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de trop détourner du principal objet. Racine s'est pourtant permis le rôle d'Ériphile dans son Iphigénie; et, sans ce caractère épisodique, sa tragédie, plus correcte en effet, eût manqué à la première des règles, qui est celle de plaire. Il faut être juste : le rôle d'Ulysse dans Ajax est un des plus beaux peut-être que nous ayons au théâtre.

Aglaé, petite pièce en un acte, dans le genre gracieux, est ingénieuse et touchante. On lit à la tête cette heureuse épigraphe imitée de Té

rence:

S'il est quelqu'un qui cherche à satisfaire
L'homme éclairé, non l'aveugle vulgaire,
Je le tiens sage; et je veux aujourd'hui,
Pour le vrai goût, me liguer avec lui.

Je ne dirai rien de la traduction de plusieurs poètes grecs, Anacréon, Sapho, Bion, Moschus, Tyrthée, etc. dont M. de Sivri nous donne une seconde édition dans ce recueil. Ces différens morceaux sont déjà connus avantageusement du public. L'auteur sait mieux que personne combien il était difficile, et même impossible, de rendre toutes les grâces, les délicatesses, et les saillies ingénieuses d'un poète tel qu'Anacréon. Ce qu'on peut assurer, sans crainte d'être contredit, c'est que la traduction de M. de Sivri

est infiniment supérieure à toutes celles qui l'ont précédée. Tel est, Monsieur, cet estimable recueil, qui mérite certainement de tenir une place distinguée dans la bibliothèque des gens de goût.

LE BRUN.

A

SONGES.

I.

A THÉMIRE.

PEINE le sommeil aux doigts de pavots appesantissait mes paupières, et déjà les Songes légers m'environnaient de leurs ailes transparentes; je me crus transporté sur les rives de Cythère, dans ces bosquets délicieux où l'Amour tient son empire. Les fleurs, la verdure, un jour pur et serein, tout ce que le Printemps et le Ciel prêtent de charmes à la nature entière, s'était à l'envi rassemblé dans ce riant séjour; mais la beauté de ces lieux ne faisait qu'irriter ma douleur. La paix regnait autour de moi, le trouble et le désespoir étaient dans mon cœur. Je quittai des lieux trop charmans, pour m'enfoncer dans un bois qui me parut presque aussi triste que moi. Son horreur mêlait à ma peine je ne sais quel plaisir farouche; je me promenais à grands pas dans des routes égarées, lieux sauvages que l'Amour avait faits pour les amans désespérés. Aucune fontaine n'y rafraichissait la terre aride. Elle n'était arrosée que des pleurs des amans, et ne portait que des cyprès funèbres ou de lugubres soucis. Environné d'abi

mes affreux, ou de précipices élevés, je marchais au hasard. Tantôt je pleurais dans un morne silence, tantôt je m'écriais avec fureur. Quelquefois ton nom s'échappait de ma bouche, parmi des sanglots entrecoupés de soupirs. Amour, disais-je, cruel Amour, dans quel abîme affreux m'as-tu plongé? Enfant séducteur, qui te croirait si barbare? Vois mes pleurs et mon désespoir, jouis des maux que tu me causes. Est-ce là ce bonheur que tu m'avais promis? Tu m'as trompé! non tu n'es pas le fils de Vénus: les tendres Grâces n'ont point formé ton enfance; Tisiphone est ta mère, les Euménides t'ont fait sucer leur lait et leur fureur; tu n'as de Vénus que ses traits enchanteurs, et tu ne les as que pour tromper. Ton cœur se nourrit de fiel, et tu ne respires que le sang et les larmes. Pourquoi communiquais - tu ce caractère barbare à la Nymphe que j'adorais? son cœur était la source pure du sentiment; pourquoi viens-tu l'empoisonner? Des yeux si doux n'étaient point faits pour être si cruels, ni leurs regards pour se tremper dans mes larmes; hélas! hélas! amant trop malheureux! ah cruel Amour! ah Thémire plus cruelle encore!... Occupé de ma douleur, je disais ces mots sans songer à peine que je les disais. Je crus entendre respirer, je me retourne, j'aperçois un jeune homme assis au pied d'un rocher affreux qu'il

semblait arroser de ses pleurs. Hélas, m'écriai-je en pleurant, je ne suis pas le seul malheureux. On les plaint aisément quand on l'est soi-même. Il s'avance vers moi, il semble même oublier sa douleur, pour me demander la cause de mon désespoir. Un cœur infortuné se confie aisément. Pressé par ses discours, je crus soulager ma peine en la racontant. Hélas! lui dis-je, vous devinez aisément quel en peut être le sujet. J'aimais la plus belle des Nymphes que Vénus eût dans son empire, on dit même que souvent la Déesse en fut jalouse. L'Amour semblait l'avoir formée du caractere le plus tendre; les Grâces avaient pris plaisir à rassembler leurs traits sur son visage. Mais si ses yeux étaient séduisans, son âme l'était plus encore pour un mortel qui pense. Elle n'af fectait pas d'être aimable, elle l'était. La délicatesse de ses pensées n'ôtait rien à la profondeur de ses réflexions. Élevée au-dessus du vulgaire des coquettes, plus séduisante peut-être sans y prétendre, elle plaisait en femme, et pensait en homme; soumise à la bienséance, elle dédaignait les préjugés sans insulter à ceux qui les embrassaient par faiblesse. Enfin elle était trop aimable et je l'aimai. Ma façon de penser lui plut, je l'avais formée sur la sienne, on cherche toujours à ressembler à ce qu'on aime. Je lui déclarai mon amour, elle y répondit en rougissant; je crus

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