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LETTRE XXXIII.

A M. DE BUFFON.

Ce 30 avril 1778.

MONSIEUR,

Si je n'eusse point très-désagréablement payé le tribut aux malignes influences de la saison, j'aurais eu l'honneur de vous faire part un peu plutôt de la lecture de mon Ode à madame Necker, et du succès qu'elle a eu. Vous en jugerez, Monsieur, par cette phrase d'une lettre que M. Thomas, qui m'a paru votre sincère admirateur, m'a écrite depuis cette lecture, à laquelle il assistait seul : Votre ode à M. de Buffon a dú produire le méme effet. Ce PHILOSOPHE-POÈTe a dú y retrouver son pinceau. De tous les genres de poésie c'est l'ode sûrement qui a le plus de droit de lui plaire, parce qu'elle a plus de rapport avec l'élévation de ses idées et la hauteur de son style; vous avez conservé ou rendu à ce genre toute sa dignité. Dans notre langue, si raisonnable, nous avons beaucoup de stances, et bien peu d'odes. Gelle-ci a véritablement une marche antique, et

l'idée qui la termine est tout à fait heureuse. Elle repose l'imagination en lui offrant des beautés d'un autre genre, et des images pleines de douceur, de sensibilité et de grâces.

Votre illustre amie m'a comblé d'éloges avec toutes les grâces qui lui sont naturelles; elle m'a dit et répété, ainsi que M. Thomas, qu'elle ne voyait absolument rien ni à ajouter ni à retrancher, qu'il falloit laisser l'ouvrage dans l'état où je venais de le leur lire, et que cette pièce était certainement mon chef-d'œuvre. Alors je lui en ai remis une copie manuscrite, et telle qu'elle doit être imprimée. Elle est convenue que le moment favorable pour la faire paraître avec éclat, sera l'instant même où vous allez rendre publiques vos Époques de la Nature, ouvrage certainement sublime, à en juger par les deux Vues admirables que nous connaissons. Alors on sentira mieux tout le prix de mon apostrophe au Génie et de Tel éclatait Buffon, etc. L'art et la nouveauté du plan de cette ode n'ont point échappé à M. Thomas. Il s'est bien aperçu qu'il était distribué en trois parties à peu près égales, qui, formant trois modes différens, y jetaient des contrastes et une variété étonnante. En effet, les sept ou huit premières strophes, où je peins le Génie et vos systèmes, sont dans le genre sublime, et forment une scène qui se passe dans le

ciel. Les sept ou huit strophes, où je peins l'envie et son complot, et le voyage des monstres se passent aux enfers, et sont d'un genre terrible et lugubre; et le reste, c'est-à-dire, le discours de madame de Buffon à la Parque, votre convalescence, la joie qu'elle inspire, etc. est dans le genre pathétique et tendre; c'est peut-être le premier ouvrage où ces trois genres, si contrastans, ont été mêlés et réunis d'une manière aussi neuve, à ce qu'on prétend, et de là viennent la terreur et les larmes qu'elle a souvent excitées aux différentes lectures.

Vous trouverez ci-joint, Monsieur, l'élégie adressée à madame la comtesse du Pujet. J'ai cru que vous liriez sans peine un petit ouvrage qui a fait ici quelque plaisir, et où j'ai dû rendre un nouvel hommage à la mémoire de madame de Buffon, puisque c'est à son discours que madame du Pujet s'est évanouie.

Je ne dois point non plus vous laisser ignorer, qu'ayant été voir ces jours derniers au Jardin du Roi la statue vraiment animée du héros de mon Ode, je n'ai pu lire sans quelque regret, ainsi que le public, l'inscription qui est au bas, sur un papier flottant, et dont on ne peut louer que le zèle. Plusieurs dames et gens de lettres m'excitèrent à vous venger de ces malheureux vers, si indignes du héros et de la statue qui est pleine

de feu et de vie. Je m'en défendis d'abord, en convenant que l'inscription présente était froide et nulle; que le seul hémistiche passable était pris de la Henriade :

La toile est animée et le marbre respire.

Qu'il était maladroit de piller M. de Voltaire pour louer M. de Buffon; qu'au reste rien n'était plus difficile peut-être qu'une inscription en vers français, parce qu'il faut qu'elle soit vive, précise, et pour ainsi dire un impromptu d'enthousiasme, qui d'un seul trait de feu donne la plus haute idée du héros. Telles sont les bonnes de l'anthologie et celles de Santeuil, le seul qui ait eu du génie dans ce genre. Mais il écrivait en latin. Vaincu par la persécution et par l'amour de votre gloire, voici, Monsieur, le distique que votre statue en effet vivante m'a inspiré :

Buffon vit dans ce marbre! A ces traits pleins de feu,
Vois-je de la Nature ou le Peintre ou le Dieu ?

Le doute donne à la fois la grâce et la pudeur à l'éloge, qui, loin d'être alors excessif, se réduit à dire que le peintre de la nature est vraiment divin, épithète de tous temps consacrée au Génie. Ce distique a été reçu, applaudi, et retenu avec enthousiasme; notre cher abbé en

a été singulièrement frappé. Je desire, Monsieur, que cette inscription vous prouve au moins l'intérêt tendre que prend à votre gloire,

Votre très-humble et très-obéissant

serviteur,

1

LE BRUN.

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