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nombre des martyrs est donc de beaucoup au-dessous de la vérité.

Troisièmement, s'il était dans la nature que les supplices et les bourreaux fissent d'autant plus de prosélytes, qu'ils font plus de martyrs, pourquoi ce grand pouvoir de la persécution n'a-t-il pas conduit aux mêmes succès que les chrétiens, les Manichéens par exemple, les Albigeois et tous les hérétiques qui, sous différens noms, descendant de l'hérésiarque Manès supplicié par Sapor, ont été poursuivis pendant plusieurs siècles, et notamment en 1022, sous le règne de Robert ? Pourquoi le sang des martyrs, naturellement si fécond selon vous, a-t-il été stérile dans toutes les sectes? Pourquoi encore les Maures et les Juifs n'ont-ils pas converti l'Espagne à leurs croyances, lorsque Ferdinand et Isabelle les persécutaient avec tant de violence? Certes, dans vos principes, voilà une belle occasion de triomphe que ces cruautés exercées si long-temps dans un vaste empire; et plus vous les accuserez, ces cruautés que j'accuse comme vous, plus la conséquence tournera contre vous-mêmes (Voyez, pour quelques faits faussement avancés, la Lettre sur l'inquisition par M. de Maistre. Voyez aussi les p. 126 et 177 précéd.). Ne serait-ce pas qu'il y a ici différence totale dans l'effet comme dans la cause? Et cette différence n'est-elle pas tout simplement de ce qui est de l'homme à ce qui est de Dieu ?

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Les sectaires combattaient avec des armes humaines; on ne les tuait que quand ils ne pouvaient

plus tuer. Les Maures avaient partagé l'Espagne jusqu'à la prise de Grenade, et la menaçaient jusqu'à l'époque de leur banissement; les Juifs des premiers siècles de notre ère suscitèrent des révoltes sanglantes partout où ils crurent pouvoir être les plus forts; et les disciples de Luther et de Calvin dans le seizième siècle envahirent les armes à la main, et à l'aide des rois et des électeurs, les contrées où ils dominent encore. Je ne vois rien là que de fort ordinaire; mais qui donc a pu inspirer aux chrétiens des premiers temps de se laisser massacrer sans jamais se défendre; de regarder les supplices comme leur palme, et la mort comme leur récompense, et encore de bénir leurs persécuteurs et leurs bourreaux ?..... Celui-là seul qui en avait donné l'exemple; sur lequel on avait épuisé les outrages sans épuiser sa patience; et qui, au milieu des imprécations et des cris de rage, n'avait fait entendre que ces mots : « Mon père, pardonnez-leur, car ils » ne savent ce qu'ils font.

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Certes, les Césars qui n'étaient pas pourtant sans connaissance du cœur humain, dont quelques-uns même sont encore honorés du titre de philosophes, étaient bien loin de penser qu'ils allaient directement contre leur but, en poursuivant, par des édits sanguinaires, une religion qu'ils voulaient détruire; et Dioclétien particulièrement avait une opinion bien différente, puisqu'il se glorifiait d'avoir aboli la superstition et le nom méme des chrétiens. Sans doute il se trompait beaucoup, puisque, un moment

après, le Christianisme régna sur le monde avec Constantin ; et là se montra la main de Dieu. Mais Diocletien croyait combattre seulement les hommes, et tout ce qui est de l'homme cède à l'homme, et peut être vaincu par l'homine.

Il n'est donc pas vrai que la persécution ait naturellement cette espèce de puissance inverse qu'on s'efforce de lui attribuer, et dont l'effet serait d affermir ce qu'elle voudrait abattre ce paradoxe est, comme tant d'autres, inventé par le besoin qu'on en a, et démenti par l'histoire. On aurait tort de nous citer la tolérance hypocrite de Julien comme une preuve que du moins ce paradoxe n'est pas nouveau. D'abord, cette tolérance n'empêcha pas qu'il n'y eût encore des martyrs sous son règne, et que lui-même n'en fit plus d'un personnellement, sous différens prétextes qui changeaient le nom sans changer la chose. Mais n'était-ce pas, d'ailleurs, une persécution que de priver les chrétiens de toutes les charges publiques, d'ordonner qu'on brulât leurs livres, qu'on saisit les revenus des églises, et qu'on n'ouvrit aucune école pour les chrétiens? I me semble qu il n'y a qu'une philosophie très intolérante qui puisse appeler cela de la tolérance.

Gloire donc à Dieu qui a donné à la terre, pendant trois cents ans, des témoins innombrables et irréprochables de la vérité du Christianisme.

Prétendrait-on, en effet, que c'était en eux emportement, délire, fanatisme? Mais a-t-on jamais vu des exemples d'emportement, de délire, de fanatisme

pareils, pendant trois siècles et dans toutes les pro

vinces du monde ?

Voudrait-on soutenir que les martyrs n'étaient que des séducteurs qui cherchaient à tromper la postérité?.... Mais l'imposture a-t-elle assez de chances pour balancer celle de la vie? On fait des crimes dont le profit précède la peine : on n'en fait pas dont l'unique fruit soit de ne rien espérer.

Leur prêterait-on l'appât secret d'un fol orgueil, l'espoir d'une grandeur qui flattait ces ames superbes?... Mais comment l'amour si fort et si général de la vie aurait-il cédé, dans un si grand nombre d'hommes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de tout pays, à des sentimens naturellement rares? S'il arrive qu'un enthousiaste qui enfante de nouveaux dogmes consente à mourir pour mieux les accréditer, ceux qui n'y ont d'autre part que celle d'en être instruits, portent-ils l'orgueil jusqu'aux mêmes excès? Où sont les martyrs de Socrate? Platon et aucun des disciples qu'il avait enseignés, voulurent-ils s'associer à sa peine?.... D'ailleurs, quel éclat si grand, quelle renommée si flatteuse, si éblouissante suivait le peuple des martyrs ?...

Il serait bien plus raisonnable de leur prêter l'amour des ignominies: car on sait qu'ils en étaient abreuvés, saturés; mais cet amour n'est pas naturel, et il faudrait en chercher plus haut la cause. Voyez ce chrétien, comparaissant devant le Juge, ou conduit à la mort au milieu des exécrations publiques: il se regarde comme un faible roseau dont

Dieu seul est le soutien; il s'estime heureux de ressembler à Jésus-Christ rassasié d'opprobres et mort innocent pour nos péchés; s'il souffre avec courage, il souffre avec douceur et modestie : rien en lui ne sent ni le fanatisme, ni l'ambition insensée de se faire un nom; il ne cherche ni les applaudissemens, ni les acclamations; il ne veut que Dieu pour témoin de ses combats, et il le bénit, et il lui rend grâces au milieu des plus cruelles tortures. « Où est >> l'homme, demande J. J. Rousseau, où est le sage » qui sache souffrir et mourir sans faiblesse et sans » ostentation? » Ces deux admirables caractères se trouvent dans les martyrs chrétiens, dans de tendres enfans, dans des vieillards caducs, dans des vierges délicates; et ils seront à jamais la pierre de touche qui convaincra de faux les martyrs de l'orgueil et du fanatisme.

Dira-t-on que nos martyrs étaient des esprits simples et crédules?... Mais l'histoire des trois premiers siècles ne nous montre-t-elle pas des personnages illustres, et même des philosophes, autrefois la gloire du paganisme, embrassant généreusement les humiliations de la croix, et versant avec le plus tendre amour leur sang pour Jésus crucifié? Tels ont été les Polycarpe, les Ignace, les Irénée, les Justin, les Clément soit de Rome, soit d'Alexandrie. Étaient-ce des hommes ignorans et crédules? Dans les ouvrages qu'ils nous ont laissés, ne trouve-t-on pas les richesses de l'esprit, et tout ce que le savoir avait alors de plus profond?

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