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II.

A FANNI.

De l'Isle Adam.

Je E veux, ma chère Fanni, te faire part d'un songe qui peut t'intéresser; je le dois à l'Amour, et tu devines sans doute pour qui ce dieu me l'inspirait.

Tu sais combien l'Amour aime la solitude. Hier je voulus en jouir, dès que le soleil fut moins brûlant. Libre des importuns et rendu à moimême, j'allais respirer la fraîcheur du soir: je me promenais seul avec ton idée sur les bords d'une île qui serait celle de Vénus, si tu l'habitais. C'est là qu'autrefois j'allais lire Tibulle, ou composer des vers; l'Amour ne m'y suivait que pour m'amuser. C'est là qu'à présent je vais rêver à toi, soupirer ton absence, et gémir de notre exil. Hélas! je te demande à tout ce qui m'environne; je t'appelle comme si tu devais me répondre; je donne à l'air même des baisers, comme s'ils pouvaient t'être rendus; je ne suis point indiscret; je n'ai pour confident que l'ombre et le silence.

Une tendre rêverie me fit insensiblement descendre dans un cabinet de verdure qui termine notre île; je m'assis sur un banc de gazon. Une

charmille l'entourait et s'élevait en lambris, d'où pendaient sur ma tête des guirlandes de chèvrefeuilles; la rivière coulait à mes pieds; elle murmurait en fuyant sous des saules touffus qui me servaient d'ombrage: ses eaux vives et brillantes et l'espace azuré du ciel s'offraient seuls à ma vue, et je ne voyais que toi. Que ne t'avais-je alors dans mes bras! Cet asile est celui du mystère. Flore et le printemps l'embellissent, mais tu l'ornerais davantage. Je tenais à la main, je lisais, je baisais cette lettre si tendre, où tu desires de partager mes promenades et ma solitude. Mon âme avait passé dans mes yeux pour jouir de ces caractères qu'elle adore. Le calme de l'air, un reste de chaleur, Zéphyr dont le souffle agitait mollement le feuillage autour de moi, tout. me persuadait le sommeil ; mais les regrets amers l'écartaient de mes yeux. Hélas! disais-je, que ne peut-on mourir, au moins pour le temps qu'on est éloigné de ce qu'on aime! Je le disais, je soupirais, et je sentais mes pleurs prêts à couler Tout à coup un charme favorable vint m'assoupir, mes paupières furent voilées, le doux sommeil coula dans mes sens.

C'est alors qu'un Songe plus léger que l'éclair m'enleva sur ses ailes. Je crus traverser en un moment tout le vaste empire des morts; mais je n'aperçus ni le Tartare, ni les flots brûlans du

Cocyte, ni le farouche Cerbère, ni les sanglantes Euménides, ni ces malheureuses victimes que la Fable dévoue à des tourmens éternels; leur aspect, même en songe, eût souillé mes regards: la vue du crime afflige l'innocence. Eh! quelle innocence plus pure que celle du tendre amour! Un cœur tendre ne peut être que vertueux; il l'est sans faste et sans préjugés. La nature l'éclaire, l'humanité l'inspire, tout malheureux est son ami. Le plus léger mensonge lui fait peur; il abhorre la perfidie. Point d'ombre, point de voile dans ses pensées. Toute son âme est transparente; elle brille dans ses yeux; vous la voyez sur ses lèvres; elle parle avant lui; sa voix même a des sons qui la peignent.

Mais déjà le ténébreux Érèbe était franchi; l'ombre fuyait un jour céleste m'éclaire et me console. A sa faveur je découvrais les rives du Léthé, les champs du Bonheur, retraites immortelles des innocentes ombres, et ces bocages délicieux que Vénus réserve aux amans.

Impatient je m'avance, je touche aux portes de l'Élysée; un enfant me les ouvre; quel enfant! le souverain du monde, le dieu même des dieux. Qui te connaît, Fanni, peut-il méconnaître l'Amour? c'était lui-même; il n'avait cependant ni son flambeau, ni ses traits: il les avait laissés dans tes yeux. Il a déchiré son bandeau pour ne

plus cesser de te voir. Il sourit comme toi; il semblait me tendre la main. Aimable enfant, m'écriai-je, quel hasard te présente à ma vue? Quoi! l'Amour si loin de Fanni! la connaît-on dans ces retraites! ne me parle que d'elle; penset-elle à son amant? A ces mots l'enfant ailé voltigeait sans me répondre. Arrête, Dieu volage; hélas! Fanni le serait-elle comme toi!.... Je m'élance, je cours, je veux l'atteindre il fuit plus léger qu'un oiseau. Je le poursuis, je crois le saisir il m'échappe encore. Je le suivais toujours à travers des champs de roses et des forêts de myrtes. De gazon en gazon, gazon en gazon, de feuillage en feuillage, il m'attendait, il s'envolait, il se jouait de mon impatience.

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Je voyais, en passant, tous ces favoris de Vénus qui devaient l'immortalité à leur tendresse. Là folâtraient sur des tapis de fleurs, le galant Properce et la belle Cinthie, Horace dans les bras de Glycère, Pétrarque au sein de Laure, Catulle, Anacréon, Sapho, le doux Gallus et son inconstante Licoris. Je voyais Chammélé rendue aux soupirs de Racine; Saint-Évremond amusait encore la divine Hortense. Aux pieds de la jeune Bouillon folâtrait l'enjoué Chaulieu, tandis que La Fare, son ami, implorait un regard de Caylus. La volupté enflâmait l'air autour d'eux on ne respirait que des baisers.

Je distinguai surtout cette tendre Délie, et ce Tibulle, le plus délicat des amans, le plus amoureux des mortels, si je n'avais point aimé Fanni. Ils m'aperçurent, ils rougirent; l'un fut jaloux de ma tendresse, et l'autre de ta beauté. Plus loin, sous un ombrage secret, le peintre de la jouissance, le voluptueux Ovide caressait Julie, Julie plus fière d'être immortelle sous le nom de Corine, que d'être la fille d'Auguste. Ainsi Vénus égale tous les rangs. L'esprit et la beauté sont faits pour s'unir; ils devraient être les souverains du Monde.

Cette foule de beautés m'intéressait peu; je n'enviais point leurs faveurs; aucune ne me rendait Fanni; toutes me la faisaient regretter. Tant de charmes ne servaient qu'au triomphe des tiens. En vain me flattais-je qu'Amour s'arrêterait un instant auprès d'elles; ce dieu ne fit que leur sourire, et me fuyant toujours, l'enfant volage m'attira sous un berceau de myrtes si sombres qu'ils paraissaient consacrés aux infortunes amou

reuses.

J'y pénètre avec lui; une ombre s'y promenait à l'écart. Sa démarche annonçait une tristesse profonde. Elle foulait, en rêvant, mille fleurs que ses pas faisaient naître; un voile importun me la dérobait, et ce voile était humide de larmes. Ma curiosité fut émue. Je m'approchai douce

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