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Dans un autre endroit :

Il n'est jeune beauté, qui regardant ton deuil,

n'ait les larmes à l'œil.

La Chapelle l'a défigurée plus cruellement encore; il n'est pas de style plus éloigné de la délicatesse des expressions de Tibulle: il lui fait dire dans sa troisième élégie :

Quel abord, quelle douce surprise!

Prête à vous mettre au lit, presque nue en chemise ;

au lieu de ces vers:

Tunc mihi, qualis eris, longos turbata capillos,

Obvia nudato, Delia, curre pede.

que j'ai rendus par ceux ci :

Un désordre amoureux te livre à mes regards;

Je dispute ta gorge à tes cheveux épars, etc.

Il fait dire à Tibulle:

Là-bas, nous ne verrons ni beaux palais ni villes..... ..... Le mortel qui du fer fit des armes.

et ces deux vers:

Oui, le ciel nous avait armés contre les loups;

Mais nous avons tourné nós armes contre nous.

Voici comment il ouvre la première élégie.

Que l'implacable soif de la gloire et des biens.

Traîne les insensés comme avec des liens.

L'admirable expression soif qui traîne comme avec

des liens! Je n'acheverais pas, Monsieur, si je vous
rapportais tous les vers ridicules de ce La Cha-
pelle. Peut-on choisir Tibulle pour lui faire dire
de pareilles sottises? Croiriez-vous, cependant,
qu'il refuse
, par délicatesse de goût, de rendre
en français ces cinq vers si heureux :

Ah! lapis est ferrumque, suam quicumque puellam
Verberat, et cœlo deripit ille Deos.

Sit satis è membris tenuem præscindere vestem ;

Sit satis ornatus dissoluisse comæ.

Sit lacrymas movisse satis.

Il avertit dans sa préface qu'ils présenteraient une image trop grossière en notre langue, et que notre poésie n'a point de termes pour la rendre. Voici, pour le mieux prouver, comme il les traduit en prose : « Ah! c'est avoir un cœur de marbre ou de fer; c'est outrager jusque dans le ciel les dieux, que de battre une maitresse; il suffit de la décoiffer ou de lui couper la robe au cul », Que dites-vous, Monsieur, de cette bassesse des expressions du traducteur; car certainement elles ne sont pas de Tibulle. C'est pour lui faire une espèce de réparation, et peut-être venger notre poésie, trop souvent accusée d'impuissance, que j'ai tenté de rendre ces vers avec la même précision et les mêmes images, par ceux-ci :

Ah! le bronze est moins dur qu'un amant irrité,
Qui blesse les dieux même en frappant la Beauté.

C'est assez pour vos feux d'outrager sa parure,

De briser ou son voile ou sa tresse parjure;

C'est assez qu'une larme échappe à ses beaux yeux.

Je sais qu'il est des traits dont on peut dégager une traduction; mais il faut pour cela qu'ils en refroidissent l'intérêt, en offrant des coutumes trop étrangères aux nôtres; telles sont, dans la troisième élégie, les cérémonies du culte d'Isis, et ses timbales sacrées, et la troupe des prêtresses d'Égypte, etc. J'ai souvent lutté contre la précision de la langue latine, et contre ce vieux préjugé qui fait presque toujours rendre un distique par quatre vers français; j'ai toujours cru que cette prolixe indigence, tant reprochée à notre langue, n'existait réellement que dans le maigre génie des auteurs qui n'en connaissent point les ressources. Ne pensez-vous pas, comme moi, qu'elle sera concise, abondante, riche, noble, variée, pittoresque et sublime pour quiconque aura du génie et du goût? Mais en ouvrant cette route, qui peut faire honneur au langage français, je ne puis trop avertir qu'on ait à se garder de la sécheresse des copies trop serviles, autre écueil des traducteurs. Ce que je crois encore, c'est qu'on peut rendre heureusement diverses pièces à l'instant qu'elles tentent et frappent le génie; on peut être alors le rival de l'auteur qu'on imite; mais je doute qu'un poëme long, suivi,

et qu'on reprend à froid, laisse passer dans une copie l'heureuse chaleur de l'original.

Puisque nous en sommes sur les traductions, croiriez-vous, Monsieur, qu'un poète a prétendu rendre et peut-être embellir ce beau vers de Virgile:

Ferrea progenies duris caput extulit arvis

par ces deux vers insipides :

L'homme fut ébloui de son propre séjour,

Et le jour qu'il naquit fut au moins un beau jour.

Je n'y vois rien qui rende l'image vive et sublime, ni même le sens du latin. Que veut dire ce propre séjour, et surtout ce dernier vers dont le premier hémistiche, et le jour qu'il naquit, semble être tiré d'un extrait baptistaire, et le second, fut au moins un beau jour, d'un opéra de Danchet? Si Virgile pouvait les entendre, il ne se douterait pas qu'il les eût inspirés.

AU RÉDACTEUR DU MERCURE,

Sur la nouvelle édition des OEuvres de Poinsinet de Sivri.

Mars 1764.

Il faut convenir, Monsieur, que dans la foule de nos brochures littéraires, il en est bien peu qui soient faites pour honorer long-temps notre littérature. La raison en est simple; c'est qu'il en est peu où règne ce goût précieux de la docte antiquité, qui seul peut rendre un ouvrage immortel. Il est plus facile de mépriser les Anciens que de les atteindre : c'est le parti le plus commode que prennent la plupart de nos jeunes auteurs. Selon eux, il ne s'agit plus d'étudier profondément son art; mais de se faire une cabale qui vous suppose des talens, et vous dispense d'en avoir. Plus jaloux de ravir des applaudissemens que d'obtenir des suffrages, ils préfèrent les lueurs d'une célébrité passagère à l'éclat d'un nom vraiment durable. De là ce flux et ce reflux de petites réputations précoces qui se croisent, se choquent et s'effacent sans retour; de là ces monstres dramatiques presque honteux de leurs

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