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Je me dis souvent avec douleur, avec transport, Virgilium vidi tantum. Pourquoi, Monsieur, me fûtes-vous enlevé alors? Dans quelle nuit profonde, dans quel vaste désert avez-vous laissé notre littérature! car vous m'avouerez que c'est une grande solitude que la foule des sots. Que de chenilles profanent le sacré vallon! Que de buses y font la guerre aux cygnes harmonieux ! Que de serpents y viennent siffler pour en défendre l'abord au génie!

Le dédain que j'ai pour cette populace d'auteurs, mauvais ou médiocres, mon goût inflexible pour les seuls grands modèles, ma vénération pour tout ce qui porte l'empreinte du génie, me rapprochent naturellement de vous, Monsieur; et sans l'intervalle qui nous sépare, et sans les liens qui m'attachent à la personne d'un grand prince, c'est auprès de vous que j'irais puiser cette critique généreuse que l'amour des arts éclaire, que n'empoisonne jamais l'envie, telle enfin que Racine l'exigeait de Boileau. J'irais puiser à leur source ces sentimens de bienfaisance, qui m'engagent eux-mêmes à les réclamer pour la famille de Corneille.

C'est au génie sans doute à protéger une race illustrée par le génie. A ce titre je ne vois que M. de Voltaire en Europe de qui un 'homme du nom de Corneille puisse, sans s'avilir, attendre

les bienfaits. Ces éloges que vous avez tant de fois prodigues à sa mémoire, et que la patrie entière lui doit, me répondent de ce que vous ferez pour un de ses neveux. L'idée que m'inspire ce nom divin, est si haute, que, selon moi, il n'y a point même de rois qui ne s'honorassent beaucoup de prodiguer des secours en sa faveur. Vous seul, Monsieur, agirez en égal avec ce. grand homme.

Eh! quel autre que vous a toujours fait éclater une ivresse plus noble, et de plus vifs transports d'admiration pour tout ce qui porte le sceau du génie? La gloire est votre élément : qu'il est flatteur pour vous de joindre, à cette sublimité de l'esprit, la tendre bienfaisance d'un cœur qui s'épanche dans tous vos ouvrages, et qui vous a rendu le peintre de l'humanité!

Voilà, Monsieur, s'il était possible d'être audessus de Corneille même et de Racine, voilà ce qui donnerait le premier rang à vos ouvrages, parce qu'ils inspirent aux hommes un sentiment plus utile à la société, que ceux d'une stérile admiration. Voilà ce qui m'a fait naître le desir de rendre à Corneille un hommage qui retombe sur vous-même. Le public va juger, en voyant cette Ode imprimée*, que vous seul étiez digne

* Le neveu de Corneille, pour qui l'on s'intéresse dans cet ouvrage, est l'unique et dernier héritier de ce grand nom.

en effet de secourir le descendant d'un grand homme dont vous êtes devenu le rival. Combien votre cœur doit s'applaudir de la certitude qu'on a de vos bienfaits, et d'en avoir fait sentir le charme à tous ceux qui vous ont lu! Votre style devient si affectueux, si enchanteur quand cet objet l'anime, qu'il est aisé de voir combien votre âme respire les sentimens que vous

tracez.

Laissez, laissez à vos ennemis l'horrible satisfaction de calomnier votre coeur, et de croire que votre plume écrivait sans son aveu; ceux qui, vraiment éclairés, savent que jamais l'esprit

inérite de le porter, parce qu'il en connaît tout le prix. Il a réparé, par la noblesse de ses sentimens, l'éducation qu'il n'a pu recevoir. On sait qu'au temps de la succession de M. de Fontenelle, il lui fut offert une somme d'argent pour se désister de ce droit et même de son nom. M. Corneille, quoique pauvre et sans ressource, la refusa sans balancer, refus sublime dans les crises de la misère. Il répondit encore, quand on le menaça de la perte de son procès, qu'au moins il gagnerait le nom de Corneille (qu'on lui disputait). L'éclat que suit une indigence soutenue avec tant de dignité, et l'inM. de Voltaire et tous les vrais citoyens prennent au descendant d'un grand Homme, doivent bien faire rougir ceux qui, ne respectant pas l'infortune d'un Corneille, en ont triomphe honteusement, et ne lui présentaient qu'un visage d'airain. (Note de l'Auteur, qui était jointe à la première édition de l'Ode en faveur de mademoiselle Corneille. )

térêt

que

n'enfante rien de sublime s'il n'est inspiré par le cœur, vous rendent, comme moi, la justice la plus entière et la plus méritée. Les droits d'un Corneille à vos bienfaits sont incontestables : les voici, ses malheurs, son nom, et le vôtre. Je suis avec respect,

Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant

serviteur,

LE BRUN.

LETTRE II.

DE M. DE VOLTAIRE.

Au château de Ferney, pays de Gex, par Genève, 5 octobre 1760.

Je vous ferais, Monsieur, attendre ma réponse quatre mois au moins, si je prétendais la faire en aussi beaux vers que les vôtres. Il faut me borner à vous dire en prose combien j'aime votre ode et votre proposition.

Il convient assez qu'un vieux soldat du grand Corneille, tâche d'être utile à la petite-fille de son général. Quand on bâtit des châteaux et des églises, et qu'on a des parents pauvres à soutenir, il ne reste guère de quoi faire ce qu'on voudrait pour une personne qui ne doit être secourue que par les plus grands du royaume.

Je suis vieux; j'ai une nièce qui aime tous les arts, et qui réussit dans quelques-uns; si la personne dont vous me parlez, et que vous connaissez sans doute, voulait accepter auprès de ma nièce l'éducation la plus honnête, elle en aurait soin comme de sa fille, je chercherais à lui servir de père. Le sien n'auroit absolument rien à dépen

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