile même n'a imités que faiblement dans le quatrième livre de l'Énéide; mais il traite le plus souvent des sujets légers et badins avec cette grâce ingénue qu'on sent toujours, sans pouvoir bien la définir. Il éveille sa poésie

par ce même sel de naïvetés piquantes qui nous charment dans Marot; mais, trop libre pour connaître quelque frein, il n'eût pas su, comme Tibulle, prêter à la nudité de l'Amour cette gaze modeste et voltigeante qui laisse échapper quelques charmes, pour embellir ceux qu'elle dérobe.

Les ouvrages de Tibulle, sans être d'une longue étendue, sont travaillés si heureusement, qu'ils laissent dans l'esprit un long souvenir. Qu'on ne s'imagine pas en retrouver, même l'ombre, dans Hamilton, La Fare ou Chaulieu, ni dans cette foule moderne d'auteurs gentils, d'écrivains en pastel, et de poètes vernisseurs.

Que ses élégies sont loin de ressembler à ce que nous appelons ouvrages de société, mot vague, et par lequel tant d'auteurs pensent excuser des productions faibles et brusquées; genre pitoyable dont chaque jour la paresse, le mauvais goût, la fureur de l'esprit et la haine du génie, inondent les cercles et bientôt le public; peut-être pour se donner, au défaut de mérite, un certain air de considération; car c'en est un ici, à des yeux gâtés et frivoles, et surtout aux yeux de quelques grands d'un goût vil et d'une âme roturière, que de ne point tenter d'ouvrages immortels.

Ce n'est pas sans doute parce que des vers pointillés d'esprit auront circulé dans des cours, auront même volé dans la bouche des princes et des

rois, qu'ils seront plus certains de l'immortalité : elle n'est promise, elle n'est due qu'aux solides beautés du génie; tandis qu'il brille d'un éclat durable, tous ces phosphores passagers s'éteignent dans l'oubli avec ceux qu'ils éblouissaient.

Peut-être qu'au moment où j'écris, tel auteur vraiment animé du desir de la gloire, et dédaignant de se prêter à des succès frivoles, compose dans le silence de son cabinet un de ces ouvrages qui deviennent immortels, parce qu'ils ne sont pas assez ridiculement jolis pour faire le charme des toilettes et des alcoves, et dont tout l'avenir parlera, parce que les grands du jour n'en diront rien à leurs petits soupers.

En effet, Monsieur, j'ose dire que le signe le plus certain de la médiocrité d'un ouvrage, c'est cette fureur d'applaudissemens subits dont l'accueillent les cercles et la bonne compagnie. Il est à présumer, sans doute, que s'il est trop dans leur goût, il ne sera pas assez dans celui des Homères, des Démosthènes, des Longins et des Despréaux. Dans un siècle où le goût s'éteint, un livre excellent a tant d'erreurs, de préjugés, d'idées fausses à vaincre, que d'abord il doit plus étonner qu'envahir les suffrages; il compte sur un petit nombre de vrais juges, dont les regards fixent sa réputation, et le vulgaire de tous les rangs suit à la longue cette impression donnée.

J'aime quelquefois à me représenter combien d'auteurs faisaient les délices de Paris et de la Cour, les Benserades, les Chapelains, les Scarrons, quand Boileau, plein d'un goût vigoureux, vint choquer et fit crouler toutes ces vieilles réputations, malgré leurs illustres appuis. II déchira d'une plume d'airain les sots ouvrages et leurs sots protecteurs. S'il avait eu moins d'audace et de goût, il se fût plié aux ouvrages qu'on applaudissait alors; il eût fait, comme tant d'autres, des bouts-rimés, des sonnets, des rondeaux, des chansons galantes et des portraits en vers; on l'eût trouvé charmant, délicieux; mais ni vous, Monsieur, ni moi, ne le lirions aujourd'hui.

Je ne puis trop le redire, et peut-être crié-je dans les déserts, imitons les anciens; marchons d'un pas invariable vers les beautés immortelles de la nature; laissons l'art à la frivolité; ayons toujours les yeux sur l'avenir, si nous voulons qu'un jour il les jette sur nous. Le défaut de nos Français est peut-être de vouloir jouir de leur réputation dans la journée même : leur gloire est en superficie comme leur mérite, et leur renommée n'a pas de lendemain. Osons nous refuser aux applaudissemens frivoles. Quoi! parce que des couplets divins auront plus affolé de têtes à l'ambre, que l'Esprit des Lois, quelqu'un seraitil assez ridicule pour oser les comparer ensemble?

Le profond Montesquieu connaissait bien notre nation, quand il la priait, dans la préface de ce livre immortel, de vouloir bien ne pas juger un ouvrage de vingt années par la lecture de quelques momens.

Cet amour de la nature, cette empreinte du vrai goût, de l'antiquité, vous les retrouvez sans cesse dans les moindres pièces de Tibulle; partout il justifie l'éloge qu'en fait Horace, en le reconnaissant pour juge de ses écrits.

Me direz-vous, Monsieur, par quelle fatalité ces pièces charmantes n'ont point encore été traduites en notre langue (car la hideuse traduction de Marolles ne peut être comptée), tandis qu'on afflige sans cesse notre littérature d'un fatras de poésie sans goût, et de romans sans fin, translatés de l'anglais ? devons-nous envier à Londres ses Cotins et ses Calprénédes?

Le marquis de La Fare a tenté la première élégie de Tibulle, ou plutôt il l'a noyée dans sa prolixe imitation; à peine y remarque-t-on deux vers. Le reste est lâche, plat, trivial et souvent gaulois; on y trouve plusieurs vers comme celuici:

Et chez moi, du puissant protecteur des jardins.

Tibulle y dit :

Mes meubles..... ne sont que de terre fragile.

Des meubles de terre!

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