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LETTRE XXXIV.

DE MADAME NECKER.

Mai 1778.

J'AI 'ai lu, Monsieur, avec un plaisir extrême l'aimable et belle lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et j'ai senti, pour la première fois depuis bien long-temps, que la louange avait de grands charmes; j'ai fait lire à M. Necker les vers délicieux que vous m'avez adressés, et je vous assure que je n'ai pas eu besoin d'approcher le flambeau pour l'éclairer sur le mérite de cette poésie si harmonieuse, si noble et si décente; c'est le véritable langage des Muses, qui sont toujours déesses quelque ton qu'elles prennent.

J'aurai beaucoup de plaisir, Monsieur, à vous remercier, et à m'entretenir avec vous d'un grand homme, dont l'amitié aime autant à parler que la renommée même; s'il vous convenait de passer chez moi dimanche à quatre heures et demie, je serais assurée de profiter de l'honneur que vous voulez me faire.

J'ai celui d'être avec des sentimens très-distingués, etc. C. NECKER.

LETTRE XXXV.

A M. DE BUFFON.

Mai 1778.

ONSIEUR,

Depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire, j'ai reçu de madame Necker une nouvelle lettre, toute charmante, et telle que les Grâces en écriraient si elles avaient été instruites par les Muses. Je dois au moins vous en citer une phrase qui vous regarde personnellement; la voici : J'aurai beaucoup de plaisir à m'entretenir avec vous d'un grand homme, dont l'amitié aime autant à parler que la renommée méme. J'ai donc eu la satisfaction, Monsieur de m'entretenir avec madame Necker du grand homme qu'elle aime d'une tendresse vraiment filiale, ce sont ses termes. Sa conversation m'a paru égale au style de ses lettres, c'est-à-dire, enchanteresse et profonde. Le plaisir de l'entendre m'a changé en minute l'heure entière que j'ai eu l'honneur de passer avec elle. Personne ne sait mieux unir

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Esprit d'homme et grâces de femme.

Ce vers du bon La Fontaine paraît n'avoir été fait que pour votre illustre amie. Elle m'a dit que vous lui aviez écrit, et je m'en suis aperçu à ses bontés.

Je ne saurais trop vous remercier, Monsieur, d'une connaissance aussi flatteuse à tous égards; je la cultiverai avec discrétion. Elle me deviendrait d'autant plus précieuse que j'aurais le bonheur de vous y voir à votre retour. Elle m'a parlé, avec la réserve des grâces, de ma liaison avec M. Clément, dont le nom fait peut-être ombrage dans son cercle; je lui ai dit qu'effectivement j'avais aimé et estimé, dans cet homme de lettres, une certaine droiture d'esprit assez rare, des idées saines qui eussent pu devenir utiles à la poésie; que je faisais cas de sa franchise et non de sa dureté; qu'il ne me consultait sur aucun de ses jugemens; et que j'étais bien loin d'approuver son style, dans ce qu'il pouvait avoir d'impoli et de malhonnête.

En effet, Monsieur, je suis la personne que M. Clément consulte le moins sur son journal, que même il ne m'envoie plus; genre d'ouvrage dont il sait que je fais peu de cas. Eh! comment pourrais-je être de l'avis de M. Clément qui, dans je ne sais quelle feuille, parlant, je ne sais pourquoi, d'histoire naturelle, dit à votre sujet Monsieur, absolument le contraire de ce que je pense et célèbre dans mes faibles vers?

Il ne faudrait que cet exemple bien frappant, pour prouver à madame Necker combien nous avons, M. Clément et moi, nos avis à part; j'estimais en lui le défenseur de Boileau que j'aime éperduement; mais je n'entre ni dans ses préjugés, ni dans ses haines. J'aime le beau, et le vrai partout où il se trouve. Je ne suis d'aucune secte, et je les méprise toutes.

Je voudrais que votre judicieuse amie en fût bien persuadée, car les moindres ombrages font quelquefois obstacle aux liaisons naissantes; et j'aurais desiré cultiver la sienne.

Elle était fort curieuse de savoir comment M. de Voltaire avait pris mes vers sur son arrivée, et comment il avait pu me passer le vers où je lui dis très-impérativement:

Partage avec Buffon le Temple de Mémoire.

La vérité est que mon admiration et mon amitié pour vous, Monsieur, ont joui, à cet égard, du triomphe le plus complet. Voici comment s'est passée la scène, car mes vers et ma visite à M. de Voltaire ont fait quelque bruit. D'abord je ne lui avais point envoyé ces vers, de manière qu'il ne les a eus que par le journal de Paris. Voltaire en fut si enthousiasmé qu'il les lut trois fois à tout ce qui l'environnait. Je tiens le fait de M. de Villette; c'est la première chose qu'il m'a dite

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lorsque j'entrai chez M. de Voltaire. Jugez, Monsieur, s'il pouvait arriver rien qui me flattât davantage, que d'avoir obligé M. de V. (dans ce premier moment de l'enthousiasme français qui semblait le regarder comme l'homme unique) de prononcer lui-même trois fois ce vers

Partage avec Buffon le Temple de Mémoire.

D'ailleurs j'ai mis dans cette même pièce que je vous envoie : Expiant tes succès, termes que Voltaire a trouvés assez énergiques. Il y avait même deux vers que le journal a refusé d'insérer, comme pouvant choquer M. de Voltaire, et que j'ai rétablis à l'impression; c'est :

De ton midi les brûlantes ardeurs

N'ont que trop élevé d'orages.

Informé, malgré cela, du très-bon effet que la pièce avait produit sur M. de Voltaire, je lui fis une visite cinq ou six jours après son arrivée. Il me reçut avec la distinction la plus honorable. J'eus une conférence particulière d'une grande heure, dans son cabinet. Il débuta par cette phrase: Vous voyez, Monsieur, un pauvre vieillard de quatre-vingt-quatre ans, qui a fait quatre-vingtdix mille sottises. Je pensai être confondu de ce début qui paraissait avoir trait au conseil un peu sévère qui termine ma pièce :

Mais ne va point troubler ta joie et nos hommages.

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